Cette extravagance équivaut à peu près à la totalité de la dette américaine accumulée au cours de ce siècle. Mais elle rapporte d’énormes dividendes aux puissants participants : fournisseurs, lobbyistes et politiciens.
Il y a quelque chose de si innocent et de si naïf, dans les révolutions – même les fausses. Comme celle qui consisterait à essayer de rendre aux Etats-Unis leur sa grandeur, par exemple.
L’enthousiasme d’un nouveau départ, d’une nouvelle destination, d’une nouvelle chance de construire un monde meilleur. L’exaltation de s’appeler les uns les autres « citoyens » ou camarades… d’organiser des rassemblements de masse, d’adopter un nouveau salut réglementaire ou de brandir des exemplaires du Petit Livre rouge de Mao. Tout comme le fait de découvrir les paris sportifs en ligne, cela ouvre un monde de possibilités agréables.
Nous nous souvenons du moment où Ronald Reagan a demandé à l’homme d’affaires Peter Grace de « drainer le marais… d’être audacieux ». Il voulait que son équipe travaille comme des limiers infatigables. « Ne laissez rien au hasard dans votre recherche de l’inefficacité. »
Les résultats de l’étude ont été publiés en 47 volumes, en 1984 :
« Les deux tiers de l’impôt sur le revenu des personnes physiques étant gaspillés ou non perçus, 100% de ce qui est perçu est absorbé uniquement par les intérêts de la dette fédérale et par les contributions du gouvernement fédéral aux paiements de transfert. En d’autres termes, toutes les recettes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques disparaissent avant qu’un seul centime ne soit dépensé pour les services que les contribuables attendent de leur gouvernement. »
Mais l’espoir renaît de temps en temps… Et aujourd’hui, notre ami David Stockman veille la nuit pour analyser la situation. Bien après minuit, sa bougie vacillante, il se penche sur le corps obèse des dépenses américaines. Il a déjà trouvé 400 milliards de dollars de « gras » qui pourraient être facilement liposucés du budget américain. Aujourd’hui, il s’est attaqué au muscle de l’Empire : le complexe militaire, industriel, de surveillance et de domination à tous les niveaux.
Il y a trouvé 500 milliards de dollars, soit un demi-milliard par an, qui pourraient être réduits à zéro en revenant simplement à une stratégie « America First » (les Etats-Unis d’abord).
Aucun ennemi sur terre n’est en mesure de lancer une attaque conventionnelle contre les Etats-Unis. Leurs flottes de guerre (qu’ils n’ont pas), construites et soutenues par leurs grandes économies (qu’ils n’ont pas), envoyées par des mégalomanes avides de conquêtes (qu’ils n’ont pas) à partir d’immenses ports militaires en Sibérie ou sur la mer Noire (qui n’existent pas), avec des millions de soldats, des fournitures et des armes sophistiquées (qu’ils n’ont pas) nécessaires pour vaincre la résistance américaine qui seraient repérés du ciel par les touristes et anéantis par les bombardiers, les missiles et les sous-marins américains bien avant qu’ils ne s’approchent de la Californie ou du New Jersey.
La seule véritable vulnérabilité des Etats-Unis est d’ordre nucléaire. Et la réponse à cette vulnérabilité est la triade nucléaire américaine : sous-marins, bombardiers et missiles, tous porteurs d’engins qui font « boum ». Le coût de cette protection représente cependant moins d’un dixième du budget actuel de l’Empire.
Mais le pouvoir est l’aphrodisiaque ultime, comme l’a souligné M. Kissinger. Et une fois que l’on peut s’en tirer à bon compte, il devient irrésistible de peser le plus lourd possible. Vous devenez alors la « nation indispensable » (selon les dires de Madeleine Albright), sans laquelle « rien de bon n’arrive ». Ainsi, au lieu de dépenser, disons, 100 milliards de dollars par an pour une stratégie de défense raisonnable, les Etats-Unis dépensent plus de 1 000 milliards de dollars… et se mêlent d’affaires dont la plupart des Américains n’ont jamais entendu parler.
Il s’agit d’une extravagance coûteuse pour la plupart des Américains, qui équivaut à peu près à la totalité de la dette américaine accumulée au cours de ce siècle. Mais elle rapporte d’énormes dividendes à quelques puissants participants, fournisseurs, pom-pom girls, lobbyistes et politiciens.
Les partisans de la réduction du budget, notamment Musk et Ramaswamy, ont beau avoir le charme et la logique, M. Stockman a les chiffres. Et qui voudrait gaspiller 500 milliards de dollars chaque année ? Cela dit, de l’autre côté, il y a ceux qui touchent ces 500 milliards de dollars… et qui ont tout intérêt à les garder.
Ils utilisent l’argent pour acheter des systèmes d’armes complexes, probablement inutiles, avec suffisamment de « gras » dans les contrats pour soutenir les politiciens, les lobbyistes et les groupes qui plaideront en faveur d’une augmentation de leur nombre. Ils expliqueront qu’il est vital pour la sécurité des Etats-Unis de bombarder même les populations les plus pauvres de la planète, des personnes qui ne peuvent en aucun cas nuire aux Etats-Unis de manière significative. Ils verront l’intérêt d’engager des dépenses encore plus importantes pour contrer des menaces encore moins probables, par des moyens encore plus invraisemblables.
Ils ne veulent pas de révolution ; ils veulent que les choses restent en l’état. Et d’ailleurs, ces gens sont maintenant très bien armés, très bien financés, très bien formés pour infléchir la politique américaine dans leur sens… et ils chercheront bientôt l’adresse du domicile de M. Ramaswamy !
La commission de Peter Grace a remis son rapport en 1986. Quelques-unes de ses recommandations ont été mises en oeuvre, ce qui a permis de réaliser des économies insignifiantes. Les déficits et la dette des Etats-Unis ont continué à augmenter.
Nous verrons bien ce qui se passera cette fois-ci.