La Chronique Agora

Comment stopper la spirale des prix ?

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Les autorités continuent d’espérer une solution miracle. Mais il faut toujours que quelqu’un supporte les pertes…

En 2009, pour éviter l’effondrement de la finance et des institutions qui y sont liées, nous sommes entrés dans un monde extraordinaire, et non-conventionnel comme il a été dit.

Comme je l’ai expliqué, une fois que vous êtes entrés dans ce monde, il n’est plus possible de sortir ; on peut faire son check-in, mais pas son check-out. Ce monde extraordinaire est un monde de signes, monétaires et financiers. C’est une aventure dont on ne revient pas. Une descente dans le terrier du lapin blanc, où tout est possible, le pouvoir des démiurges est sans limites, et ils ne connaissent pas les contradictions, la pesanteur, ou la mort.

Quand on a pénétré dans ce monde, on a retiré l’échelle qui nous a fait descendre dans le terrier, on a brûlé ses vaisseaux. C’est une route à sens unique.

Du crédit sur du crédit

Pourquoi ? Parce que tout ce qui est fait – baisse des taux, accumulation de dettes, empilement de risques, usure du capital, inflation des patrimoines – laisse des traces. Toutes les actions constituent des mouvements de flux, mais ces flux s’inscrivent dans les bilans, ils s’immobilisent, ils laissent des cicatrices. Dans les inventaires, dans les bilans comptables, dans les bilans économiques et financiers, dans les bilans mémoriels humains, dans les apprentissages, et dans les structures.

Et ce sont ces traces qui font que l’on ne peut plus faire marche arrière, qui font que le système n’est plus réversible. On est dans les lois de la thermodynamique, avec comme seul horizon la falaise de Sénèque.

Il faut sans cesse aller de l’avant et continuer coûte que coûte. Surtout dans un système à la John Law où la création de monnaie et de crédit est fondée sur l’inflation continue du prix des gages et autres collatéraux, et non sur les cash-flows. La hausse des prix des actifs solvabilise les créations de crédit, lesquelles solvabilisent les hausse des prix des actifs. Ce système a besoin pour tenir de l’effet de richesse perpétuel et de l’effet Ponzi.

Pour que vous compreniez cette notion de trace, revenons au cas de SVB.

Elle a géré la situation convenablement, quoi que les autorités en disent ; elle avait des dépôts et, face à ces dépôts, il fallait bien qu’elle mette quelque chose. Elle a investi dans les actifs considérés comme les moins risqués du monde : les obligations du Trésor américain.

Elle a investi à un prix, mettons de 100. Ces actifs les moins risqués valaient 100, parce que les taux administrés par la Fed étaient quasi nuls ; mais quand la Fed a voulu faire son check-out de la politique de taux nuls, alors les valeurs des actifs de SVB se sont effondrées. C’est mécanique. C’est la trace de la politique non conventionnelle ; la trace, c’est le prix de 100 dans le bilan de SVB. Puis, quand il a fallu constater que ce prix avait chuté à 80, par exemple, la crise s’est révélée.

Quand le risque devient réalité

Est-ce que SVB pouvait échapper à cette crise ? Oui, elle le pouvait ; pour cela, il eut fallu qu’elle n’achète aucun actif corrélé au taux d’intérêt. Mais, si cela est possible au niveau individuel, c’est impossible collectivement. Si ce n’est pas SVB, c’est une autre institution qui se serait effondrée. Car, comme l’a dit cyniquement Bernanke, « tout le papier émis doit être détenu » ! Ce qui veut dire que quelqu’un doit dans tous les cas subir les pertes. En période de hausse des taux, détenir du papier lié aux taux, c’est détenir le mistigri.

Pour qu’il y ait de vraies assurances, il faudrait que ce soient les banques martiennes qui nous couvrent ! Il n’y a pas d’assurances à l’intérieur du système.

Tout le monde a vendu des polices d’assurance contre les inondations à des tarifs bas, et de plus en plus bas, parce que nous étions en période prolongée de sécheresse ; puis, quand les orages sont arrivés, que les risque se sont transformés en pertes, ceux qui avaient vendu ces polices se sont retrouvés à poil, et submergés. Zombies.

Les pertes sont là, tout le monde était du même côté du bateau, c’est-à-dire que tout le monde était placé à la baisse des taux ; quand la Fed a monté les taux, eh bien il y a eu un gros risque que le bateau chavire.

Je pense que vous avez compris : les actions des autorités laissent des traces, des inscriptions. Quand elles veulent ensuite changer et retourner en arrière, ces traces disent « attention, le système va subir des pertes ». Il va révéler son insolvabilité réelle. Il va y avoir une sorte de réconciliation entre la sphère imaginaire et la sphère réelle ; on va atterrir.

Une solution de rêve

Et que font les autorités ? Bien entendu, elles savent tout cela. Et elles sont plus ou moins prêtes.

Elles bétonnent le discours, elles complètent les romans, et fournissent à l’institution en difficulté ou aux institutions en difficulté des nouveaux flux, du nouveau capital, par exemple celui de l’absorbante JPMorgan. Elles font face aux trous de liquidités par exemple avec le FHLB, tout en décrétant que l’on peut truquer les comptabilités, que c’est admis, voire souhaitable.

Les autorités n’ont jamais voulu reconnaître que leurs actions non conventionnelles sont à sens unique, qu’une fois lancées ces actions s’inscrivent et laissent des traces. Et que finalement quelqu’un va payer, « va se manger les pertes ».

Elles avaient rêvé en 2011 que ces actions ne soient que temporaires et que le mouvement de reprise de l’économie réelle rattraperait en quelque sorte les largesses monétaires, et rétabliraient les ratios entre l’imaginaire et le réel. Il n’en fut rien. Jamais l’économie réelle n’a rattrapé la sphère financière et monétaire, et toujours il a fallu continuer la fuite en avant, le kick the can, la lutte contre l’entropisation, en injectant de l’énergie monétaire à crédit.

Une décennie plus tard, l’inflation des prix des biens et des services est arrivée, et une limite est apparue au kick the can ; il a fallu stopper la spirale des prix.

Tout l’art des autorités a été sollicité. Il fallait parvenir à jouer sur les perceptions, sur les anticipations sans avoir aller jusqu’à faire mal réellement, sans faire saigner.

Cet art devait permettre de gommer les erreurs de gestion de 2020, de les résorber sans créer d’effets de boule de neige, sans effets cumulatifs. Une opération d’amputation partielle, ou chirurgicale en quelque sorte.

Elles ont réussi à donner l’impression qu’elles allaient pouvoir sortir des politiques non conventionnelles, et faire leur check out. Elles ont donné le spectacle de la lutte contre l’inflation par le resserrement monétaire. Elles ont géré les perceptions afin de gérer les anticipations.

Il ne faut pas oublier la théorie dominante actuelle : l’inflation n’a pas de causes réelles, elle n’est corrélée qu’aux anticipations ! Tout est affaire de croyance, donc il suffit d’être assez doué pour agir sur les croyances.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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