La Chronique Agora

Le dernier acheteur est un pigeon…

L’affaire GameStop a été érigée en victoire du « petit porteur » contre le système. Ce dernier est sans aucun doute injuste… mais suivre aveuglément un troupeau d’acheteurs mal renseignés ne peut que vous attirer des ennuis.

Il est possible de gagner de l’argent avec des trades spéculatifs – si on fait bien son travail et qu’on limite les risques.

C’est d’ailleurs ce que nous faisons, dans le cadre du service Crash Speculator : on analyse les tendances économiques, les fondamentaux des entreprises et les tendances technologiques.

Acheter des actions « pourries » telles que GameStop (GME) ou AMC Entertainment Holdings (AMC) au seul motif qu’un « troupeau » en achète, en revanche, c’est aller au-devant des ennuis.

Ces types d’actions peuvent être intéressants dans des situations spécifiques, pour des investisseurs value avertis, et sous réserve que leurs capitalisations boursières soient très faibles. Mike Burry, par exemple, a investi dans GME lorsque le titre cotait à un cours anticipant la faillite. Acheter GME ou AMC aux sommets qu’ils ont atteints la semaine dernière, cependant, c’est aller au-devant des ennuis.

L’esprit de bulle qui s’est emballé ces dernières semaines s’est nourri de dix années d’infime connexion entre les cours des actions et les fondamentaux.

Certains PDG et acteurs du capital-risque très médiatiques ont encouragé la folie de la semaine dernière avec des tweets qui ont déclenché de nouveaux épisodes de trading dangereusement haussiers.

C’est comme s’ils avaient crié : « Que la partie commence ! » Au lieu de cela, nous aurions dû encourager les nouveaux arrivés sur le marché à en siffler la fin, et à prendre le trading et l’investissement au sérieux.

Les articles parus dans les médias, citant certaines personnes ayant participé à ces trades motivés par un mouvement de foule, sont bien tristes. Ils sont également effrayants.

Beaucoup de ces jeunes gens vont-ils ressortir de la frénésie entourant GameStop en pensant à tort que c’est ainsi que l’investissement fonctionne ?

On attend la cavalerie

Selon un article du Wall Street Journal :

« Jordan Laws, producteur audiovisuel âgé de 40 ans qui a collaboré à la campagne présidentielle de Bernie Sanders, l’an dernier, déclare qu’il considère WallStreetBets comme une force de rééquilibrage entre professionnels et amateurs.

« Les hedge funds le font depuis toujours. Ce n’est pas comme s’ils n’envoyaient pas leurs gars sur CNBC », déclare M. Laws, en ajoutant que leurs commentaires sont capables de faire bouger les marchés.

Il a acheté des options call haussières sur AMC après avoir constaté le rally sur les actions GameStop et suivi les conversations incessantes sur Reddit et Discord. Elles ont pris de la valeur, mais il pense qu’elles peuvent encore grimper.

« J’attends que la cavalerie arrive », déclare-t-il. »

Un « troupeau », ce n’est pas une cavalerie : il se précipite sans réfléchir dans une direction, puis fait volte-face dans l’autre en un clin d’œil, piétinant au passage une bonne partie des participants.

L’état d’esprit du « troupeau », sur Reddit, est nihiliste, cynique et fait fi de l’historique des marchés. Une soif de vengeance à l’égard de ce que produit « le système » semble s’être répandue.

Certes, les dix dernières années ont été injustes à de nombreux égards. Mais c’est surtout dû à une culture américaine vouée à des politiques d’inflationnisme, des choses comme l’hyper-financiarisation, le « Fed put », et un système de financement des prêts immobiliers soutenu par les contribuables qui alimente les bulles immobilières.

Si les jeunes adeptes de Reddit veulent vraiment des réformes financières et économiques, ils devraient voter pour des dirigeants politiques qui sont contre l’inflationnisme, et n’envisagent pas une deuxième carrière en tant que lobbyiste. Mais au contraire, la plupart des jeunes électeurs sont favorables aux politiciens étatistes des deux partis, qui créent deux ou trois problèmes de plus chaque fois qu’ils affirment en avoir réglé un.

Il est ironique et triste que le fait de réaliser des paris à effet de levier sur des actions surévaluées soit perçu comme une façon de faire passer un message dissident.

Cela va largement au-delà de GameStop…

Il existe des dizaines, peut-être des centaines, de valeurs et de SPAC très médiatisées dont le cours reflète le même raisonnement de base que pour GameStop : beaucoup d’acheteurs savent qu’ils font partie d’une foule portée par un élan, et espèrent se situer en tête du troupeau et vendre avant que cet élan ne s’arrête.

Le résultat final de cette tendance destructrice, c’est un transfert de richesse des derniers acheteurs du troupeau vers les premiers.

Les derniers acheteurs sont les pigeons. Ils se retrouvent avec des actions GME qu’ils ont achetées lorsque la capitalisation atteignait plusieurs dizaines de milliards de dollars. Ils se sont probablement pétrifiés lors du krach de lundi et mardi derniers : GME a clôturé à 325 $, le vendredi 29 janvier, et à 90 $ le mardi 2 février. Jeudi, l’action a fini la séance à 53,5 $, niveau qui avait été dépassé le 22 janvier.

Le fait que le cours de GameStop soit totalement détaché des fondamentaux de l’entreprise est une mise en garde sur les dégâts que provoquent les bulles qui enflent puis éclatent.

Chaque action émise par GME doit être détenue par quelqu’un. Les détenteurs sur le long terme sont probablement contents de détenir une action s’il existe un lien rationnel avec les bénéfices que GameStop est capable de générer. Or les chances que GameStop puisse encore générer des bénéfices substantiels au cours de ce qu’il lui reste à vivre sont assez faibles…

… Et elle n’est pas la seule dans ce cas, comme nous le verrons demain.

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