▪ »La chasse aux bonnes affaires se poursuit », prétendent quelques gérants qui interprètent la récente débâcle indicielle comme un simple accident de parcours. L’enquête de la SEC concernant le « flash-krach » du 6 mai dernier n’a en effet permis de mettre en évidence aucune cause identifiable — ni dysfonctionnement des systèmes, ni transactions erronées, ni cyber-attaque informatique.
Traduit en langage courant, tout ça équivaut à un « circulez, y’a rien à voir, reprenez vos activités comme s’il ne s’était jamais rien passé ».
Ayons une pensée compatissante pour les milliers d’investisseurs dont les comptes ont été liquidés informatiquement en une poignée de minutes lorsque la couverture des positions s’est avérée insuffisante. Certains trackers indiciels ont perdu 60% de leur valeur ; une longue liste de titres de premier plan a perdu plus de 20%… et jusqu’à 99,9%.
Pour tous les opérateurs utilisant un levier relativement modeste de quatre ou cinq (ce que permet en France le système du SRD), l’aventure boursière s’est arrêtée jeudi dernier à 20h45. Et c’est juste « de la faute à pas de chance » selon la SEC !
Avouez franchement que la roulette ou le black-jack, c’est une façon plus honnête et plus ludique de perdre son argent… Et en misant 20% de sa cagnotte au maximum à chaque coup, cela dure bien plus longtemps que les cinq minutes qui ont suffi à ruiner les spéculateurs qui n’ont pas eu le temps de rentrer des stops dans leur ordinateur un peu avant 20h40.
Au casino, les jeux sont faits… à Wall Street, ce sont les joueurs qui ont été refaits ! Et la vidéosurveillance n’a rien détecté d’anormal, sinon la présence d’un peu d’électricité statique dans les ordinateurs du NYSE en début de soirée jeudi dernier.
▪ En réalité, il s’est passé tellement d’événements hors norme entre 20h30 et 22h le 6 mai dernier que des dizaines de millions de transactions devraient être annulées. Des centaines de milliers de comptes devraient être re-crédités, les épargnants liquidés malgré eux » remboursés et leurs portefeuilles reconstitués… Cependant, il faudra des semaines pour traiter toutes les réclamations, une tâche titanesque en perspective avec probablement une majorité d’insatisfaits à la clé.
Pendant ce temps-là, cela fait un sacré paquet d’investisseurs hors-jeu. Cela nous rappelle un peu ce grand classique de l’arnaque qui se pratiquait dans les tripots clandestins pendant la prohibition.
Alors que les clients s’enhardissaient autour de la table de roulette et que les piles de billets et de jetons commençaient à couvrir les tapis verts, un complice des patrons du « clandé » hurlait : « sauve qui peut, y’a une descente de police ! Vite… tirez-vous par l’issue de secours sinon tout le monde va en prendre pour cinq ans ».
Les clients, voyant débouler des comparses en uniforme, détalaient dans une panique soigneusement organisée, laissant leur mise sur les tables de jeux !
Il ne restait plus aux escrocs qu’à mettre l’argent dans des sacs et filer le compter aux Bahamas. Les gogos devaient pour leur part trouver une excuse pour convaincre leur épouse que leur dernière paye devait être entre les mains d’un pickpocket, vu que leur portefeuille avait disparu en rentrant de faire des « heures sup' » au boulot.
Essayez donc aujourd’hui de convaincre les millions d’anonymes qui ont vu disparaître 10% de leur épargne — ou l’intégralité, pour ceux qui utilisent des produits à effet de levier — « sans cause connue » qu’ils n’ont pas été victimes d’un coup fourré !
▪ En Europe se prépare un autre coup fourré sur commande, non pas à l’encontre des actionnaires mais des contribuables — et plus largement à l’ensemble des citoyens de pays jugés surendettés.
Selon Greg Ribbs, un des directeurs de la Royal Bank of Scotland, si les marchés continuent de réclamer l’instauration de la rigueur pour se rassurer, cela revient à « exiger des ponctions insupportables sur l’activité pour rembourser une dette aux origines odieuse (les pertes subies sur les dérivés de crédit) de telle sorte qu’un appauvrissement généralisé est garanti, aussi bien pour les débiteurs que pour les créanciers ».
Le problème n’est pas la taille de la dette (celle du Japon représente deux années de PIB) mais le poids qu’elle fait peser sur le pouvoir d’achat des ménages. Ainsi l’Amérique n’a jamais été aussi prospère — et euphorique — que dans les années 50.
Sa dette atteignait pourtant 121% du PIB US en 1946 avant d’être ramenée à 31% en 1974 (fin de l’ère Nixon)… et pas moins d’une douzaine d’Américains avaient posé le pied sur la Lune, tandis que la coûteuse guerre du Vietnam venait juste de s’achever. Dans ce désendettement des Trente Glorieuses, la contribution du facteur inflation a été aussi importante que celle de la croissance.
Trente ans plus tard, les créanciers ont du souci à se faire avec le risque de dégradation des dettes souveraines de la quasi-totalité des pays du Vieux Continent. Ils vont exiger des rendements obligataires plus élevés, mais les banques centrales refuseront de modifier les taux (de les augmenter).
Pour éviter un krach obligataire — un scénario qui n’est pas qu’une vue de l’esprit ni un scénario théorique car cela s’est déjà produit fin janvier 1994 –, la BCE n’aura d’autre choix que de racheter les bons du Trésor en circulation dans les pays de la Zone euro. Ou plus clairement, de monétiser la dette de la même façon que la Fed ou la Bank of England depuis l’automne 2008 ; c’est ce que les économistes baptisent pudiquement l' »assouplissement quantitatif » pour éviter que le commun des mortels ne réalise que les banques centrales sont en train de dynamiter le pouvoir d’achat de leur monnaie par le biais des taux réels demeurant durablement négatifs.
▪ Et nous avons assisté hier à une nouvelle glissade de l’euro. Il vient d’inscrire un nouveau plancher annuel à 1,2530 contre le dollar, provoquant une consolidation du CAC 40 jusque sur 3 720 points en fin de matinée puis de nouveau en début d’après-midi. L’indice parisien n’a cessé par la suite d’osciller autour du point d’équilibre pour en terminer sans direction, en repli de 0,06%, dans un volume qui poursuit sa contraction, à 3,2 milliards d’euros… mais beaucoup d’opérateurs étaient absents.
Francfort a au contraire mis les bouchées doubles en grimpant de 1,1% (à 6 256 points) pour se rapprocher à 1% près de son zénith annuel alors que Paris en est encore à plus de 9%. D’où provient ce miracle allemand ?
Difficile de ne pas s’interroger sur un phénomène de vases communicants au détriment de la Bourse de Madrid (-1,1%), de Lisbonne et Milan (-0,75%)… sans parler d’Athènes qui chutait de 1,9%.
Difficile aussi de ne pas interpréter le maintien de l’or à proximité des ses sommets absolus comme la preuve que ni l’euro, ni le « pétrole papier » (-1,5% à 74,5 $), ni les actifs délétères cotées à Wall Street (qui chutaient de 1% en clôture jeudi) n’inspirent plus confiance aux vrais initiés.