La Chronique Agora

De l'art de faire passer un tsunami pour une fontaine d'intérieur japonaise

** De nombreux investisseurs ont un peu de mal à suivre le cheminement des indices boursiers depuis qu’ils ont cessé d’obéir à une logique directionnelle depuis les premières séances du mois de mai.

Nous vous avons exprimé à de nombreuses reprises notre grande perplexité face à une hausse de 30% à 40% des bourses occidentales sur fond de contraction symétrique des volumes d’échanges au cours de la période considérée. Cependant, vous vous en doutez, nous avions bien, et depuis le début, notre petite idée à ce sujet.

L’explication technique est quelque peu aride mais nous avons levé un coin du voile mardi matin : nous vous avons en effet relaté l’anecdote de la plainte déposée par Goldman Sachs à l’encontre d’un programmeur (il s’agit en réalité d’un génie des mathématiques et de l’informatique de très haut niveau) accusé d’avoir dérobé les éléments vitaux d’un programme expert destiné au trading en période d’effervescence (et même de panique) boursière.

** Manifestement, Goldman Sachs y tient beaucoup, à son petit programme… et de notre côté nous tenons beaucoup à ce que vous compreniez pourquoi. Pour nous aérer un peu les idées avant de nous plonger dans le vif du sujet — et parce qu’il s’agit d’une très utile mise en condition –, commençons par nous repasser le film de la séance de mardi, qui a été pleine de surprises.

La journée avait débuté sur une note de fermeté, les opérateurs européens se sentant rassurés par le sursaut de Wall Street lundi soir, même si les causes n’en étaient guère évidentes. L’Euro-Stoxx 50, le FT 100, le CAC 40 n’ont pas tardé à reprendre 1%, culminant à l’heure du déjeuner. C’est alors que les futures (S&P et Nasdaq) se sont retournés à la baisse — sans catalyseur identifiable — pour ne plus ressortir du rouge.

Ni le sursaut du CAC 40 jusque vers 3 112 points ce mardi, ni celui du Dow Jones lundi soir (auquel il faisait suite) n’étaient annonciateurs d’une embellie durable. Les acheteurs à bon compte ne sont pas là, malgré une série de séances de correction depuis le 2 juillet. Dès la reprise des cotations, les indices américains ont confirmé leur inflexion baissière, ce qui a pesé lourd de ce côté-ci de l’Atlantique. Le Dow Jones perdait ainsi rapidement 50 points, puis plus de 100 points, avant d’en terminer au plus bas, en repli de 1,95%.

Les valeurs de croissance du Nasdaq 100 ont été laminées. Moins de 10% d’entre elles ont échappé à la correction (elle se chiffre à -2,3% en moyenne) ; le titre AIG a continué de faire l’objet d’un jeu de massacre qui dure depuis une semaine et remet un coup de projecteur sur les pertes abyssales liées aux CDS (credit default swaps).

D’abord lié aux prêts subprime, nous voyons écumer à l’horizon un nouveau tsunami : la nouvelle vague qui enfle est provoqué par l’effondrement de la faille des emprunts institutionnels ayant pour sous-jacent les surfaces commerciales.

Les galeries marchandes se vident, désertées par les consommateurs : un tiers des boutiques ont déjà fermé leurs portes dans les centres commerciaux californiens. Les tours de bureaux des centres-villes sonnent de plus en plus creux avec leurs milliers de "plateaux" inutilisés parce que les sociétés financières qui les occupaient ont soit fait faillite, soit réduit leurs effectifs de moitié.

** Alors que Wall Street amplifiait ses pertes mardi soir, le dollar reprenait progressivement de la hauteur (+0,5% à 1,393/euro), soutenu par son statut — bien illusoire — de valeur refuge (ce qui n’est pas très bon signe pour les marchés d’actions).

En plus de ce qui précède, les opérateurs font état d’une certaine appréhension à la veille de la publication des trimestriels d’Alcoa (+1,6% ce mardi après -6% lundi soir). Le leader américain de l’aluminium donnera en effet ce mercredi le traditionnel coup d’envoi de la saison des résultats aux Etats-Unis.

