Les marchés montent, donc tout va bien ? Si l’obligataire ne donne pas vraiment des signes de bonne santé, un risque d’environ 490 Mds$ avec un fort accent russe rôde aussi dans les coulisses. S’il n’a pour l’instant pas été agressif, cela pourrait changer.
La guerre russo-ukrainienne rappelle à certains égards les tous premiers jours de la pandémie : elle change tout, elle bouleverse la donne politique économique, financière et monétaire… mais les marchés boursiers ne réagissent pas. Ils sont incapables de prendre en compte les changements et d’en tirer les conséquences, on continue sur le petit nuage de la petite Goldilocks ! Comme toujours, ce n’est qu’un petit mauvais moment à passer.
Même la hausse des prix de l’énergie – qui est l’effet le plus visible – est sous-anticipée. On n’ose pas en tirer les conclusions pour les économies et la finance. Pourtant les conséquences auront des ramifications profondes.
La chaîne de la spéculation mondiale
Les nations seront obligées de réagir à des perturbations potentiellement très problématiques de l’approvisionnement énergétique et alimentaire. La probabilité d’achats de panique et de problèmes d’approvisionnement généralisés dans l’ensemble du complexe des matières premières n’est pas faible.
Et surtout, il est difficile de voir comment les problèmes de la chaîne d’approvisionnement mondiale, déjà mise en difficulté par le Covid, ne vont pas s’aggraver encore.
Je soutiens l’idée que les marchés financiers jouent maintenant le rôle d’une colossale grande banque globale : on y a mis le crédit, les dettes, on les a diffusés et, maintenant, leur valeur est soumise aux caprices, aux peurs et aux envies de la communauté spéculative Internationale.
Qui sait où sont les risques, qui sait où sont les maillons faibles de la chaîne du bonheur mondial ?
De la dette éliminée ?
Un article du Financial Times paru le 20 mars propose un début de réponse :
« Les investisseurs internationaux se préparent à une vague de défauts de remboursement de la dette russe, alors que le Kremlin resserre son emprise sur le système financier du pays suite à son invasion de l’Ukraine.
La dette totale de la Russie envers les étrangers s’élevait à 490 Mds$ fin septembre, selon la Banque centrale de Russie.
Mais quelle part de cette exposition – répartie entre les obligations, les prêts, les investissements directs et les crédits commerciaux – sera éliminée ? Voici la question épineuse à laquelle sont confrontés les investisseurs internationaux.
Des étrangers détiennent 20 Mds$ sur les 39,6 Mds$ de la dette souveraine en « devise forte » de la Russie, c’est-à-dire émise via des obligations libellées en dollars et en euros.
Celles-ci ont plongé en valeur à mesure que la guerre en Ukraine s’intensifiait. »
Mon idée est que les marchés financiers tardent à apprécier les importantes modifications qui vont se produire à court ou moyen terme. « La dette totale de la Russie envers les étrangers s’élevait à 490 Mds$ » : jusqu’à présent, la Russie a semblé préférer garder toutes les options ouvertes et faire quelques remboursements de dettes. Mais quelle est la véritable stratégie que Poutine tient en réserve sur cette question?
A ce stade, je trouve que Poutine est sympa, sur ce sujet.
Attendez-vous en revanche à ce qu’une direction russe piquée aux vif par les attaques personnelles de Biden contre Poutine soit moins favorablement disposée et se venge résolument. De toutes les manières possibles.
Poutine garde toutes options ouvertes, y compris celle d’une sortie négociée, mais visiblement les Etats-Unis ne l’entendent pas de cette oreille. Ils confirment régulièrement qu’ils veulent un conflit long, très long, pour affaiblir la Russie.
La Fed a les mains liées
Il est difficile d’envisager un contexte de risque plus élevé, au moment où Powell est coincé par l’inflation et où il est au contraire obligé de donner des gages politiques. Après sa petite hausse de 0,25 point du mois dernier dont nous parlions lundi, il n’exclut plus maintenant des hausses de taux intermédiaires de 0,50 point.
Le marché boursier hautement spéculatif est infantilisé, il a perdu sa capacité à apprécier les risques et à les valoriser. Il a été gâté, on l’a protégé, et le risque à ce stade est externalisé. Mais la situation a changé. La Fed, sauveteur de dernier recours, a les mains liées. Elle ne peut plus supporter tous les risques, car elle a la responsabilité de l’inflation des prix et de la chute du pouvoir d’achat.
Je suis persuadé que les Bourses auront de la peine à s’adapter efficacement au nouveau contexte marqué par la montée de risques de défauts colossaux, la détérioration rapide de la confiance et du moral des populations, le tout couronné par le risque géopolitique.
Certes, le S&P 500 a rebondi d’environ 7% depuis le début de la conférence de presse de Powell du 16 mars, mais ce peut être un terrible piège. Les marchés d’actions n’ont pas la réputation d’être intelligents !
Après s’être négocié à 3,38% avec la publication du communiqué du FOMC, le taux d’équilibre des prévisions d’inflation des valeurs du Trésor sur cinq ans a augmenté de 35 points de base pour atteindre un record de 3,73%.
Dans une autre réaction du marché qui devrait inquiéter les gestionnaires, les rendements des valeurs du Trésor à 10 ans ont rapidement augmenté de 35 points de base pour atteindre un sommet de près de trois ans à 2,55% le 28 mars.
En passant je vous rappelle que le niveau de 2,35% est pour moi un niveau que je considère comme critique.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]