La Chronique Agora

Comprendre le mal qui détruit nos sociétés

Mario Draghi

Les banquiers des banques centrales détiennent le pouvoir mondial. Ils créent, ils distribuent, ils jonglent avec les milliards. Ils ont réussi à se garantir l’impunité totale, l’irresponsabilité et même au-delà puisque les critiquer ou attenter à leur indépendance est interdit. 

Qui a élu les Greenspan, Bernanke, Powell, Trichet ou Draghi ? Personne !

Pourtant ils fixent les taux d’intérêt, c’est-à-dire le rapport entre le présent et le futur. Ils manipulent les valeurs des monnaies les unes par rapport aux autres. Ils jonglent avec les prix des actifs, avec la valeur des patrimoines, avec le taux d’inflation et beaucoup d’autres choses encore, moins visibles, plus mathématiques, comme par exemple le risque.

Qui leur a donné ces pouvoirs que je qualifie souvent de démiurgiques ? Qui les a instaurés comme apprentis sorciers ?

Ce n’est pas Alexander Hamilton, le premier secrétaire au Trésor US et ardent défenseur de finances nationales solides. Ce ne sont pas non plus les pères fondateurs de la Fed.

Si les promoteurs du Federal Reserve Act de 1913 pouvaient revenir sur Terre pour voir le résultat de leur œuvre, le choc les tuerait une seconde fois ! A l’époque, le Congrès américain avait envisagé une institution qui devait fonctionner dans le contexte de l’étalon-or international. Il ne faut pas l’oublier.

Cela signifiait que le dollar était défini par un poids fixe d’or. Le vieux Carter Glass, le défenseur de la Fed au Congrès, avait réprimandé les critiques lorsqu’ils avaient osé suggérer qu’il tentait de remplacer le dollar en or par un bout de papier vert.

Eh bien, c’est ce Glass lui-même qui est responsable de la majeure partie du mal qui a suivi. Le préambule législatif de l’acte que Woodrow Wilson a signé en 1913 décrit un projet de loi « visant à fournir une monnaie élastique, afin de permettre l’escompte de billets de trésorerie, d’établir un contrôle plus efficace des opérations bancaires aux Etats-Unis et à d’autres fins ».

Ces autres fins sont rapidement devenues les fins principales.

L’avènement de la répression financière

A peine l’Amérique est-elle entrée dans la Grande guerre que la Fed a prêté main forte pour faciliter le placement des emprunts du gouvernement destinés à payer les dépenses.

Au moment où le système a célébré son 30ème anniversaire, en 1943, la banque centrale a arrimé les taux d’intérêt afin de supprimer le coût de financement d’une guerre encore plus intense.

C’est ce que l’on appelle répression financière, dont j’ai déjà souvent parlé.

La répression financière est un outil des gouvernements pour financer les guerres — et quand je vous répète que nous sommes en guerre, je ne blague pas. L’autre outil, je vous en parle souvent : c’est le mensonge, la fin de la Vérité.

La répression financière, c’est ce qui a été instauré lors de la crise de 2008. Cela permet de quasiment annuler le coût des dettes et, symétriquement, de supprimer la rémunération des épargnants.

Par la décision de mise en place de la répression financière, les banquiers centraux font des cadeaux par centaines de milliards aux emprunteurs et à tous ceux qui ont accès au crédit, les ultra-riches. Et, en face, ils spolient tous ceux qui économisent, qui épargnent pour leur retraite ou pour installer leurs enfants. Ils brisent, ils pulvérisent une régulation, un équilibre séculaire.

Les banques centrales ont ainsi, ni vu ni connu, pris des milliers de milliards de dollars/euros/yens/livres/etc. dans la poche des uns pour les transférer dans la poche des autres. C’est l’une des causes de la forte montée des inégalités mais chut, c’est un secret !

La vraie guerre…

La vraie guerre, c’est en effet… contre vous. C’est vous l’ennemi, c’est vous qu’il faut défaire.

Sautez une autre génération. En 1971, le dollar est devenu le bout de papier non collatéralisé que Carter Glass a nié être. C’est Nixon qui a coupé le lien qui rattachait le dollar à l’or ; il a fermé ce que l’on appelle la fenêtre de l’or, il a protégé le stock d’or américain. Il avait bien compris à quel point l’or était précieux puisque c’est la monnaie des rois, celle qui permet de payer vraiment, c’est-à-dire d’éteindre les dettes.

Nixon a choisi en fait de ne plus payer les dettes américaines, de les transformer en bouts de papier, en dette à perpétuité – ce que bien sûr il ne faut pas dire non plus.

Vous remarquerez que Nixon a choisi de protéger le stock d’or américain contre les demandes du général de Gaulle, par exemple, et que s’il l’a fait c’est parce que l’or est ce qu’il y a de plus précieux… mais pour vous, pauvres idiots, l’opération a été présentée non pas comme une sacralisation ultime de l’or mais comme sa dévalorisation, sa démonétisation ! Ah, les braves gens.

On vous dit qu’il ne vaut plus rien, qu’il est bon pour la poubelle, au titre de relique barbare, mais on conserve bien précieusement celui que l’on a et on n’y touche plus.

C’est ainsi que la gestion monétaire discrétionnaire, arbitraire, sans règle par les anciens professeurs d’économie, les PhD [« doctor philosophiae« , intitulé le plus courant d’un diplôme de doctorat de recherche aux Etats-Unis, ndlr.], est devenue la nouvelle technique de fonctionnement de la Fed.

L’étalon-or était mort. Vive l’étalon PhD. Le doctorat le PhD est devenu l’étalon ; le dollar, comme je le dis souvent, c’est l’étalon PhD.

A suivre

Comprendre le mal qui détruit nos sociétés, 2ème partie

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