La Chronique Agora

De l'avidité à la crainte

** C’est la fin du monde tel que nous le connaissons — et nous allons bien. Vraiment.

* En général, les marchés se débrouillent pour avancer, jour après jour. Mais parfois, leur coeur s’emballe ; leurs mains se mettent à trembler. Ils ne dorment plus de la nuit et commencent à faire les cent pas. Lorsque cela se produit, c’est que l’une de ces deux émotions s’est emparée d’eux : la crainte ou l’avidité.

* L’avidité a rendu les investisseurs idiots pendant de nombreuses années. A son sommet — probablement en 2006-2007 — les gens étaient prêts à faire les choses les plus absurdes avec leur argent. M. et Mme Tout-le-Monde ont acheté une maison supplémentaire — certains que son prix grimperait. Les maîtres de l’univers se sont vendu mutuellement la dette de M. et Mme Tout-le-Monde. De riches investisseurs donnaient leur argent à des gestionnaires de hedge funds — et leur versaient des centaines de millions de dollars pour qu’ils le jouent en bourse. D’autres payaient des fortunes à des dirigeants pour que ces derniers conduisent des entreprises auxquelles ils ne comprenaient rien droit dans des murs de brique qu’ils n’avaient pas vus venir. Mais durant de nombreuses années, tout le monde s’enrichissait — pourquoi se plaindre ?

* A présent, la crainte est de retour.

* Retardée… niée… dénoncée… la crainte est de retour — et elle est furieuse.

* Cette semaine, la panique s’est installée. Les marchés ont chuté, chuté et chuté. Le pétrole a un peu grimpé. Le dollar est resté stable. Et l’or a augmenté. Les revendeurs disent avoir du mal à répondre à la demande de pièces d’or. Pas étonnant ; les investisseurs intelligents veulent se mettre à l’abri.

* C’est la guerre totale, en d’autres termes, et les forces de l’inflation battent en retraite — elles sont même en déroute.

* Les investisseurs attendent la moindre nouvelle comme des télégrammes du front. Le Dow se tiendra-t-il à 8 000 ? La Fed va-t-elle baisser ses taux ? Nos soldats peuvent-ils repousser les Huns ?

** Les nouvelles tombent vite — trop vite pour qu’on puisse tout absorber. La Russie a prêté quatre milliards d’euros à l’Islande — "on verra plus tard pour les termes [du prêt]", a déclaré la Russie. Le pays injecte également 37 milliards de dollars dans ses propres banques. L’Angleterre affirmera qu’elle viendra au secours de ses établissements bancaires — avec 50 milliards de livres sterling de valeurs, et 200 milliards supplémentaires en prêts. L’Angleterre… les Etats-Unis… l’Europe… Tous ont baissé leurs taux pour essayer d’alléger la crise. Pendant quelque temps, on aurait dit que cela avait réussi. Puis les marchés ont recommencé à chuter.

* Aux Etats-Unis, la Fed affirme qu’elle rachètera le "papier commercial" ; en d’autres termes, elle rachètera les prêts accordés aux sociétés américaines… ou prêtera l’argent directement aux entreprises en difficulté. Et pas uniquement les sociétés financières. General Motors a annoncé qu’elle débranchait toutes ses usines de production européennes.

* Le malheureux lumpeninvestisseur ne sait pas quoi penser de tout ça. Il lui semble qu’hier encore, on lui disait que tout allait bien. C’est ce qu’affirmait Alan Greenspan. Et Hank Paulson. Et Ben Bernanke. Et George W. Bush. Les Etats-Unis ont l’économie la plus forte au monde. Ils sont imbattables. Leur économie est si dynamique ! Notre secteur financier est si inventif ! Nous sommes si intelligents ! Les Japonais peuvent bien vivre avec une crise qui dure depuis 20 ans, si ça leur chante. Les Européens semblent ne jamais pouvoir accélérer leur économie. Mais nous, les Américains, nous savons comment faire ronfler les moteurs — il suffit de donner plus de crédit au consommateur !

* Mais lorsque le cycle passe de l’avidité à la crainte… tout ce crédit agit comme un excédent de carburant lors d’un atterrissage en catastrophe. Il a tendance à exploser. Lorsqu’une banque subit une perte — à cause de ses positions en dette subprime, par exemple — le système de réserve fractionnelle jette des étincelles. Une perte de 100 millions de dollars fait partir en flammes jusqu’à 1,5 milliard de dollars de crédit. A mesure que le crédit disparaît, il en va de même pour l’effet de levier qui maintenait les prix des actifs au plus haut. A ce jour, cette année, le monde a perdu 20 000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Voilà pourquoi les autorités perdent cette bataille — elles ont beaucoup moins de puissance de feu. Elles viennent d’approuver une loi permettant de remettre 700 milliards de dollars dans le système — en rachetant les erreurs de Wall Street. La Fed prête 900 milliards de dollars supplémentaires, selon les derniers articles. Additionnez tous les plans de renflouement, vous n’obtiendrez même pas 10% de la somme que M. le Marché a avalée.

* Oui, tout fonctionne contre nous, désormais… le crédit… le système bancaire… et nos propres émotions.

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