▪ Richard Koo sait ce qui se passe. Au moins jusqu’à un certain point. C’est un imbécile mais il n’est pas stupide. Selon les termes de Bastiat, M. Koo voit les effets d’une déflation de la dette. Quant aux conséquences « invisibles » des efforts du gouvernement pour remédier à la situation, il ne se donne même pas la peine de regarder.
Il est économiste en chef chez Nomura Research Institute à Tokyo ; il a autrefois travaillé à la Fed. Et au cours des 22 dernières années, il a vécu dans une économie qui semble être plongée dans un sommeil éternel.
Le marché boursier du Japon s’est effondré en 1990. Il ne s’en est jamais remis. Et l’économie, autrefois la plus dynamique du monde, est devenue l’une des moins dynamiques. Au lieu d’être l’économie la plus admirée de la planète, c’est devenu une économie dont les gens se moquaient.
10 ans plus tard environ, nous avons écrit un livre — avec Addison Wiggin — sur la manière dont les Etats-Unis suivaient les traces du Japon. L’Inéluctable faillite de l’économie américaine, tel en était le titre. Comme genre littéraire, nous avions choisi l’apocalypse. Et nos prédictions se sont révélées plutôt exactes.
A l’époque, cependant, personne ne nous a pris au sérieux. L’économie japonaise était moribonde. L’économie américaine était l’économie la plus forte, la plus flexible et la plus dynamique qui ait jamais existé.
▪ Et pourtant… devinez ce qui s’est passé ?
Oh, vous avez une longueur d’avance sur nous, cher lecteur. Vous savez déjà ce qui s’est passé. A peu près au début des années 2000, l’économie américaine s’est embourbée. Depuis, il y a eu peu ou pas de croissance réelle, nulle part. Les revenus des ménages sont inférieurs à leurs niveaux de 2001. Les salaires sont plus bas eux aussi. Le marché boursier est revenu sur ses anciens niveaux… mais si on ajuste au prix de l’or… les investisseurs ont perdu environ 80% de leur argent. Même si l’on tient compte uniquement des prix à la consommation, les investisseurs ont encaissé une perte substantielle. Leurs maisons ont elles aussi perdu de la valeur.
Quel que soit le critère employé ou presque — emploi, PIB réel, prix des actifs –, les Etats-Unis ont connu une « décennie perdue », comme le Japon. Et si l’on en juge par l’exemple nippon, ils perdront aussi la prochaine décennie.
Mais Koo nous rappelle que l’expérience japonaise n’était pas une débâcle intégrale. Grâce aux politiques monétaires et budgétaires contra-cycliques du gouvernement japonais, dit-il, le PIB du pays a continué à se développer (par intervalles)… et le chômage est resté bas.
L’économie japonaise est dans le brouillard depuis 22 ans. Mais au moins ne s’est-elle jamais effondrée, pas plus qu’elle n’est entrée en dépression.
Quel succès !
Eh bien, pas exactement. C’est là qu’entrent en scène les conséquences qu’on ne voit pas.
▪ Une récession de bilan
Koo appelle le dilemme américain… et le dilemme japonais… une « récession de bilan ». Ce phénomène se produit quand le secteur privé a trop de dettes. Il doit les rembourser avant de pouvoir retourner danser. Koo dans le Financial Times :
« Alors que la politique monétaire est largement inefficace et que le secteur privé est contraint d’assainir son bilan, le seul moyen d’éviter une spirale déflationniste est que le gouvernement emprunte et dépense l’épargne non-empruntée du secteur privé ».
« Le Japon, qui a lui aussi lutté contre cette forme de récession de bilan, est parvenu à maintenir son PIB au-dessus du sommet de la bulle de 1990 en dépit du plongeon de l’immobilier commercial et du désendettement rapide du secteur privé parce que son gouvernement a emprunté et dépensé l’épargne du secteur privé. La relance budgétaire dans les pays du G20 après l’effondrement de Lehman Brothers a, de manière similaire, évité un effondrement de l’économie mondiale ».
Lorsque le secteur privé dans son ensemble augmente son épargne (réduisant ainsi les niveaux de dette nette), l’argent doit aller quelque part. C’est à ce moment que les autorités interviennent fort à propos : elles l’empruntent… le dépensent… et cela, d’après Koo, permet d’empêcher une économie de se noyer.
Oh, si seulement le monde réel était aussi net ! Si seulement c’était aussi simple. Si seulement il n’y avait pas tant de conséquences visibles et invisibles ! Alors, peut-être, les économistes pourraient-ils le manipuler… le contrôler… et faire en sorte qu’il fasse ce qu’ils veulent.
Mais voici ce qui se passe vraiment : le secteur privé s’endette trop profondément (en grande partie grâce aux taux artificiellement bas de la Fed et aux politiques de crédit facile). Ensuite, il panique. Il réduit ses dépenses. Les prêteurs — qui accordent trop de crédits — devraient faire faillite. Au lieu de ça, les autorités les renflouent, faisant passer les ressources réelles du public vers des entreprises en faillite et des dirigeants incompétents. La mauvaise dette est transférée vers le public.
Ensuite, le secteur privé… tentant de renforcer l’épargne et d’améliorer sa santé financière… met son argent dans l’endroit le plus sûr possible — les obligations gouvernementales ! Encore plus de dette, en d’autres termes. Le gouvernement prend l’argent et le donne à ses secteurs favoris… ses clients… ses chouchous… ses contributeurs de campagne et ses aimants à votes. Le public serait consterné s’il savait de quelle manière son épargne est utilisée. Mais les gens veulent la sécurité avant tout. Et ils pensent que les autorités seront bonnes pour leur argent ; elles l’ont toujours été. Après tout, si on ne peut pas faire confiance au gouvernement, à qui faire confiance ?
Sauf que ces ressources n’ont pas été épargnées. Elles n’ont pas été investies. Elles ont été gâchées. Elles n’existent plus. A présent, cette nouvelle dette gouvernementale a elle aussi mal tourné. Tous ceux qui comptent sur les autorités pour protéger leur épargne finiront par vouloir récupérer leur argent. C’est à ce moment-là qu’ils seront aveuglés par les conséquences invisibles… et tout le système explosera.