La Chronique Agora

Défaillance de l’Etat en matière de sécurité : combien ça coûte ?

La France a beau être l’un des pays où la population est la plus accablée par la fiscalité, la performance de l’Etat en matière de sécurité est catastrophique en comparaison de nos voisins européens.

Par conséquent, je vous propose aujourd’hui d’enfiler les lunettes de Jean-Pierre Pernaut pour nous poser la question suivante : « L’insécurité, combien ça coûte ? »

Rappel : le régalien, c’est entre 60 € et 126 € sur 1 000 € dépensés par l’Etat

Pourquoi cette fourchette ? Tout simplement, parce que l’Etat consacre 60 € sur 1 000 € à ses missions régaliennes, et 66 € à ses dépenses d’administration publique, dont certaines constituent l’indispensable soutien logistique auxdites missions.

Comme le gouvernement nous a gratifié du nouveau site internet www.aquoiserventmesimpots.gouv.fr pour clarifier cette question, je me permets de vous faire profiter de ce graphique :

Dans le détail, la défense, c’est donc (en 2017) 3,1% du budget de l’Etat, la sécurité 2,5%, et la justice 0,4%.

L’Etat met donc 2,9% de son budget (+ un coût additionnel en dépenses d’administration publique) pour traiter les 260 500 coups et blessures volontaires, les 234 300 cambriolages de logements que les Français déclarent annuellement, et le reste.

Ça, c’est ce que nous coûte l’insécurité en amont de sa matérialisation, du fait que la France est tenue d’entretenir un appareil censé dissuader les crimes et les délits. Reste à savoir quel coût engendre ce fléau, une fois les 2 812 270 crimes et délits les plus graves constatés annuellement, sans même parler des délits « mineurs ».

Du coût de la « société de la défiance »…

Sachez qu’il est extrêmement difficile de se procurer des données sur le coût de l’insécurité en France. En fait, je n’ai que deux chiffres à vous proposer.

Il y a tout d’abord celui avancé par Yann Algan et Pierre Cahuc dans leur livre La Société de défiance, publié en 2007. Notez qu’il ne s’agissait pas pour ces deux économistes de chiffrer le coût direct des crimes et des faits de délinquance, mais plutôt d’évaluer la perte de croissance potentielle dans une société où, depuis le traumatisme de la Deuxième guerre mondiale et l’orientation prise à la Libération vers un modèle social étatiste et corporatiste, la confiance entre les individus rétrécit comme peau de chagrin.

Douze ans après la publication de La Société de confiance d’Alain Peyrefitte, voici ce qu’écrivaient Algan et Cahuc :

 « Cette spirale de la défiance a des conséquences économiques et sociales désastreuses. Elle pénalise lourdement l’activité économique – car la confiance mutuelle est essentielle au bon fonctionnement des marchés. En comparant les relations entre les performances économiques et les attitudes sociales dans une trentaine de pays du début des années 1950 à nos jours, nous estimons que le déficit de confiance nous coûte trois points de chômage en plus et cinq pour cent de PIB en moins par rapport aux pays scandinaves, tels que la Suède, dotés d’une confiance bien plus élevée ».

Voilà pour le manque à gagner au sein d’une société où les agents économiques ne se font que très difficilement confiance les uns les autres.

… au coût du crime et de la délinquance

Vient ensuite le coût direct de la délinquance et de la criminalité. Là, les choses se corsent puisque ce sujet est tellement sensible que très rares sont les économistes qui osent se pencher dessus. A vrai dire, je n’ai que les chiffres de l’Institut pour la Justice (IPJ) à vous proposer.

Et pour cause, comme l’explique l’IPJ : 

« Les études globales qui ont été menées sur le coût du crime et de la délinquance depuis la seconde moitié des années 1970 jusque vers la fin du XXe siècle par deux institutions publiques, le Service des études pénales et criminelles (SEPC) puis le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, n’ont en effet pas été poursuivies par l’Office national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) qui est en charge des statistiques dans ce domaine ».

L’ONDRP vivant ses derniers jours, ne comptez pas sur l’Etat pour procéder à une estimation des dégâts…

C’est en 2010 que l’IPJ est venu combler cette lacune en proposant sa première étude globale. Rédigée par l’économiste Jacques Bichot, elle portait sur la période juillet 2008 – juin 2009.

A l’époque, Jacques Bichot concluait :

« La délinquance et la criminalité coûtent environ 115 milliards d’euros par an, c’est-à-dire 5,6% du PIB. En d’autres termes, si nous parvenions à diminuer les infractions de moitié, nous obtiendrions l’équivalent d’une suppression totale de l’impôt sur le revenu ! »

Le 22 avril 2017, l’IPJ nous a gratifié d’une mise à jour de son étude, portant cette fois-ci sur 2015 et 2016, toujours sous la plume de Jacques Bichot, lequel constate que la situation s’est quelque peu… détériorée.

A 234 Mds€, « le coût du crime et de la délinquance représenterait donc un peu plus de 10% du PIB (10,6%, mais ici seul l’ordre de grandeur a un sens). Il s’agit d’un fardeau considérable, largement le triple de l’impôt sur le revenu, dont le produit devrait atteindre environ 72 Md€ en 2016 », déplore-t-il.

Et voici pour le détail des dégâts : 

Source : Institut pour la Justice

Que conclure de ces chiffres ?

Il me semble important de commencer avec un peu de philosophie du Droit.

Comme l’explique Guillaume Nicoulaud, dans une perspective libérale…

« Le rôle de la justice, des lois, des sanctions et de leur mise en application n’est ni de punir (IPJ) ni de réparer (Me Eolas) les crimes commis mais d’éviter que des crimes ne soient commis.  

La justice ne doit pas être un appareil de répression mais un appareil de dissuasion. C’est-à-dire que quand la police arrête un suspect, quand la justice le déclare coupable et quand l’administration pénitentiaire le met sous les verrous, nous n’avons pas affaire à un succès de notre appareil répressif mais à un échec de notre appareil dissuasif : un crime a été commis, quelque part en France, des parents pleurent peut-être leur enfant assassiné. C’est tout sauf un succès, quelle que soit la sanction, quelle que soit la réparation. »

Aujourd’hui, l’Etat consacre autour de 3% de son budget à assurer la sécurité de la population à l’intérieur de son territoire : comptez à la grosse louche 10 Mds€ pour la Justice et 20 Mds€ pour l’Intérieur.

Non seulement le coût de notre appareil dissuasif est une aiguille dans la botte de foin qu’est le budget de l’Etat, mais c’est aussi une paille en comparaison des conséquences financières de la criminalité et de la délinquance, que les rares économistes s’étant penchés sur le sujet chiffrent entre 5% et 10% du PIB, soit entre 117 et 235 Mds€.

Autant dire que notre appareil dissuasif ne l’est pas vraiment, et l’est d’ailleurs de moins en moins. C’en est à se demander si, en matière de sécurité, nos politiques savent vraiment ce qu’ils font. C’est d’ailleurs la question sur laquelle nous commencerons à nous pencher samedi prochain.

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