La Chronique Agora

Démographie et croissance du PIB : quand "plus" n'est pas assez

▪ La Réserve fédérale de San Francisco nous a gratifiés d’une prédiction morose le mois dernier. Ses analystes ont déclaré que les actions enregistreraient probablement des rendements misérables sur les dix prochaines années. La raison invoquée était relativement simple : les actionnaires ne vivent pas éternellement.

« La démographie, c’est le destin », a dit Auguste Comte. « Ça marche aussi dans l’autre sens », aurait-il pu ajouter. Si elle pensait vivre plus longtemps, la classe d’âge la plus importante des Etats-Unis — les baby-boomers — aurait pu continuer à acheter des actions. Au lieu de ça, ils ressentent la froideur du tombeau — qui souffle aussi sur l’économie tout entière. Les baby-boomers prendront leur retraite au rythme de 10 000 personnes par jour sur les 18 prochaines années. Ils vendront leurs actions pour financer leurs pensions.

Les personnes âgées ont toujours été un poids sur l’économie. Les tribus itinérantes les abandonnaient derrière elles. Les Eskimos les laissaient sur la glace. Et les personnes âgées s’inclinaient généralement de bonne grâce devant la fatalité. En temps de famine, par exemple, elles arrêtaient de manger pour que les jeunes puissent vivre.

La mortalité a condamné le marché boursier, déclare la Fed de San Francisco. Les PER seront sans doute divisés par deux. Selon le rapport, il y a peu de chances que les investisseurs voient leurs actions revenir à leurs niveaux de 2010… avant 2027. Et ça en partant du principe que les entreprises américaines verront leurs profits augmenter au même rythme que depuis 1954. Ce qui n’est pas franchement plausible. Parce que la démocratie, l’énergie et le charlatanisme financier entrent aussi en jeu. En commun ou séparément, ils sont responsables de la plus grande débâcle financière de l’histoire.

Il y a quelques jours, Deutsche Bank a sorti son propre rapport. Là encore, on est certain que « l’Age d’Or » — 1982-2007 — est terminé. A sa place, on a un « Age Gris ». Au lieu des gains nominaux de 12,8% de l’Age d’Or, les investisseurs ont obtenu un rendement de -2,8% par an ces quatre dernières années. Deutsche Bank s’attend à ce que les investisseurs boursiers perdent environ 10% de leur argent — en termes réels — sur les 10 prochaines années, tandis que l’économie traversera trois récessions !

▪ Mais fallait-il attendre autre chose ? Tout baisse. Depuis trois ou quatre siècles, la formule gagnante, pour les économies développées et leurs gouvernements, a été simple : toujours plus. Plus d’énergie. Plus de production. Plus de gens. Plus de crédit. Plus de promesses. Cette formule marche depuis si longtemps que les gens ont commencé à penser qu’elle représentait le destin lui-même. Ce n’est pas le cas. Elle est l’esclave du destin plutôt que sa maîtresse.

En 2007, l’esclave s’est révoltée. Le cycle économique a mal tourné. Les populations d’Europe et du Japon déclinent. L’utilisation d’énergie par personne dans le monde développé a plafonné. Le crédit dans le secteur privé diminue. Idem pour la production réelle du secteur privé.

Les autorités ont réagi à ce défi comme à chaque ralentissement d’après-Deuxième Guerre mondiale. Elles en ont fait plus — plus d’argent, plus de crédit. Le gouvernement lui-même a dépensé plus d’argent et utilisé plus d’énergie. Mais l’économie n’a pas réagi comme autrefois.

Il y a une raison évidente à ça : les gens ne sont plus aussi jeunes et insouciants. Les baby-boomers ne se roulent plus de joints — ils se frottent les jointures. Et ils ne sont plus la source d’un boom économique ; ils sont désormais la cause du krach. L’oeil d’un jeune homme peut être attiré par de grosses voitures allemandes et d’élégants costumes italiens. Un vieil homme a du mal à voir tout court.

▪ Il n’y a pas que la démographie, avec ce nouvel Age Gris. Les gens sont soumis à la loi du déclin de l’utilité marginale. Il n’y avait que 450 millions de personnes sur la planète en 1500. Il a fallu 99 000 ans pour atteindre ce niveau. Puis, au cours des cinq siècles qui suivirent, la population a été multipliée par 10. Aujourd’hui, il est difficile de trouver une place de parking dans une grande ville. Comment un tel bond démographique est-il possible ?

Le destin, c’était la démographie. Avec de l’énergie bon marché à portée de main, l’homme pouvait cultiver plus de nourriture. Il pouvait aussi l’expédier dans le monde entier. Et il pouvait exploiter son talent pour fabriquer de meilleures machines, en plus grand nombre… ce qui augmenterait radicalement sa production et son niveau de vie.

Mais l’Age des Machines vieillit aussi. Les premiers tracteurs ont peut-être multiplié la production par 10… 20… 100. Mais les premiers sont apparus il y a plus d’un siècle. Depuis, les améliorations ont été incrémentielles, non pas révolutionnaires. Nous avons des tracteurs plus gros, plus rapides — qui utilisent plus d’énergie.

Parallèlement, l’énergie elle-même est devenue plus coûteuse. Lorsque son prix a grimpé dans les années 70, ça a signé la fin des « Trente Glorieuses » qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. Les salaires horaires ont cessé de croître et n’ont pas grimpé depuis.

Oui, l’énergie abonde. Mais c’est la production nette qui l’obtient grâce à cette énergie qui compte, non la production brute. Si un gallon de carburant coûte 5 $… il doit générer plus de 5 $ de production additionnelle, sans quoi l’économie s’appauvrit.

De la même manière, le crédit est soumis à la loi du déclin de l’utilité marginale. En 1950, un dollar supplémentaire de crédit ajoutait environ 70 cents au PIB. En 2007, l’économie américaine ajoutait plus de 5 $ de dette pour produire un seul dollar de valeur pour le PIB. Aujourd’hui, les nouvelles injections de crédit des autorités produisent un rendement réel négatif.

Le « plus » ne marche plus.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile