** Nous continuons d’hésiter sur l’interprétation du trou d’air de -6% survenu lundi après-midi en Europe et du minikrach de 9% de Wall Street observé quelques heures plus tard. S’agit-il d’un accident sans lendemain (qui demeurera une grande première historique pour une entame de mois boursier) dont les causes réelles nous échappent ? Ou s’agit-il d’une vaste manipulation destinée à rameuter les vendeurs afin de mieux les piéger ultérieurement en cas de rally de fin d’année ?
La spirale baissière s’est rapidement enrayée mardi matin. Quelques programmes de vente résiduels ont fait reculer le CAC 40 de 2% au cours des premiers échanges. L’indice parisien n’a cependant fait qu’effleurer le seuil des 3 000 points avant de rebondir de 1,5% en début d’après-midi.
Le soupçon de manipulation des cours a ressurgi en début d’après-midi : alors qu’un rebond de 1,5 à 2% des indices américains était anticipé depuis le début de matinée, des rumeurs de poursuite de la glissade à Wall Street ont fait rechuter l’indice CAC 40 en direction des 3 060 points (-0,6%). Fausse alerte, donc, puisque le Dow Jones s’orientait rapidement à la hausse pour gagner 2,7% après deux heures de cotations. Son score s’établissait à 3,75% à la clôture et le S&P reprenait 4% sur les 8,95% perdus la veille.
Témoin de la versatilité des investisseurs, General Electric, véritable baromètre de l’économie américaine, qui plongeait de 10% lundi, les reprenait intégralement en quelques minutes hier. Le conglomérat annonce pourtant qu’il vise désormais un bénéfice par action trimestriel de 50 à 52 cents, dans le bas de la fourchette initiale de 50 à 65 cents. Au final GE s’est envolé de 13,6%.
Avec le sursaut des indices américains, le CAC 40 a repris 100 points en moins d’une heure — une variation tout à fait comparable à la baisse observée la veille en fin d’après-midi. Il a clôturé en hausse de 2,35% à 3 153 points, dans le sillage des valeurs automobiles qui ont bondi de 9,5% sur des rumeurs d’instauration d’une "prime à la casse". Francfort a quant à lui repris 3,1% malgré la multiplication des signaux de récession outre-Rhin.
** L’Allemagne, pourtant très touchée par la crise — la consommation des ménages s’est effondrée de 1,6% au mois d’octobre et la production industrielle dévisse — critique vertement le plan de relance des économies européennes au nom d’une orthodoxie budgétaire qui, pour beaucoup d’économistes, apparaît totalement anachronique.
Angela Merkel invoque des risques de crise ultérieure liée aux déficits publics (d’ici cinq ans)… comme s’il fallait s’attendre à pire à l’horizon 2012/2013. Elle semble ignorer que le Japon survit depuis 15 ans avec un endettement égal à 160% ou 170% de son PIB, que les Etats-Unis verront leur endettement dépasser les 70% en 2009 et probablement 75% en 2010.
Dans un système globalisé, la perte de confiance est une notion toute relative. Puisqu’il faut bien continuer de commercer, la meilleure monnaie de réserve demeure en théorie celle du pays le mieux à même de rembourser ses dettes. Ce n’est pas bien sûr pas aussi simple, l’économie s’est fortement complexifiée depuis les années 30 — qui ont laissé un souvenir cuisant aux Allemands.
L’expérience des 15 dernières années démontre qui si le yen a longtemps fait preuve de faiblesse, c’est parce que sa rémunération était — délibérément — maintenue à un niveau dérisoire (entre 0% et 0,25%), que la croissance était nulle dans l’Archipel, sans oublier le fait que tous les gouvernements nippons depuis le milieu des années 90 se sont ingéniés à torpiller leur devise pour préserver le principal atout du Japon, sa capacité à exporter.
Si les monétaristes qui conseillent — et que suit — Angela Merkel avaient raison, alors le yen aurait dû connaître depuis longtemps le triste sort de la livre turque, du rouble ou du baht thaïlandais à la fin des années 90, du peso argentin en 2002 ou de la couronne islandaise en 2008 !
Le principal péril que redoutent les marchés, c’est un cycle de déflation des actifs (immobilier, dettes des entreprises, actions). Le mouvement semble bien amorcé : on enregistre un recul de 0,8% des prix à la production dans la Zone euro en novembre, tandis que l’inflation est à -1% en Allemagne.
Si la spirale négative s’enclenche, si le chômage explose, si les tensions sociales s’exacerbent en Occident, si le plan de relance des Etats-Unis échoue — tandis que le Pakistan devient un Afghanistan bis, mais avec l’arme nucléaire en plus –, alors les cambistes, les épargnants et les retraités du monde entier se ficheront bien de savoir si le budget de l’Allemagne est à l’équilibre. En effet, l’euro et le dollar auront été depuis longtemps arbitrés au profit de l’or, un actif non périssable et qui, de surcroît, a tout à gagner de la baisse des taux actuels.
Nous proposons le sujet suivant pour les bacheliers qui ont choisi la section économie : "Dans une économie-monde pourrie par le vice de la création monétaire, comment un pays ‘vertueux’ peut-il espérer s’en tirer… tout seul ?".
** Face à la chute de l’inflation en Zone euro, la BCE et la Banque d’Angleterre devraient baisser leurs taux ce jeudi. La Banque centrale d’Australie a spectaculairement réduit son taux directeur de 100 points de base, à 4,25%, au plus bas depuis six ans. Le gouverneur de la Banque centrale a précisé que sa politique monétaire était désormais expansionniste.
Mais la reprise des investissements ne se décrète pas, surtout dans une île-continent aussi dépendante du cours des matières premières. Nous ne saurions trop vous conseiller de lire ou relire les récentes Chroniques de Dan Denning pour qui le bush et l’outback n’ont plus aucun secret… surtout lorsque les plus grands trusts miniers de la planète parviennent à localiser un nouveau gisement de cadmium, de cobalt ou d’uranium.
Pour l’heure, la spéculation sur les commodities continue de se dégonfler à Londres, Chicago ou New York : de nombreux hedge funds ne passeront pas la fin de l’année fiscale et achèvent de liquider ce qui peut l’être. De ce point de vue, l’effondrement du baril sous les 48 $ est éclairant… au moins autant que la flamme d’une lampe à pétrole.
Philippe Béchade,
Paris