La Chronique Agora

Le cul entre deux chaises

banques centrales

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, selon le consensus – et les banques centrales. Mais si c’est bien le cas… pourquoi ne pas normaliser la politique monétaire et commencer à résorber l’océan de dettes actuel ?

Ce n’est jamais agréable d’avoir le cul entre deux chaises. Mais, dans le cas présent, c’est un cas d’école, et elles s’y sont mises toutes seules !! Je parle des fesses des banquiers centraux, bien sûr.

Les banques centrales sont coincées entre un relèvement des taux – pour répondre à des anticipations justifiées ou pas d’inflation – et un statu quo pour ne pas casser le modèle économique basé sur la dette… et surtout, le plus important, cette ambiance de foliiiiie où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, tout le monde est un génie, tout le monde tweet quand il faut, fait exploser des trucs qui ne valent rien.

Moins cela a de valeur, plus le prix est élevé, tout le monde peut s’installer devant un écran, utiliser l’argent que distribue l’Etat, mettre un levier maximum devenir rapidement ultra riche sans effort !! Enfin ça, c’est sur le papier. La réalité étant parfois plus cruelle…

Mais revenons à nos moutons…

Certains, prenant l’air inspiré, parlent de tapering, d’autres scrutent le langage corporel des banquiers centraux, d’autres encore lisent dans les entrailles du poulet dominical pour augurer la date à laquelle les banques centrales réduiraient l’impression monétaire et même renverseraient totalement la vapeur en montant les taux.

Posons les bonnes questions

La question ne serait-elle pas plutôt de savoir si les Etats-Unis seront en mesure de soutenir une croissance positive de leur PIB en l’absence de nouveaux stimulants chaque année ?

Ou, plus inquiétant : que se passera-t-il si la Fed était contrainte de réduire les taux maintenant, alors que les anticipations inflationnistes sont au plus haut ?

Quelles seront les conséquences sur les monnaies (je dis les monnaies, car la Fed n’est pas la seule banque centrale à être dans cette situation) ? Comment les marchés vont-ils réagir lorsqu’ils se rendront compte que la Fed n’a aucun moyen de sortir de l’impasse dans laquelle elle s’est fourrée ?

Ce sont les questions inconfortables auxquelles les dirigeants politiques et économiques comme les marchés devront répondre dans les mois à venir.

A chaque fois que la Fed a eu un choix à effectuer, elle a pris la mauvaise décision. Déjà en 1937, lorsque, croyant l’économie repartie, elle avait commencé à remonter les taux, remettant aussitôt l’économie à genoux. Seule la Deuxième Guerre mondiale sauvera la situation.

Ou, plus récemment, en 1998, avec la garantie des banques engagées dans la faillite de LTCM.

Puis, à partir de 2000, lorsqu’elle a ouvert en grand les vannes de la planche à billets (avec un grand coup d’accélérateur en 2008) pour ne jamais les refermer, ce qui a fait enfler la dette pour un résultat artificiel en apparence positif, mais en réalité nul voire négatif sur la croissance économique.

En mars 2019, j’écrivais :

« M. Powell marche dans les traces de Mme Yellen et alors qu’il s’interrogeait sur le niveau considéré comme neutre à 3,5%, il restera finalement à 2,5%. Il a même donné l’assurance aux investisseurs, tout comme son collègue européen, que s’il se passait quelque chose sur les marchés – autrement dit si les principaux indices chutaient –, la Fed serait là pour les soutenir. »

Que fait la police ?

Personne ne se pose les bonnes questions et, rassérénés par ces informations, les robots-algorithmes achètent à tours de bras.

Si l’économie des Etats-Unis est en surchauffe (comme l’ont écrit certains que je ne nommerai pas par charité chrétienne)… s’ils sont au plein-emploi, si la croissance est forte et solide… si un taux neutre est à 3,5%… si les revenus grimpent plus vite que l’inflation… si les tensions inflationnistes sont inquiétantes… alors… que fait la POLICE ???

Pourquoi une telle réticence à la normalisation ? Pourquoi rappeler qu’on est là en cas de pépin, alors que tout va si bien ? Nous aurait-on induit en erreur ? Aurait-on abusé du maquillage d’une situation en réalité beaucoup moins glorieuse que publiée ?

En outre, comme la prévision n’a jamais été le fort de ces institutions, toujours en retard de plusieurs trains, il est plus que probable que M. Powell réagisse à des données actuelles plutôt que sur la base d’indicateurs avancés.

J’ai décrit de multiples fois la situation américaine réelle : les chiffres du chômage n’ont rien à voir ceux publiés officiellement, les revenus réels sont en baisse, la réindustrialisation n’existe pas, le marché de l’emploi se précarise et se caractérise par un basculement vers des emplois à temps partiel – pour la classe d’âge des plus de 60 ans, ce sont des emplois de service (barmen, serveurs) avec des salaires très faibles et peu de protection.

La classe moyenne américaine a été liquidée par Obama.

Les ménages américains ne fonctionnent qu’à la dette depuis 30 ans, mais avec une nette accélération depuis 2007, uniquement pour maintenir leur niveau de vie.

La Fed, toujours à côté de la plaque

C’est dans ce contexte qu’après neuf hausses de taux, Powell s’est rendu compte qu’un taux de 2,50% n’était pas viable pour l’économie américaine.

Il réduira d’abord les taux trois fois au cours de la crise des pensions de l’été 2019 – déversant des centaines de milliards dans une sorte de QE qui ne voulait pas dire son nom – pour ensuite réduire à nouveau les taux directeurs de 1,75% à zéro en quelques jours, après l’apparition du Covid sur la scène mondiale, conduisant à un arrêt du jour au lendemain de l’économie américaine et mondiale.

La Fed ainsi que les autres banques centrales nationalisent les marchés et injectent des milliers de milliards de liquidités sur le marché. Elles se japonisent.

De son côté, la Chine a entre ses mains à peine 4% de la dette publique américaine, contre 8,5% en 2011. On constate en outre que ce sont les pays alliés des Etats-Unis qui restent les créanciers les plus importants (en particulier le Japon).

En fait, les trois quarts de la dette sont désormais localisés aux Etats-Unis et répartis de la façon suivante : 49% sont détenus par des investisseurs privés et des collectivités locales, 28% par des agences publiques, et 23% font partie des actifs de la Réserve fédérale.

Lorsque l’on voit la manière dont se sont passées certaines des dernières adjudications – qui ont fait un flop – le pourcentage détenu par la Reserve fédérale va prendre une part de plus en plus prépondérante dans la détention de la dette.

Ce dernier point mérite qu’on s’y attarde, car le bilan de la banque centrale ne cesse de gonfler, grimpant de 870 milliards au début de la grande crise financière en août 2007 à 7 700 milliards en mars 2021.

A suivre…

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