La Chronique Agora

Croissance négative, dette, chômage : le véritable héritage de Ben Bernanke

▪ Les historiens se pencheront sur la période actuelle avec émerveillement et stupéfaction. D’une manière ou d’une autre, non pas une mais trois générations d’économistes et de dirigeants se sont convaincus de choses qui ne pouvaient pas être vraies ne serait-ce qu’une minute.

« Pas assez de demande », disent-ils, en nous livrant ainsi une analyse pénétrante des taux de croissance moroses actuels.

« Nous devons fournir de la demande », ajoutent-ils, comme si la demande était des oranges. Il suffit de charger le camion en Floride et de les amener à New York. Simple comme bonjour.

On dirait presque que le monde a été créé simplement pour que son créateur puisse rire aux dépens des économistes simplets.

« Regardez-les », nous a-t-il semblé entendre, une voix de stentor descendant des cieux. « Ils ajoutent de la demande qui n’existent pas afin que les gens fabriquent des produits à destination de clients qui ne peuvent pas les payer. Mouahahaha ! »

Nous abordons ce sujet parce que les journaux commencent à donner leur avis sur « l’héritage » de Bernanke. En deux mots, ils ont oublié que lorsqu’on s’est retrouvé dans le pétrin en 2008, Ben Bernanke n’avait pas la moindre idée de ce qui se passait. Ils ferment les yeux sur le fait que Bernanke pensait que la bulle hypothécaire était inoffensive… et que l’économie continuerait à bien performer alors même que les prix de l’immobilier coulaient. Les journalistes sont aussi prêts à ignorer le fait qu’il a présidé à la reprise la plus faible de l’histoire.

▪ Quand le remède est pire que le mal
Ils ne voient que le bon côté de la médaille, et manquent totalement le revers. Le résumé le plus répandu du mandat de Bernanke à la tête de la Fed est le suivant : « il nous a sauvé d’une nouvelle Dépression ». Personne ne semble se soucier — du moins à ce stade du processus — qu’il l’a fait en causant un problème pire encore. Et que ses expériences ont mené les Etats-Unis à un taux de chômage réel de 13%, une croissance réelle négative, des taux d’intérêt réels négatifs et 4 000 milliards de dollars de réserves supplémentaires dans le système bancaire… qu’il faudra prendre en compte tôt ou tard.

Ces chiffres surprendront probablement la plupart des lecteurs. Le chiffre officiel du chômage américain, par exemple, est aux alentours de 7%, non 13%. Mais si vous pensez que seuls 7% de la main-d’oeuvre potentielle sont sans emploi, vous vous mettez le doigt dans l’oeil. Ce n’est pas comme ça que ça marche.

Au lieu de ça, si vous perdez votre emploi et que vous ne pouvez pas en trouver un autre, c’est que vous êtes « découragé » — et on vous exclut alors du bassin de main-d’oeuvre. Remettez-y les gens qui ont abandonné, et le véritable chiffre du chômage US est de 13%.

Une bonne partie de ce que nous tenons pour acquis, en termes de croissance du PIB US ces 30 dernières années, ne s’est pas vraiment passé. C’était une croissance fantôme… causée par la distorsion des chiffres de l’inflation et de la production. Il est impossible de savoir combien de croissance réelle il y avait (tout dépend de vos hypothèses de départ). Mais si l’on ôte toutes les ruses et les distorsions, la croissance réelle en termes de PIB par personne est certainement négative sur les 10 dernières années, et probablement négatives sur toute la période entre les débuts de Ronald Reagan à la Maison Blanche et hier.

Si c’est bien le cas, les éléments qui dépendent de la production — la dette et les actifs — sont probablement largement surévalués aussi. Eux et une bonne partie de la demande de biens et de services depuis 1980 n’ont été rendus possibles qu’en creusant la dette, une chose qui ne peut durer éternellement. Le prochain marché baissier réglera la situation. Les prix des actifs chuteront radicalement. Le niveau de vie, porté par une marée de dette qui dure depuis 30 ans, baissera. Ce sera là le véritable héritage de M. Bernanke.

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