La Chronique Agora

Des gilets jaunes au Congo

Chacun essaye de supporter ses parasites. En France, c’est l’Etat devenu obèse, en Afrique, c’est la famille qui n’a rien à voir avec l’état-civil.

Samedi. Je suis en panne tout près de Dolisie, Chef-lieu du Niari, ancienne capitale agricole du Congo Brazzaville. Le chauffeur est parti chercher un roulement neuf pour notre Mitsubishi dans des endroits improbables peu fréquentés par les « Mundélés », les Blancs. Non pas que ce soit dangereux, mais pour mieux en négocier le prix.

Nous avons eu de la chance d’être parvenu jusqu’ici. Trois mécaniciens s’affairent autour et même sous la voiture dont le train arrière ne tient que par un cric posé sur de la terre battue. Au mépris de toute norme de sécurité européenne.

Nous attendons en centre ville, dans une boulangerie avec salon de thé attenant, le Dolithé. La boulangerie semi-industrielle avec ses gros fournils a été montée par un Mundélé mais derrière le comptoir du Dolithé, un Congolais souriant. Apprenant que nous sommes français, il bascule immédiatement la télévision sur France 24.

Les Champs-Elysées de Dolisie

Les images de Paris et des manifestations (émeutes ?) emplissent le grand écran.

« Alors, il ne faut plus partir en France ! » s’esclaffe-t-il,  « vous êtes mieux ici…  Mais que veulent-ils exactement ? »

Bonne question. Comme beaucoup de monde, j’ai vu la liste des 25 revendications qui circulent sur internet.

Certaines revendications seraient accueillies avec des larmes de joie de la part des libéraux. D’autres feraient le bonheur d’un Mélenchon fervent admirateur du succès du Venezuela. D’autres encore d’une Marine Le Pen.

« Bof… comment dire, tout et son contraire. »

« Ici, tout le monde veut partir en France. Les salaires sont élevés, chacun le sait. La ville ne va pas bien. À Dolisie, les fonctionnaires ne sont plus payés, sauf la police et la gendarmerie. Les Chinois payent très mal et ils ne dépensent rien sur place ».

« En France, il n’y a pas de travail pour tout le monde et la vie est très chère : le logement, la nourriture, l’essence. Les salaires sont élevés mais c’est une illusion, on paye beaucoup d’impôts. Nous sommes les champions du monde de l’impôt ».

« Oui, oui…  mais au moins vous en avez pour votre argent, c’est pas comme ici !

« Non, les gens ne pensent plus qu’ils en ont pour leur argent. Ceux qui travaillent ont l’impression qu’ils travaillent non pas pour devenir plus riches mais pour essayer de ne pas devenir pauvre… Au moins ici, ceux qui travaillent vraiment peuvent s’enrichir ».

« Non, non, ce n’est pas vrai. Ils rêvent de partir parce qu’il y a la famille, la famille tu sais, comme ici, pas comme en France ».

Oui je sais : ici on a beaucoup de pères, de mères, d’oncles, de tantes, de neveux, de cousins. Beaucoup, beaucoup plus que le simple état-civil.

« Ici, quand tu gagnes de l’argent, ils viennent tous t’en demander. De l’argent, hein, pas du boulot. Tous… Pour les études de petit frère, de la nièce, la maison pour la tante qui se fait vieille, les sous pour l’oncle qui va devenir aveugle. Plus tu gagnes de l’argent, plus ils t‘en demandent. Ils te demandent tellement d’argent que tu as du mal à économiser et les banques ne te prêtent pas. C’est pour ça que ceux qui réussissent, ils veulent partir. La famille ne les appellera plus, le téléphone, c’est cher pour la France ».

« Oui, mais tu sais, chez vous c’est la famille et puis chez nous c’est l’Etat. On peut faire un pacte : vous venez tous chez nous et puis nous on vient tous chez vous. Parce qu’ici la vie n’est pas chère et il y a beaucoup à faire. La terre est très riche et à Pointe Noire ou à Brazzaville, ils importent les légumes. Qu’est-ce que tu en penses ? »

« Oui, oui ! » me dit le chef de Dolithé en éclatant de rire. « Mais moi, je reste, si on fait ce que tu dis. Tous les Mundélés vont venir ici manger les brioches et les croissants… C’est mieux si je reste ».

Mais lâchons ces brèves de comptoir.

Je n’aimerais pas être à la place d’Emmanuel Macron pour son prochain discours même avec une équipe de sciences-po-ENA pour l’aider. Il a voulu nier la réalité : on ne peut pas baisser les impôts sans baisser les dépenses publiques. La réalité le rattrape. Qui parmi nos politiciens professionnels sait encore parler vrai ? Comment la confiance peut-elle s’instaurer dans le mensonge ?

En attendant, deux choses sont importantes et vont déterminer notre avenir plus sûrement que le jus de crâne et les belles paroles de Macron :

La première donnée parce que la dette – qui est encore indolore – va commencer à peser de plus en plus lourd. Il va falloir passer en mode économie forcée.

La seconde donnée parce que si l’euro baisse, nous importerons de la hausse  des prix et cela va encore amputer le pouvoir d’achat. Ce que n’aura pas fait la stupide taxe sur les carburants, la chute de l’euro le fera.

Ces deux données sont plus importantes pour notre avenir et notre liberté que la chute des actifs financiers partout dans le monde ou le changement climatique.

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