Après la divine surprise d’avril (deux tiers de profits supérieurs aux prévisions), les analystes anticipent cette fois-ci une contraction de 34% des résultats des entreprises du S&P 500 au deuxième trimestre. Ils prévoient également un fléchissement de 21% au troisième trimestre, avant un rebond providentiel et salvateur de 61% au quatrième trimestre.

Un tel rebond nous apparaît fort peu probable. Vous connaissez notre point de vue à ce sujet, et ce n’est qu’une opinion parmi tant d’autre… mais attendez !

** Il semblerait que nous ne soyons pas seuls à douter de l’émergence d’une reprise aux Etats-Unis. La crise est bien plus sévère que la nouvelle administration ne le supposait (les républicains nous auraient-ils caché la vérité en fin de mandat ?) — c’est le vice-président Joe Biden qui l’affirme.

Par ailleurs, Laura D’Andrea Tyson, une des très proches conseillères économique de Barack Obama, estime qu’il faudrait envisager l’élaboration d’un nouveau plan de relance à base de grands travaux d’infrastructure et de stimulus fiscal !

Cette proposition est d’ores et déjà controversée : il y a six mois, la rumeur d’une injection de liquidités destinées à soutenir l’emploi aurait fait bondir Wall Street de 5%. Aujourd’hui, elle ne fait bondir que Rick Santelli, le bouillonnant chroniqueur de CNBC qui arpente le parquet du New York Stock Exchange (il couvre l’ouverture des marchés américains en direct).

Rick constate que les banques ne veulent pas — et ne peuvent pas — participer à la relance en prêtant davantage… sauf à creuser encore un peu plus leur propre tombe avec des crédits qui ne seront pas remboursés. Il s’insurge par ailleurs contre la mise en oeuvre d’une nouvelle machine à creuser des déficits fédéraux.

Les Etats-Unis n’ont plus les moyens de charger la barque, à moins de prendre le risque de faire couler le dollar. Selon nous, c’est probablement le but recherché… mais pas au prix d’un krach monétaire, et pas avant qu’une solution alternative ne soit trouvée pour permettre au commerce mondial de tourner rond avec moins de billets verts.

** A propos de déficits, celui du commerce extérieur tricolore s’est réduit au mois de mai à 2,718 milliards d’euros, contre 3,841 milliards d’euros en avril. Cette amélioration s’explique par une forte hausse des ventes aéronautiques (Salon du Bourget oblige) et une réduction du déficit dans le secteur des biens intermédiaires, le plus souvent importés de Chine.

En Allemagne, le volume des commandes à l’industrie a grimpé de 4,4% en mai après une hausse de 0,1% enregistrée en avril… Cela n’a pas empêché le DAX 30 de perdre 1,15% et d’enfoncer les 4 600 points mardi soir.

Le Royaume-Uni continue quant à lui de s’enfoncer dans la récession. La production industrielle britannique a reculé de 1,8% en rythme séquentiel sur le trimestre clos fin mai ; c’est une contraction de 12,3% en rythme annuel — ce qui s’appelle de la dépression dans tous les bons manuels d’économie classique !

** Et ceci nous ramène au mystère de l’envol — sans volumes — des indices boursiers évoqué en début de chronique. L’une des raisons en serait que de très nombreux opérateurs sont hors jeu depuis l’affaire Lehman, tandis que Goldman Sachs aurait considérablement accru son emprise sur les marchés en systématisant l’usage de programmes de trading ultrarapides, pouvant générer des milliers d’ouvertures et de fermetures de positions à la minute comme lors de classiques phases de panique boursière.

L’une des conséquences — à moins qu’il ne s’agisse de la véritable finalité –, c’est la saturation des carnets d’ordres à une cadence qui rend toute intervention aléatoire pour un opérateur expérimenté… mais ne disposant que de ses 10 doigts et de deux ou trois téléphones pour transmettre ses instructions aux opérateurs de saisie.

Et que dire de l’illusion d’une bouillonnante cascade de transactions boursières — alors qu’il ne coule plus en réalité qu’un mince filet de liquidités, sans cesse réinjectées dans le même système en vase clos… à l’image d’une fontaine d’intérieur japonaise ?

… la suite jeudi.

Philippe Béchade,
Paris

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