La BCE a tenu des réunions et promis la mise en place d’un nouvel outil pour empêcher l’effondrement de la monnaie unique. Elle ne peut cependant pas résoudre les problèmes fondamentaux de l’euro.
Comme je l’ai expliqué maintes fois, l’euro n’est pas viable et ira de crise en crise jusqu’à l’explosion finale. Parmi les indicateurs très suivis par les gouvernements, autorités monétaires et analystes financiers permettant de mesurer la « divergence » entre les économies de la zone euro, figure le spread. Il s’agit de la différence entre les taux d’intérêt des obligations à 10 ans des différents émetteurs souverains de la zone euro.
Or, sur cet indicateur, la « divergence » est orientée à la hausse.
Signal d’alarme européen
Une première alerte a retenti en juin dernier, lorsque le spread entre l’Italie et l’Allemagne a approché les 240 points de base mi-juin (avec un taux à 10 ans italien de plus de 4%, contre 1,6% pour l’allemand), provoquant une réunion en urgence de la BCE. Les annonces qui s’en sont suivies n’ont pas permis de le réduire significativement et durablement.
L’institution de Francfort a donc dû calmer les marchés avec une seconde réunion qui s’est tenue le 21 juillet. Celle-ci a débouché sur la présentation d’un nouvel « instrument anti-fragmentation » baptisé « IPT » pour « Instrument de protection de la transmission », destiné à empêcher les spreads de se creuser entre pays du Nord et pays du Sud. Dans la foulée de la 2e réunion, le spread entre l’Italie et l’Allemagne est redescendu à 200 points de base aux alentours du 5 août.
Mais il n’y a pas cinquante façons de calmer durablement les craintes des marchés sur la solvabilité des pays du Sud de la zone euro. La seule façon est que la BCE rachète sans limite leur dette, par ailleurs en constante expansion. Or ce rachat est contraire à l’esprit des traités de l’Union européenne et aux exigences des pays du Nord qui refusent l’aléa moral qui en découle.
Aussi, l’IPT ne peut-il que déplaire aux dirigeants allemands, néerlandais, autrichiens ou encore finlandais. C’est la raison pour laquelle, pour ménager ces derniers, la BCE a conditionné l’emploi de l’IPT à l’application d’une rigueur budgétaire toujours accrue, et à l’utilisation des différents leviers dont dispose la Commission européenne pour contraindre les finances publiques des Etats membres. L’IPT se résume donc à ceci : un endettement sans fin des pays du Sud contre une rigueur budgétaire elle-même sans fin.
Point n’est besoin d’être grand clerc pour comprendre que cela ne peut durer.
La dette italienne attaquée
Une fois dissipés les effets anesthésiants des réunions et promesses de la BCE, les problèmes fondamentaux ont resurgi.
Comme cela est toujours le cas sur les marchés financiers, des spéculateurs s’attaquent à un maillon faible, repéré depuis belle lurette : en l’occurrence celui du « PEG » (lien administré) de 1 pour 1 entre l’euro-créance sur la banque centrale d’Italie et l’euro-créance sur la Bundesbank allemande. Ces derniers mois, les fonds spéculatifs ont accumulé le plus gros encours de vente à découvert de la dette souveraine italienne depuis la crise de 2008. Certains parient sur la hausse du coût de la dette italienne, d’autres sur l’élargissement du spread avec la dette souveraine allemande.
L’annonce de l’IPT – qui n’est, à leurs yeux, qu’un énième artifice de communication des européistes – ne les a guère effrayés. Les spéculateurs considèrent fondamentalement que l’Italie est le maillon faible de la zone euro et que son économie est particulièrement vulnérable à l’interruption des livraisons de gaz russe. Le FMI a par exemple estimé que le PIB italien pourrait se contracter de 5% dans un tel contexte.
La victoire, à la fois dramatisée et orchestrée par les médias, de la coalition Meloni-Berlusconi-Salvini le 25 septembre dernier aux élections législatives, a provoqué un court pic de fièvre sur le taux italien qui a atteint 4,62% le 27 septembre, avant de revenir au niveau de 4,00% le 4 octobre, une volatilité qui signe la nervosité des marchés.
C’est du reste le niveau qui avait déclenché la réunion d’urgence de la BCE du mois de juin ! Sans doute quelques fonds spéculatifs ont-ils pu déboucler des positions à cette occasion avec de substantiels profits. Sur le front du spread, la situation est tout aussi problématique, avec un niveau de 243 points de base atteint le 5 octobre.
Hors d’Italie, d’autres dangers
La menace de l’IPT semble donc sans effet jusqu’à présent. Soumise aux pressions des Etats du nord de la zone euro, Christine Lagarde a en outre entamé la crédibilité de l’IPT en déclarant le 26 septembre que la BCE ne l’activera pas pour alléger les coûts d’emprunts des Etats membres si ceux-ci grimpent en raison d’« erreurs » de politique intérieure.
La défiance structurelle des marchés financiers mondiaux vis-à-vis de la survie de l’euro ne concerne pas, au passage, que l’Italie. D’autres pays surendettés comme la France ont vu aussi leur spread s’élargir avec l’Allemagne. Si les évolutions constatées des spreads se prolongent, il ne fait pas de doute que la crise de l’euro va revenir à la une des journaux dans les semaines à venir. Cette nouvelle crise ne pourra se résoudre, provisoirement, qu’en tordant à nouveau le bras des dirigeants des pays du Nord.
Ces derniers se retrouveront dans une situation de plus en plus impossible politiquement, et d’autant moins gérable qu’ils assistent, par ailleurs, au creusement inexorable des soldes Target 2 qui témoignent des déséquilibres des balances des paiements intra-zone euro. La dette Target 2 de l’Italie a d’ailleurs atteint un nouveau record de 640 Mds$ fin juillet 2022.
Comme le dit l’adage boursier, « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ». Sauf à croire au Père Noël, il arrivera fatalement un moment où cette divergence explosera, conformément à toutes les lois de la nature et de l’économie.
La grave détérioration des économies de la zone euro et le mécontentement actuel des peuples pourraient en accélérer l’inéluctable éclatement.