La Chronique Agora

Vers une crise grave de la dette US (3/3)

Une allocation d’actifs à moyen/long terme doit se fixer comme priorité la couverture du risque souverain US et donc de ses conséquences sur les actifs corrélés à ce risque.

Hier, nous avons vu que la faiblesse de l’économie chinoise n’était pas un obstacle à la dédollarisation. Elle a plutôt remis en cause le modèle de développement chinois basé sur l’accumulation de réserve de changes (principalement en dollars US).

L’internationalisation du yuan (et donc à fortiori de ce qui constituerait un panier de monnaies BRICS) est aujourd’hui inexistante avec un poids dans les paiements mondiaux autour de 3,5% en total décalage avec le poids du PIB chinois. Mais un tel décalage est tellement anormal que l’internationalisation de la monnaie chinoise peut s’accélérer très vite.

La Chine sait que son arme majeure pour mettre un terme à l’hégémonie du dollar serait de convaincre l’Arabie saoudite d’exporter une fraction de sa production en yuan, et d’inciter ainsi les autres pays producteurs de pétrole à suivre le mouvement. C’est la raison pour laquelle avait été lancé, fin 2015, un contrat à terme sur le pétrole sur le Shanghai Futures Exchange. Pour l’instant, les initiatives chinoises n’ont pas été couronnées de réels succès.

En effet, si les exportateurs de pétrole (ou demain d’autres matières premières stratégiques) vers la Chine reçoivent des paiements en yuan, ils sont aujourd’hui obligés de conserver ces yuans non convertibles. Soit ils achèteront des produits chinois (ce dont ils n’ont pas forcément besoin), soit ils constitueront des réserves de change en monnaie chinoise (ce dont ils n’ont pas forcément envie). La seule façon de faire disparaître ces contraintes serait une décision de convertibilité totale et irréversible du yuan sur le marché des changes. En effet, cette décision permettrait aux pays exportateurs de matières premières d’utiliser librement les revenus de leurs produits libellés en yuans. Dès lors, la monnaie chinoise s’internationaliserait rapidement et deviendrait enfin un vrai substitut au dollar.

Comme l’écrivait récemment Patrick Artus de Natixis : « Il y a toujours eu une monnaie dominante, et le remplacement d’une monnaie dominante par une autre monnaie, par exemple de la livre sterling par le dollar après la Première Guerre mondiale, se fait rapidement et brutalement quand la nouvelle monnaie dominante a davantage les caractéristiques nécessaires que l’ancienne. »

Troisième base fragile : la fin de la monétisation systématique de la dette publique

L’argument de la banque centrale pouvant monétiser directement ou indirectement la dette publique de son pays (ou des pays de sa zone monétaire) par l’impression de monnaie n’a de sens que si l’on considère que la banque centrale en question peut mettre en place un QE, quels que soient les fondamentaux économiques. Nous savons que ce n’est pas possible.

Nous sommes rentrés dans un cycle de politique monétaire officiellement restrictive de part et d’autre de l’Atlantique (mars 2022 pour la Fed, juillet 2022 pour la BCE). Ce cycle a essentiellement porté sur le prix de la liquidité (avec les différentes hausses des taux directeurs). Mais on peut continuer à durcir sa politique monétaire, non plus en agissant sur le niveau du prix de la liquidité (les mouvements sont faits), mais en agissant sur le volume de la liquidité ; c’est-à-dire poursuite de la baisse du bilan de la banque centrale par la destruction de monnaie et la baisse des réserves excédentaires des banques, ce qui, toutes choses égales par ailleurs, maintient le coût de la liquidité à un niveau élevé.

Voici donc sans doute où nous en sommes en termes de politique monétaire aux Etats-Unis (et également en zone euro).

Le mouvement de hausse des taux directeurs est terminé. Mais il ne faut pas s’attendre en 2024 – et peut-être même au-delà – à un assouplissement de la politique monétaire, avec la mise en place d’un cycle de baisse des taux directeurs. Au contraire, il faut sans doute anticiper un maintien de politiques monétaires restrictives, en diminuant les excès de liquidité dans les systèmes bancaires (donc en agissant non plus sur le prix de la liquidité bancaire – c’est déjà fait – mais sur le volume de la liquidité bancaire).

C’est donc maintenant que le marché des obligations d’Etat US perd son dernier soutien (la Fed), si l’on considère que la liquidité banque centrale sera moins abondante pour investir en titres d’Etat.

Directement, car cette liquidité banque centrale ne servira plus à acheter de la dette publique – et c’est même le contraire qui doit continuer à se produire à travers le quantitative tightening. Il s’agit pour la banque centrale de retirer de la liquidité en vendant des titres d’Etat (ceux achetés pendant certaines phases de fort stress sur les marchés et même après) dans un contexte de politique monétaire qui doit rester restrictive.

Indirectement, puisque cette baisse de la liquidité banque centrale (représentée par le total bilan de la Fed, ce que l’on appelle en macroéconomie la base monétaire) va faire baisser les réserves excédentaires des banques commerciales et donc la demande de ces mêmes banques lors des adjudications du Trésor (paradoxalement au moment où les besoins d’émissions de dette publique vont battre des records).

De manière générale, il est enfin temps de repenser la gestion d’actifs financiers. La classe d’actifs souverains n’est plus la classe d’actif sans risque, et il y a de moins en moins de raisons que l’obligataire souverain réputé « sûr » (au premier rang desquels les Treasuries US) puisse continuer à jouer son rôle de valeur refuge. Il est temps de trouver de nouveaux refuges.

Une allocation d’actifs à moyen/long terme doit se fixer comme priorité la couverture du risque souverain US et donc de ses conséquences sur les actifs corrélés à ce risque. Ainsi, une allocation optimale doit surpondérer les actifs réels au sens large au détriment des actifs financiers traditionnels en général et des obligations d’Etat en particulier. Nous en reparlerons dans un prochain papier.

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