Par Léo Golovine (*)
Il y a à peine un mois et demi, nous avions parlé du dollar, qui venait de faire un record de chute contre l’euro, à 1,41 $ pour la devise européenne. Et voici que de tels niveaux ne sont plus qu’un lointain souvenir, puisqu’on a touché les 1,45 $.
"Quand est-ce que ça va s’arrêter ?!" Jamais. D’aucuns seraient tentés de dire : "mais que fait la police ?" Seulement, le FMI, la Banque mondiale, la BCE, la Fed et tutti quanti ne peuvent pas faire grand-chose contre des forces profondes et importantes. On n’arrête pas l’inondation avec une planche en bois, fut-elle planche à imprimer des billets verts.
Je viens de lire dans un article russe passionnant une analyse fort intéressante sur la hausse vertigineuse des réserves en or et en devises de certains pays (cf. la revue russe Finance, n°40 de 2007). Parmi les principaux détenteurs, il n’y a AUCUN pays occidental. On y voit, dans l’ordre, la Chine (1443 milliards de dollars), le Japon (982), la Russie (425), Taiwan (261), la Corée du Sud (255), l’Inde (223) et le Brésil (162). Les pays BRIC(K) sont tous représentés. Des pays occidentaux, aucun ! La Russie, qui est évidemment au centre de cet article, ne doit plus que 48 milliards de dollars, soit 5% de son PIB (à comparer aux 60% exigés par Maastricht, que bien peu de pays respectent). Alors que les Etats-Unis ont une dette extérieure de… neuf trillions de dollars (!!), le Japon étant à la deuxième place avec 8,5 trillons. Autre curiosité : en proportionnel, le Japon occupe la honteuse deuxième place dans le monde (une dette à 175% du PIB !), après le Liban. Autrement dit, même si le Japon a les deuxièmes réserves mondiales, son cas n’est pas semblable à celui des pays BRICK (Taiwan y compris).
Quelles conclusions à tout cela ? Comme nous le disions déjà dans le précédent article consacré à ce sujet, les Etats-Unis vivent à crédit, et la crise dite du subprime n’est que la première manifestation de la crise financière grandissante. Les affaires Enron, Worldcom ou Arthur Andersen ont peut-être permis d’attirer l’attention sur quelques dérives du "business à l’américaine" (comme l’affaire LTCM a attiré l’attention sur celles des hedge funds), mais là, la crise est plus grave car plus généralisée et plus profonde. Les Etats-Unis peuvent encore financer leur problèmes par le monde entier (puisque détenir des dollars, sans cesse imprimés, revient à payer un impôt mondial, versé à l’Oncle Sam). Mais combien de temps cela va-t-il durer ? Les pays BRICK précités sont de moins en moins otages du niveau de leurs réserves, qui ne sont plus libellés exclusivement en dollars (ainsi, la Russie n’a plus que la moitié de ses réserves en dollars, le reste étant en euros, en livres sterling, en francs suisses, même en yuans, et bien sûr en or). Déjà maintenant, si le signal était donné (et les pays arabes menacent régulièrement de le faire), le dollar pourrait s’écrouler de moitié environ. Ce qui pourrait avoir des effets difficilement calculables aujourd’hui.
Alors que faire lorsqu’on investit en Bourse ? Déjà, faire attention à l’impact du dollar, lorsqu’on sélectionne ses titres, quand il s’agit d’actions ou d’obligations de sociétés américaines, et de sociétés commerçant avec les Etats-Unis ou ayant une part importante de leur chiffre d’affaires ou de leurs achats d’approvisionnement libellés en dollars. Il en est de presque tous les grands groupes de produits de consommation courante, qu’ils soient américains (Gillette, Coca-Cola, Procter&Gamble…) ou mondiaux (Nestlé, L’Oréal…). Les impacts ne sont pas du tout simples à apprécier (sauf à faire de l’analyse financière et comptable très approfondie, ce qui n’est pas à la portée d’un amateur), car certains risques sont couverts par l’utilisation de produits dérivés ; certains marchés sont plus ou moins sensibles à l’aspect monétaire (élasticités-prix très différentes…) ; parfois un impact négatif d’un côté du compte de résultat est compensé par un impact positif de l’autre côté, etc. Donc "dans le doute, abstiens-toi". A long terme, il est difficile de miser sur les titres de ces sociétés, sans une analyse détaillée et professionnelle (et encore, les analystes financiers eux-mêmes se trompent fréquemment). Et il est largement possible de sélectionner des titres moins sensibles à ce phénomène monétaire.
