La Chronique Agora

Des indicateurs avancés… qui n’avancent à rien !

** Les derniers vendeurs sont en train de se faire lessiver — voilà une des rumeurs récurrentes depuis la publication des faux chiffres de l’inflation aux Etats-Unis mercredi dernier. Il s’agit de l’une des plus stupéfiantes opérations de falsification de l’indice des prix et de travestissement — à la soviétique — de la réalité économique de ces dernières années. Ce mensonge va cependant faire économiser des centaines de milliards de dollars à l’administration Bush d’ici les élections de novembre puisque ni les salaires ni les pensions de retraite ne seront revalorisés pour compenser l’effondrement bien réel du pouvoir d’achat.

Wall Street se réjouit bruyamment, avec en filigrane le même souci de véracité qui prévalait lors de la parution des comptes trafiqués d’Enron ou de Worldcom au début du XXIème siècle. Les initiés savaient que tout était faux mais ils savaient que les non-initiés — qui se ruaient vers la bourse les yeux fermés et le portefeuille grand ouvert — n’attendaient qu’un prétexte pour miser sur un avenir radieux.

Et ceux qui, hier, se préparaient à terminer les baissiers à coups de talon rageurs ont profité d’une statistique parfaitement anodine pour leur administrer le coup de grâce !

Ils ont feint de s’enthousiasmer sans retenue pour le rebond de 0,1% l’indice avancé des indicateurs économiques américains publié par le Conference Board. Compte tenu de la marge d’incertitude des modes de calculs hédonistes, ce tout petit 0,1% aurait aussi bien pu ne pas exister ou se transformer en -0,1% — qui aurait entériné un sixième mois consécutif de repli.

Vous nous objecterez que la marge d’incertitude aurait pu jouer à la hausse et déboucher sur une avance de 0,3%… soit ! Mais certains auraient eu des doutes — « trop beau pour être vrai » — et, de toute façon, il était prévu que Wall Street grimperait fortement hier alors que le week-end ne s’était achevé sur aucune mauvaise surprise géopolitique.

Nous sommes convaincus qu’en l’état actuel du rapport de force — totalement déséquilibré au profit des bulls, au détriment des bears — et deux mois jour pour jour après les planchers indiciels des 17 et 20 mars derniers, n’importe quelle justification saugrenue incitant à acheter du papier pouvait faire l’affaire. Le moment de tondre le troupeau, devenu majoritairement haussier, ne devrait plus tarder.

** Il faudra peut-être encore patienter 24 ou 48 heures. En effet, la sixième séance de hausse consécutive survenue ce lundi semblait constituer le prélude à une septième… voire une huitième puisque la spirale ascendante des actions ignore depuis deux mois celle qui emporte le pétrole vers de nouveaux sommets. Les gains enregistrés de part et d’autre de l’Atlantique se sont amplifiés au fil des heures alors même que le baril de pétrole, parti de 125,5 $ en fin de matinée, flirtait avec les 127 $ le baril en fin de journée.

Le Dow Jones (+1%) refranchissait à mi-séance les 13 100 points — grâce à Alcoa et Chevron — et le Nasdaq gagnait 0,75% grâce aux 10% de hausse du titre Amazon, comme si le soudain rejet d’un scénario de récession — suite aux indicateurs avancés — impliquait un sursaut symétrique de la consommation ; cela tombe sous le sens, puisque officiellement il n’y a pas eu d’inflation au mois d’avril.

S’imaginait-on lundi matin voir le CAC 40 ou le S&P 500 bondir de 1,3% ? Y avait-il dans l’actualité du jour matière à anticiper le débordement des 5 120 points à Paris ? La structure de la hausse invite-t-elle à se montrer optimiste ? Ce sont en effet les valeurs liées — directement ou indirectement — au secteur de l’énergie ou des matériaux de base qui tirent les cours vers des niveaux plus testés depuis la mi-janvier.

Pour les acheteurs de titres tels qu’EDF, Suez, Total ou Arcelor-Mittal, la flambée des prix des matières premières — intégralement répercutée sur les particuliers — est une réalité.

** A tous ceux qui se laisseraient séduire par le climat de béatitude boursière actuelle, nous rappelons que la crise des subprime aux Etats-Unis est certes due à des excès d’avidité et d’aveuglement de nombreux intermédiaires financiers mais que cela ne retire rien au fait que l’épine qui a provoqué l’éclatement de la bulle immobilière à l’automne 2006, est l’envol du prix des carburants. Cet envol a eu une double conséquence destructrice : le début du cycle de resserrement des taux initié début 2005 — qui a renchéri le coût du crédit immobilier sans freiner la hausse des carburants — et l’érosion de plus en plus douloureuse du pouvoir d’achat des ménages américains.

Il y a 10 ans, les Etats-Unis dépensaient approximativement 45 milliards de dollars pour leurs approvisionnements en pétrole. En avril 2008, la facture a été décuplée — la désagrégation du dollar compte pour 40% — et dépasse les 450 milliards de dollars, soit le premier poste en termes de déficit de la balance commerciale américaine, loin devant les 250 milliards de dollars de déficit avec la Chine.

Alors qu’il devient de plus en plus coûteux de se rendre à son travail — non seulement aux Etats-Unis mais également sur le Vieux Continent –, les consommateurs réduisent semaine après semaine leurs dépenses non essentielles (loisirs, habillement, décoration…). Comme cela ne suffit pas, ils chargent leurs cartes de crédit à des taux prohibitifs… mais aux Etats-Unis, c’est cela ou la saisie de la maison.

C’est tout le modèle économique américain, bâti sur des carburants bon marché, qui est en train de s’effondrer. Le coût variable des déplacements des ménages qui avaient choisi la grande banlieue (pour plus d’espace, moins de pollution, moins de délinquance…) est en train d’exploser de façon irréversible.

L’éloignement des centres urbains (où se situent les gisements d’emplois) et les grosses cylindrées — symboles de confort et de puissance à l’opposé du caractère étriqué des petites citadines — s’avèrent aujourd’hui des erreurs budgétaires incommensurables !

Mais pour ceux qui voudraient se rapprocher des transports en commun, voire de leur lieu de travail, l’équation est insoluble. Les prix en périphérie s’effondrent et rendent, par comparaison, l’habitat en centre-ville encore plus inabordable : il faut bien vendre pour se reloger plus près… L’impasse devient même totale lorsque les banques ne font plus crédit.

C’est pourquoi nous estimons que l’occultation du facteur pétrole par les marchés — même s’il s’agit d’une hausse calculée, mue par des mécanismes court-termistes — constitue une dangereuse absurdité qui nous incite à persister dans nos recommandations de prudence et de couverture des portefeuilles. Dans le doute, abstenons-nous !

Philippe Béchade,
Paris

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