La finance se disloque, et le réel déchire le monde financier.
Je martèle depuis plusieurs semaines que « ça commence à mordre ».
Je vise de façon circonstancielle le resserrement monétaire, la hausse des taux longs, la baisse de la liquidité et le durcissement des critères de crédit des banques.
Mais là n’est pas l’essentiel de mon propos quand je parle de ce phénomène. Non, ce que je pointe par cette formule que tout le monde peut comprendre, c’est le fait nouveau, que la réalité se réintroduit dans l’imaginaire financier ; quelque chose se déchire.
Une rupture se dessine, le dérivable et le linéaire sont pris en défaut, les modèles, surtout eux, paniquent, et ils fournissent des résultats idiots parce que les relations historiques entre les variables se brisent.
Et c’est beaucoup plus important que tout ce que j’ai énuméré en avant-propos.
Une dose de réalité est en train de se réintroduire, il y a des brèches, comme dans le logement et la propriété commerciale.
Et surtout, il y a des brèches comportementales !
Les marchés ont été frappés sur plusieurs fronts.
Les rendements du Trésor à dix ans ont bondi de 30 points de base cette semaine (à 4,91%), s’échangeant tôt vendredi à 4,99% – le plus haut depuis juillet 2007.
De manière alarmante, les achats de valeurs refuge de la semaine précédente se sont complètement évaporés. L’ETF iShares Treasury Bond (TLT) a été martelé de 5,0%, tandis que le lingot d’or a bondi de 2,5% et l’argent, de 2,9%.
Au cours des deux premières semaines du conflit, la hausse de 8,1% de l’or a largement éclipsé la baisse de 1,8% du TLT.
Alors que la perspective de troubles mondiaux est devenue plus claire cette semaine, l’ampleur des troubles sur le marché des valeurs du Trésor est devenue encore plus alarmante.
Les rendements des obligations longues ont bondi de 32 points de base cette semaine à 5,08%, le plus haut de juillet 2007.
Les rendements des MBS ont bondi de 29 points de base à 6,78%, le plus haut depuis juillet 2001.
Les taux hypothécaires (quotidiens) ont atteint 8% pour la première fois depuis 2000.
L’ETF iShares Corporate Bond (LQD) a perdu 2,7% et l’ETF iShares High-Yield (HYG) a baissé de 1,1%.
La déroute actuelle des obligations est mondiale.
Les rendements britanniques à 10 ans ont bondi de 27 points de base à 4,65%. Les rendements italiens s’échangent au-dessus de 5% pour la première fois depuis la crise de la dette de 2012. Les rendements des obligations allemandes ont bondi de 15 points de base à 2,89%, le plus haut depuis 2011. Et les rendements australiens ont augmenté de 28 points de base à 4,46%, également le plus haut depuis 2011.
Le bain de sang des obligations libellées en dollars des pays émergents a été incessant.
Les rendements ont augmenté de 33 points de base aux Philippines (5,82%), 33 points de base au Pérou (6,29%), 32 points de base en Turquie (9,05%), 32 points de base au Panama (7,21%), 31 points de base au Mexique (6,65%), 30 points de base au Chili (6,15%), 29 points de base en Indonésie (6,20%), 28 points de base en Colombie (8,70%) et 27 points de base au Brésil (7,06%).
Tout indique une réduction des risques et une vague de désendettement déstabilisants.
Le paradigme keynésien qui permet, dans les périodes de difficulté, de se replier sur les fonds d’Etat et les valeurs à revenus fixes qui y sont arrimées, est brisé ; la fuite devant le risque ne bénéficie plus aux fonds d’Etat ; donc, l’émission de fonds d’Etat, c’est-à-dire l’émission de monnaie, ne peut plus être la solution.
La déroute sur les fonds d’Etat fracasse toute la base théorique et pratique de la doctrine inflationniste qui se formule : tout problème peut être traité par l’émission de dettes de l’Etat et de monnaie.
Ceci n’est pas une prévision, mais un constat ; la finance se disloque.
20 octobre – Reuters :
« Le gouvernement américain a enregistré un déficit budgétaire de 1 695 milliards de dollars au cours de l’exercice 2023, soit un bond de 23% par rapport à l’année précédente, alors que les revenus ont chuté et les dépenses pour la sécurité sociale, l’assurance-maladie et les coûts d’intérêt record sur le marché ont explosé. »
La dette fédérale a augmenté.
Le déficit est le plus important depuis un écart de 2,78 trillions de dollars causé par le COVID en 2021…
Pour l’exercice 2023, les revenus totaux ont chuté de 457 milliards de dollars, soit 9% par rapport à l’exercice 2022, à 4,439 trillions de dollars, en grande partie en raison d’une baisse des revenus individuels par les impôts, dans un contexte de pire performance des actions et d’autres actifs financiers.
Parmi les autres baisses de revenus, citons une baisse de 106 milliards de dollars des bénéfices de la Réserve fédérale, les intérêts payés sur les réserves bancaires ayant englouti tous les revenus de portefeuille…
Même à la chambre du Congrès contrôlée par les républicains, le débat tourne autour du chiffre d’augmentations de dépenses que le prochain orateur intégrera dans un autre projet de loi alimenté par la dette.
Les calculs des taux d’intérêt n’ont pas encore fait irruption dans la politique, même s’ils ont déjà infligé de sévères sanctions aux marchés.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]