La Chronique Agora

Un désastre prévisible et évitable

Le vol du butin russe, des guerres étrangères éternelles et l’argent magique de la Fed…

« S’il nous est facile d’aller n’importe où et de faire n’importe quoi, nous irons toujours quelque part et ferons toujours quelque chose. » – Sénateur Richard B. Russell, alors président de la commission des forces armées du Sénat.

Le péché s’accumule au crime, l’escroquerie s’ajoute à l’escroquerie, suivie de près par une erreur après l’autre. Tout cela s’inscrit dans un schéma bien défini.

Nous allons faire ici le bilan des réflexions de la semaine passée… Ce n’est pas que nous détenions plus d’informations que vous, mais nous aspirons à prévenir une perte d’argent considérable, et voici notre analyse de sa possible origine.

En d’autres termes, le danger pourrait provenir du monde de la mégapolitique, des forces obscures et dissimulées qui opèrent derrière les gros titres.

Donald Trump a mis en garde l’Europe, lui conseillant de consacrer plus de moyens à sa propre défense. Mais, se défendre contre quoi ? Après trois ans de conflit, la Russie a peiné à annexer une région sur son flanc, habitée par des russophones désireux de rejoindre la fédération russe et qui nomment affectueusement leur région « Nouvelle Russie ». L’idée que la Russie, avec un PIB inférieur à celui de Nvidia, puisse constituer une menace pour l’Allemagne et la France, dont le PIB est trois fois supérieur, relève de l’illusion. Pourquoi alors les Européens devraient-ils dilapider des fonds pour acquérir davantage d’armes ?

Butin volé

Concernant l’actualité récente, le secrétaire américain au Trésor a proposé de voler de l’argent à la Russie. Dans quel but ? Pour permettre à l’Ukraine d’acheter plus d’armes. L’agence de presse AP s’est penchée sur la question :

« Janet Yellen, la secrétaire au Trésor, a exprimé mardi son soutien le plus explicite à l’idée de liquider environ 300 milliards de dollars d’actifs de la Banque centrale russe gelés, afin de les affecter à la reconstruction à long terme de l’Ukraine.

‘Il est impératif et urgent que notre coalition trouve une solution pour libérer la valeur de ces actifs immobilisés, en vue de soutenir la résistance persistante de l’Ukraine ainsi que sa reconstruction sur le long terme’, a déclaré Mme Yellen à Sao Paulo, au Brésil, à l’occasion d’une réunion des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G20. »

Les Etats-Unis s’avancent vers un désastre prévisible et évitable – dénouement typique de tout grand empire. Ils dépensent trop et essaient d’intimider trop d’individus, dans trop d’endroits, ce qui conduira vraisemblablement à leur déclin. Mais tout cela appartient encore à l’avenir. La crise de la dette est plus immédiate, et inéluctable : défauts de paiement, dépression, inflation, lamentations et désespoir en sont les symptômes annonciateurs.

Pourquoi, alors, les décideurs ne prennent-ils pas de mesure aussi évidente que celle de diminuer les dépenses actuelles ?

La raison en est simple : le problème est de nature mégapolitique plutôt que purement politique. Les intérêts des décideurs, issus des deux principaux partis, sont opposés à ceux du peuple. Réduire les déficits américains nécessiterait de tailler dans le seul secteur des dépenses discrétionnaires susceptible de faire une réelle différence.

Mais c’est précisément le secteur qui demeure hors de contrôle. Les chiens de guerre ont perdu leur laisse. L’industrie militaire – qui comprend le budget entier de l’empire dédié à l’aide internationale, au renseignement, aux subventions des universités et think tanks, aux contrats de défense et aux bases outre-mer – représente l’entité la plus vaste, la plus riche et la plus puissante de l’empire. Sa taille et sa richesse sont telles qu’elle échappe désormais à toute tentative de régulation.

Le gouvernement fédéral, les universités, les médias et Wall Street sont tous sous son emprise.

