** Souvenirs, souvenirs…
** "Le gros de la crise est maintenant révolu, le bilan des banques est en cours d’assainissement, les établissements de crédit qui n’ont pu faire face aux excès de la spéculation immobilière du début de cette décennie ont disparu du paysage mais la plupart d’entre eux ont survécu grâce à l’action déterminée du gouvernement, lequel a injecté des centaines de milliards dans un système financier perclus de créances douteuses et dévoilé un plan de relance massif qui fait la part belle aux grands travaux et à l’effort de modernisation des infrastructures du pays".
"La Bourse, qui vient de reprendre 38% après une chute verticale de plus de 60%, apprécie ce message clair de soutien inconditionnel à la croissance. Cela permet d’exclure de nouvelles faillites retentissantes… à l’exception d’un ou deux fleurons de l’industrie dont le business model était obsolète et dont les dirigeants s’étaient endormis sur leurs lauriers avant de connaître un ultime réveil brutal".
"Les prix des logements dans les grandes métropoles continuent certes de reculer à un rythme de 19% et les maisons ont perdu 15,4% de leur valeur sur l’année écoulée mais les agents immobiliers perçoivent un signe de décélération dans le processus de contraction amorcé il y a 18 mois".
"L’endettement de l’Etat vient certes de tripler en un an mais l’argent des contribuables est investi dans des projets fortement créateurs d’emplois et la spirale du chômage sera bientôt enrayée. Le rythme des licenciements ralentit et il n’y a plus qu’à espérer que les embauches crées dans le secteur des travaux publics compensent les pertes massives observées dans le tertiaire (services financiers, loisirs, distribution)".
"La forte baisse de la devise (10% en trois mois) soutient nos exportations et la hausse du pétrole ne constitue pas encore un souci. D’ailleurs l’inflation demeure très basse, voire légèrement négative mais une politique d’assouplissements monétaire volontariste, prolongée par des moyens non-conventionnels, devrait permettre d’éviter que le processus déflationniste ne s’installe dans la durée".
"L’autorisation donnée à notre banque centrale de monétiser la dette — avec l’assentiment de la communauté financière internationale et en particulier celui de notre proche partenaire chinois — va permettre une sortie de récession jugée probable par nos experts d’ici moins d’un an. La hausse du PIB sera d’abord modeste mais s’accélèrera au cours des 12 mois suivants, jusqu’à rattraper un rythme de 3% qui correspond à la moyenne historique des deux dernières décennies".
"Les consommateurs devraient retrouver le goût de dépenser dès que le marché du travail sera stabilisé et que la valeur des logements aura cessé de se dégrader. Mais une fois encore, les indices boursiers — qui ont du flair — anticipent une embellie conjoncturelle que l’actuelle hécatombe de PME et de PMI rend difficile à percevoir".
"Oui, fidèles lecteurs du Nihon Keizai Shimbun — fleuron parmi les fleurons de la presse économique japonaise — projetons-nous dans un futur prometteur et oublions cette sinistre année 1993. Vous pouvez en être quasiment certains, notre économie sera de nouveau florissante dès le début de l’été 1994 et nous célébrerons une croissance proche de 3% avant que nos magnifiques cerisiers ne se parent de leur livrée rose et blanche aux premiers beaux jours du printemps 1995".
** La suite, vous la connaissez : le yen a continué de s’effondrer, l’immobilier également et le Nikkei perdait fin 1995 les deux tiers de sa valeur par rapport à ses sommets de décembre 1989 — après avoir repris jusqu’à 40% sur ses planchers de 1993.
N’êtes-vous pas troublé par les similitudes existant entre les études économiques des banques opérant au Japon il y a une quinzaine d’année et celles qui font dans la surenchère en matière d’optimisme depuis le début du mois d’avril aux Etats-Unis ?
Et le procédé actuel — consistant à nier les évidences qui fâchent — est presque une copie conforme de ce qui se pratiquait à l’époque : minoration systématique de l’impact du negative equity immobilier sur le train de vie des ménages, évocation récurrente de la stabilisation du marché du travail (grâce à l’exclusion abusive des femmes élevant un enfant de la catégorie des demandeurs d’emploi), rappel des avantages d’une monnaie faible (mais pas trop), surestimation des effets de la dépense publique sur la croissance.
Comme vous le savez, rien n’est allé mieux au Japon pendant plus de huit années de récession et de déflation — contenue à grand peine à coups de nouveaux déficits.
** Mais le Japon avait deux avantages sur les Etats-Unis. Premièrement, les banques locales n’ont pas fichu à la porte de leur logement les millions de Japonais qui avaient des difficultés à rembourser leur crédit — heureusement, la plupart d’entre eux avaient de l’épargne, ce que les Américains n’ont pas. Deuxièmement, l’Archipel exportait encore des quantités de produits à forte valeur ajoutée, ce dont les Etats-Unis sont bien incapables aujourd’hui.
En effet, la stratégie choisie par Alan Greenspan sous la pression des lobbys ultralibéraux qui faisaient la pluie et le beau temps auprès des membres du Congrès — des deux camps, faut-il le préciser ? — a été la financiarisation à outrance de l’économie, la création monétaire galopante et la délocalisation de la production vers les pays à faible coût de main-d’oeuvre afin de permettre aux multinationales de respecter le diktat des 15% de retour sur investissement.
Tout ce que les Etats-Unis sont capables d’exporter en l’an de grâce 2009, ce sont de mauvaises dettes libellées dans une monnaie de singe dont chacun se dit que la seule raison qui explique qu’elle ne s’effondre pas, c’est que cela n’arrange personne.
Le dollar s’est d’ailleurs stabilisé hier vers 1,393 euro. Il n’a guère profité l’amélioration de la confiance des ménages qui avait fait bondir Wall Street de 2,5% la veille. Il n’a pas davantage réagi à la publication des reventes de logements anciens au mois d’avril (+2,9% contre -3,4% en mars).
** L’Association nationale des promoteurs immobiliers (NAR) a comptabilisé 4,68 millions de transactions en rythme annualisé, soit un niveau légèrement supérieur à la prévision moyenne des économistes. Cependant, le prix des maisons individuelles continue de chuter de 15,4% en rythme annuel pour une valeur médiane de 170 200 $ — à comparer avec une moyenne de 270 000 $ au printemps 2007.
En France, le moral des ménages s’est également amélioré au mois de mai selon l’enquête mensuelle de l’INSEE. Nous aimerions d’ailleurs connaître le détail du questionnaire et la nature des correctifs permettant de redresser les scores… Cependant, leur opinion concernant le marché de l’emploi et l’évolution du chômage s’est nettement dégradée.
** Eh oui, à part le fait qu’on ne trouve plus de travail, que les entreprises recourent massivement au chômage technique face à des carnets de commandes en forte contraction, à part les salaires qui baissent et les emplois qui se précarisent, il ne fait aucun doute que la conjoncture — boursière — s’améliore.
Il y a de bonnes raisons à cela puisque Bank of America doit encore lever huit milliards de dollars de liquidités pour respecter le plan de recapitalisation — bidon — de 34 milliards de dollars imposé par le stress test. Il aurait même dû porter sur 50 milliards de dollars… mais nous parions que Bank of America trouvera bien un moyen plus ou moins sournois pour placer les 16 milliards de dollars qui manquent à l’appel sous forme de créances douteuses mises en nantissement auprès de la Fed si Wall Street n’a plus soif.
Philippe Béchade,
Paris