Puis, il faut être prêt à ce que la crise financière, partie des Etats-Unis, s’étende, et mette en péril la croissance mondiale toute entière, pour les cinq-dix années à venir. Il faut bien reconnaître que les Etats-Unis sont un colosse aux pieds d’argile, qui n’a tenu que parce que personne n’osait crier que le Roi est nu. Le dollar est surévalué pour des raisons historiques et politiques, et qui sont de moins en moins valables. Or ce n’est pas en trois secondes que la productivité augmente, l’attractivité d’un pays remonte, la croissance revient. Par conséquent, le dollar est tout bonnement condamné à aller vers 2, voire 2,50 $ pour un euro, d’ici quelques années (mais personne ne peut prédire le rythme et la vitesse de cette chute!). Des positions spéculatives peuvent donc être prises, notamment à la hausse sur des devises plus fortes ; sur les titres des pays émergents (dont, en dépit de la bulle évidente en Chine ou encore en Russie, plusieurs titres gardent des potentiels de progression assez inconcevables en Occident) ; sur certaines matières premières ; sur l’or… On peut aussi jouer à la baisse le dollar, même si certains n’aiment pas tirer sur les ambulances.
Attention, on parle là évidemment du long terme et du très long terme (3-10 années). Mais c’est aussi une durée qui permet de redonner tout son lustre à l’analyse fondamentale. Un groupe comme Gazprom, qui vaut aujourd’hui moins de 300 milliards de dollars, a de quoi aller chercher 1 000 milliards de capitalisation boursière. Ce chiffre magique, souvent évoqué dans les milieux financiers russes, n’a rien de la science-fiction, quand on considère la situation exceptionnelle dont jouit le géant bleu et les très nombreux aspects économiques et géopolitiques qui vont le pousser de plus en plus vers les sommets. Seulement, comme il s’agit du marché russe très volatil (et politiquement risqué), il serait beaucoup trop hasardeux de miser une part trop importante de son patrimoine sur les titres de Gazprom. Si on regarde du côté des small caps, les potentiels d’appréciation sont encore plus importants, certains titres devant "forcément" décupler dans les années qui viennent. Ce qui ne signifie pas qu’il faille se jeter à tête perdue en Russie. La même chose peut être dite de l’Inde, de la Chine, etc. Et même si ces marchés vont encore vivre de lourds soubresauts, leurs perspectives sont bien plus intéressantes que celles de Wall Street (et encore, nous n’avons pas parlé de la bombe à retardement des retraites américaines…).
Enfin, que se passe-t-il dans le monde ? Le cours du dollar n’est qu’un épiphénomène sans grande importance. Ce qui est clair en revanche, quand on regarde l’évolution des cours du pétrole et des autres matières premières, de l’énergie, de l’or, des différentes devises, c’est que tous ces morceaux d’un même puzzle s’assemblent de manière assez claire et morose. L’économie mondiale fait sa mue. Les géants d’hier ne sont pas ceux de demain. Un rééquilibrage s’effectue, et de manière parfois assez violente. Le monde change aussi de paradigme. Si au lendemain de la Seconde guerre mondiale, et jusqu’en 1989, le paradigme était : "Les Etats-Unis tirent le monde occidental et jouent au gendarme du monde, tout en luttant contre l’URSS et le camp soviétique, tandis que le Tiers-Monde est pillé, violé, oublié", la disparition d’une menace collective identifiée, puis l’unification de l’Union Européenne et l’émancipation de plusieurs pays autrefois marginalisés, ont fini par mettre à mal un système qui permettait aux Etats-Unis de joindre les deux bouts, aux frais de la princesse. Le nouveau paradigme qui arrive est celui d’une plus grande mobilité, d’un plus grand cynisme aussi (cf. l’attitude de la Chine et de la Russie), d’une ouverture internationale grandissante et de la disparition progressive de l’Etat en tant qu’acteur économique partout dans le monde.
Ce triomphe apparent du libéralisme économique n’emmène pas toujours hélas celui du libéralisme politique, le "syndrome chilien" étant aujourd’hui visible en Chine et en Russie. Mais c’est là aussi que la revanche de l’Occident pourrait être éclatante, les droits de l’homme et les libertés fondamentales prenant un jour le pas sur de pures considérations mercantiles. Cela dépend uniquement de considérations démographiques et du développement des consciences politiques (et d’un certain hédonisme) dans les pays émergents, dont les populations vont s’accommoder de moins en moins d’un système social défaillant et d’un manque de liberté flagrant. Mais ceci est déjà une autre histoire…
Meilleures salutations,
Léo Golovine
Pour la Chronique Agora
(*) Investisseur de talent, Léo Golovine est trader depuis 14 ans. Au fil des années, il a élaboré une méthode fondée sur une approche méthodique et rigoureuse de l’analyse technique. Les résultats sont là, puisque son système de sélection surperforme largement les marchés depuis 2002 — grâce notamment à une approche inédite de suivi de tendance et de gestion des positions.
[NDLR : Vous n’avez pas fini d’entendre parler de Léo : après une phase de test couronnée de succès, son nouveau service, @Turbos Trader, a été officiellement inauguré le 29 septembre. N’attendez pas pour en profiter à votre tour : des gains à deux chiffres sont à la clé !]