L’industrie de la puissance de feu

Lorsque les Européens augmentent leurs dépenses de « défense », ils font essentiellement l’acquisition d’armements auprès de l’industrie militaire américaine. Quand l’Ukraine bénéficie d’un soutien financier, ses dirigeants corrompus en prélèvent une partie ; le reste sert à l’achat de matériel auprès de cette même industrie, qui finance par ailleurs des lobbyistes pour promouvoir une hausse des dépenses.

Est-ce de la « propagande russe » ? Peut-être, mais il est plus probable qu’il s’agisse de la réalité mégapolitique d’un empire qui dégénère.

Le budget impérial constitue la principale ligne de dépenses discrétionnaires du budget fédéral américain. Si le gouvernement fédéral est incapable de réaliser des coupes dans ce secteur, il ne sera pas en mesure d’opérer des réductions significatives ailleurs. Et sans coupes drastiques, les Etats-Unis continueront d’accumuler des déficits de plus en plus conséquents… jusqu’à l’explosion du système.

Ce n’est pas une prédiction. Il s’agit tout simplement d’une réalité mathématique. Les intérêts de la dette fédérale représentent déjà près de 1 000 milliards de dollars. Une grande partie de cette dette ayant été contractée à des taux historiquement bas, le refinancement de ces obligations à des taux plus élevés entraînera une augmentation significative des coûts (sauf en cas de retour inattendu à des taux extrêmement bas).

Au rythme actuel, la dette atteindra bientôt 40 000 milliards de dollars. A un taux d’intérêt de 5%, les paiements annuels ne s’élèveraient pas à 1 000 milliards de dollars, mais à 2 000 milliards de dollars. L’année dernière, les recettes fiscales se sont élevées à environ 4 500 milliards de dollars. Supposons qu’elles atteignent 5 000 milliards de dollars (sans récession). Cela signifie que 40% de toutes les recettes fiscales devront être allouées au service de la dette.

Les tireurs d’élite arrivent

Comment les autorités fédérales pourraient-elles gérer une telle situation ? Vont-elles simplement arrêter de distribuer les chèques de la Sécurité sociale ? Vont-elles se mettre à dos leurs créanciers en faisant défaut sur la dette ? Vont-elles éteindre les lumières du Capitole et se limiter à servir des sandwiches froids dans la cafétéria du Sénat ?

Ce qu’elles ne feront certainement pas, c’est réduire les dépenses militaires.

Historiquement, le contrôle des forces armées était assuré par le contrôle des finances. L’industrie militaire dépendait du financement civil, soit par des prêteurs privés (comme Nathan Rothschild, qui a financé Wellington pendant les guerres napoléoniennes), soit par les recettes fiscales. Ces sources de financement étaient traditionnellement limitées, ce qui contribuait à limiter l’expansion militaire.

Cependant, aujourd’hui, c’est le complexe militaro-industriel qui contrôle les finances. Les Etats-Unis ont franchi une ligne rouge en manipulant leur système monétaire après 1971, permettant au Congrès d’accroître les déficits et d’allouer davantage de fonds aux forces armées sans augmenter les impôts.

Et ces milliards de dollars peuvent être utilisés pour financer des think tanks qui justifient l’augmentation des dépenses de « défense », des lobbyistes qui menacent les membres du Congrès de les mettre en difficulté s’ils ne soutiennent pas les nouvelles allocations militaires, et des « journalistes » qui réclament plus de guerre dans les médias.

Stephen Walt, dans le « Foreign Policy Magazine », résume la situation :

« Les Etats-Unis ne pourraient pas cesser d’agir de manière stupide, même s’ils le voulaient.

La stupidité est trop lucrative. Et aujourd’hui, avec davantage de fonds disponibles que jamais auparavant, c’est le complexe militaro-industriel qui mène le jeu, et non le gouvernement élu.

Comme son objectif principal est d’accroître son pouvoir et ses ressources financières, les dépenses militaires ne peuvent être diminuées, le budget ne peut être équilibré, et la catastrophe ne peut être évitée. »

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