La Chronique Agora

Dark Pools – A walk on the wild side (of Finance)

dark pools

Quelques explications bienvenues sur l’un des secteurs les plus opaques – et les plus puissants – de la finance actuelle.

Les Dark Pools, vous connaissez ? Si ce n’est pas le cas, vous devriez.

Enfin, en théorie, ça vaut le coup d’oeil en tout cas. Parce les informations les concernant sont rarissimes, difficiles à dénicher et rarement relayées par les médias. Sans doute pour que vous ne preniez pas conscience de ce qui s’y cache car j’avoue… ça fait peur !

Âmes sensibles qui croient en la transparence du marché, à la libre circulation des informations et à un monde équitable – abstenez-vous de lire ce qui va suivre !

Dark Pools, quésaco ?

En deux mots, un Dark Pool c’est une Bourse privée. Un endroit bien gardé. Une plateforme réservée aux institutionnels qui s’échangent sous le manteau principalement des blocks (de gros paquets) de valeurs mobilières (actions, obligations, produits dérivés…).

Le tout en dehors donc des marchés officiels réglementés. Autrement dit, à l’abri du regard du public qui ne peut donc pas savoir ce qui s’y passe. L’opacité la plus complète y règne.

Ce n’est pas pour rien que nos amis anglo-saxons les ont baptisées Dark Pools. Traduction toute personnelle : une piscine dans laquelle vous ne voyez pas le fond. Vous ne pouvez donc pas savoir ce que les institutionnels traficotent sous la surface.

A ce stade, on peut penser que si les autorités de régulation ont laissé faire, c’est qu’il s’agit d’un épiphénomène qui ne remet pas en cause les sacro-saints principes d’efficience et de transparences des marchés financiers modernes.

Les Dark Pools : estimés de 35% à 40% des transactions réalisées aux Etats-Unis

Eh bien non, raté. Le pourcentage de transaction réalisées dans les Dark Pools est gigantesque. Il est estimé de 35% à 40% aux Etats-Unis !

Les données à ce sujet sont rares et difficiles à obtenir, puisque dépendantes du bon vouloir desdits Dark Pools à les communiquer (eh oui, ce sont des plateformes privées…). Le rapport le plus complet et sans doute l’un des plus fiables sur le sujet a été édité mi-2017 par Bloomberg – mais en anglais, je vais donc vous le commenter.

Ce qui en ressort est, entre autres, exprimé par le graphique ci-dessous. A lui tout seul, il a de quoi faire tomber bien des illusions sur la façon dont le marché fonctionne. La part du volume réalisé dans les Dark Pools (en bleu) surclasse, et de loin, le volume constaté sur le NYSE ou Euronext. Oups…

Un autre rapport, un peu plus ancien et émanant de la FINRA (Financial Industry Regulator Industry) confirme cette estimation.

Notez que suite à cette initiative de la FINRA, beaucoup de Dark Pools ont décidé de ne plus communiquer sur leurs activités. Vous aurez donc beau chercher, vous ne trouverez plus que des données éparses, incomplètes. En tout cas, ne permettant que très difficilement d’avoir une vue d’ensemble du sujet.

Et les Dark Pools en Europe alors ?

En Europe, toujours selon Bloomberg, les échanges réalisés via les Dark Pools sont grosso modo équivalents à ceux réalisés par les réseaux bancaires classiques.

Mais qui utilise les Dark Pools ? Pas vous et moi, bien évidemment… mais les grosses mains.

Donc, logiquement, les lobbies soutiennent les Dark Pools. Leur argument ? Les Dark Pools sont flexibles et que les énormes volumes d’échanges n’étant pas connus du public, ils ne viennent pas déséquilibrer le marché.

Ben oui. Evidemment.

Les Dark Pools ou comment préparer des coups en douce

Imaginons que vous appreniez qu’une banque d’investissement de premier plan – appelons-la la DeutscheGoldmanStanley – est en train de liquider ses participations dans une des entreprises phares du CAC 40.

Cela entraînerait une réaction négative du reste des opérateurs et donc du marché. Ca serait ballot que vous en ayez conscience !

Surtout si, comme par hasard, ces mouvements étaient réalisés avant une mauvaise publication de résultats…

… Car les traders, voyant les volumes de ventes exploser sur leurs écrans, se douteraient peut-être que quelque chose ne va pas et solderaient eux aussi leurs positions. Si on ne peut plus préparer des coups en douce sans que cela se sache, mais où va le monde !
[NDLR : Assez de vous faire voler l’avantage par les initiés des marchés ? Il existe un système qui vous permet d’anticiper les grands mouvements boursiers… et de faire des profits dignes de pros : cliquez ici pour tout savoir.]

Donc, suivant les arguments des grosses mains, il est important que tout cela puisse se faire sous couvert. Et là, je ne sais pas si vous l’avez senti, mais nous venons de toucher du doigt un deuxième problème, potentiellement irritant.

Les Dark Pools : la base arrière des programmes algorithmiques

Une autre face cachée des Dark Pools – et sans doute la plus importante – c’est qu’elles servent de base arrière à l’exécution des programmes algorithmiques, notamment sur produits dérivés.

Si vous êtes un trader travaillant au sein sur une Dark Pool et que vous voyez que DeutscheGoldmanStanley se prépare à prendre des positions massives à la vente sur un indice ou une action alors que le marché ne bouge pas… que seriez-vous tenté de faire ?

Eh bien, vous allez reprogrammer vos ordres et vos algos en fonction, afin de profiter vous aussi du mouvement. Et tant qu’à faire, l’amplifier ! Elle est pas belle, la vie ?

Les Darks Pools sont quand même pointés du doigt mais…

C’est très vilain et illégal. Mais ce « lapin » a été levé, entre autres, par Michael Lewis dans son livre Flash Boys.

Alors oui, des condamnations ont déjà été prononcées à l’encontre de quelques Dark Pools (notamment contre celles de Deutsche Bank, Barclay, Credit Suisse…)… Mais les montants sont tels, pour les lobbies, qu’ils préfèreront toujours payer une amende que se priver d’une aire de jeu si libre !

Voilà donc pour un petit tour très rapide d’un panorama volontairement simplifié de ce qui se passe sur les marchés financiers – et dont on ne parle que très peu, mais qui reste néanmoins très important.

Maintenant, vous comprenez sans doute pourquoi.

A noter que les organismes de contrôle semblent un peu se réveiller. Par exemple en Europe, certaines des dernières directives MiFID II devraient essayer de restreindre certaines fonctions des Dark Pools. Le but ? Les obliger à fournir des informations additionnelles et en limitant certains « comportements » d’algorithmes de trading.

[NDLR : Retrouvez d’autres articles de Gilles Leclerc – et de bien d’autres spécialistes des marchés boursiers – dans La Bourse au Quotidien : n’hésitez pas, l’inscription est gratuite !]

Gilles Leclerc

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