Trump est-il l’homme providentiel qui doit restaurer la grandeur des Etats-Unis – ou, comme tant de chefs avant lui, celui qui accompagnera leur chute ?
« Je suis le roi des rois, Ozymandyas. Si quelqu’un veut savoir à quel point je suis grand et où je repose, qu’il surpasse l’une de mes œuvres. » – Diodorus Siculus
Les nations peuvent subsister. Les Chinois seront toujours des Chinois. Les Turcs seront toujours en Turquie. Et les Français seront toujours parmi nous.
Mais les empires naissent et disparaissent, leur durée de vie n’étant que de 250 ans en moyenne. Une visite au cimetière impérial nous permettrait de voir les pierres tombales des Assyriens, des Mèdes, des Ashantis, des Aztèques, des Austro-Hongrois… et ainsi de suite. (Et peut-être même les « deux vastes jambes de pierre sans tronc » décrites par Shelley.) Ils parlaient des langues différentes. Ils avaient des politiques commerciales et d’immigration différentes. Certains étaient riches. D’autres étaient pauvres.
Ce qu’ils ont tous en commun, c’est qu’ils sont morts. Ils dorment parmi les ombres. Ils sont tous partis.
Comment les empires meurent-ils ?
Le sujet est étudié depuis de nombreuses années. Par les historiens. Par les poètes. Par des fanatiques religieux et des intellectuels scientifiques. Diodore s’est penché sur la question au Ier siècle avant J.-C. Il a affirmé avoir trouvé l’inscription ci-dessus sur le tombeau de Ramsès II en Egypte. Cette inscription inspira plus tard le célèbre poème de Shelley.
Bien qu’il n’y ait pas de réponse unique à la question de savoir ce qui les tue, les avis convergent sur les deux principaux facteurs de destruction des empires : l’argent et l’armée. Trop peu du premier, trop du second. Dans certains cas, les catastrophes naturelles ou démographiques jouent un rôle. Mais en général, la mort d’un empire a des causes humaines.
Les catastrophes provoquées par l’homme ont besoin de Grands Chefs qui les y conduisent. Alexandre a guidé ses troupes jusqu’au Gange et au Nil… installant ainsi une dynastie macédonienne en Egypte que Diodore, un Grec de Sicile, a pu visiter. Il y est arrivé juste à temps. La dernière des souveraines ptolémaïques fut Cléopâtre, qui commit l’erreur de prendre Marc-Antoine pour amant et allié. Cléopâtre pourrait être décrite comme un véritable « instrument de l’Histoire », car elle a contribué à mettre fin au groupe qui avait régné sur l’Egypte pendant 275 ans. Puis, lorsque Octave a vaincu Antoine à la bataille d’Actium, tout était fini, non seulement pour elle et Antoine, mais aussi pour les Grecs d’Egypte. Un autre empire – l’empire romain – a pris le relais en 30 avant J.-C.
Ce qui nous amène à notre Donald J. Trump. Il est le Grand Chef… le César d’aujourd’hui. L’Etat…c’est lui !
Nous savons ce qu’il dit vouloir faire. Ses partisans (ou du moins certains d’entre eux) pensent qu’il a été épargné par Dieu pour le faire. Mais Dieu voit grand. A long terme. En termes historiques, sans se limiter au cycle électoral. Et à ce stade du voyage de l’empire américain – après avoir balayé tous les autres pendant près de 250 ans – nous devons nous demander… qu’est-ce que Donald J. Trump est vraiment censé faire ? L’amener à une gloire encore plus grande ? Ou bien accomplir le cycle de vie naturel de tous les empires, c’est-à-dire l’aider à se tourner vers le passé plutôt que vers l’avenir ?
Si les Etats-Unis devaient devenir un empire encore plus grand et plus fort, ils devraient d’abord éviter de se ruiner. Il s’agit-là d’une menace relativement évidente… et relativement facile à éviter. Du point de vue du chef d’entreprise, il suffirait d’insister pour que les dépenses correspondent désormais aux entrées, ce que 100 millions de ménages américains sont capables de faire chaque année. Il pourrait même citer notre vieil ami Sid Taylor en guise d’avertissement : « Lorsque vos dépenses dépassent vos revenus, vous maintenir mène à votre perte. »
Le secrétaire au Trésor de Donald Trump, Scott Bessent, a déclaré que l’objectif de l’administration était de retirer des ressources au gouvernement afin de donner au secteur privé une chance de se développer. S’il cherchait vraiment à porter l’empire à de plus hauts sommets, Donald Trump en ferait sa priorité numéro un et opposerait son veto à toute dépense alourdissant la dette américaine. La force de l’économie pourrait alors permettre à l’empire de connaître de nouveaux succès.
Bien entendu, il appartiendrait au Congrès de décider où procéder à des coupes. Cela aussi serait facile, en théorie… mais politiquement difficile. De petites coupes dans les programmes de dépenses intérieures, y compris la mise sous condition de ressources des prestations sociales, des pensions et des soins médicaux, suffiraient à aligner les dépenses intérieures.
Plus facile encore : les dépenses militaires/étrangères pourraient être réduites de moitié – soit une économie de quelque 500 Mds$ – simplement en se concentrant sur une défense intérieure « America First » (les Etats-Unis d’abord). Mais dans la presse vendredi, on pouvait lire ce titre remarquable dans le Daily Express :
« Trump lâche une bombe : ‘La Crimée restera pour la Russie’ et exhorte l’Ukraine à céder. »
Ce qui est étonnant, ce n’est pas que la Crimée doive appartenir à la Russie. A l’origine, elle a été annexée aux Turcs par Catherine la Grande en 1783… à peu près au moment où les Américains ont « annexé » les colonies de l’empire britannique.
Ce qui est incroyable, c’est qu’un président américain pense qu’il lui appartient de trancher la question. Qui l’a élu président des Criméens ? Parle-t-il l’une des principales langues de la péninsule ? Pourrait-il la situer sur une carte ? Pourquoi pense-t-il que c’est à lui de choisir leur gouvernement ?
C’est ce genre de « démesure impériale » que les dieux punissent. Avec les fortes augmentations du budget militaire, les guerres commerciales, le chaos, l’incompétence et les déficits qui se rapprochent des 2 000 Mds$ par an, il semble que le véritable objectif de l’équipe de Trump soit de détruire l’empire, et non de lui redonner sa grandeur.
Se pourrait-il que M. Trump soit aussi devenu, sans le vouloir, un instrument de l’Histoire ?