A 61,8% du PIB en 2020, année exceptionnelle, elles étaient bien plus importantes que dans les autres pays de l’OCDE. Par ailleurs, si elles sont défendues par l’idée qu’elles réduisent les inégalités, qu’en est-il vraiment ?
« Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. »
J’adore ce proverbe dont on attribue l’origine à Confucius. Certes, on peut le tempérer en se disant que l’on peut continuer à donner du poisson à celui qui a faim tout en continuant à lui apprendre à pêcher. Après tout, il est humainement, socialement et économiquement plus efficace de procéder ainsi.
Cela nous fait inévitablement penser aux bonnes et aux mauvaises dépenses sociales (aider celui qui va renforcer le taux d’emploi, on y reviendra plus bas).
L’exception française en matière de dépenses publiques
« La France est un paradis peuplé de gens qui croient vivre en enfer », écrivait Sylvain Tesson.
Eh oui, la France est un des pays les plus égalitaires après redistribution des transferts sociaux. Pourtant, on ne parle que des inégalités de revenu. Soyons plus objectifs et parlons d’inégalités avant redistribution, pour voir l’effet qu’ont notre taux d’emploi et notre nombre d’heures travaillées relativement plus faibles que dans les autres pays de l’OCDE.
Il existe une mesure statistique incontestable pour traduite cette réalité. Il s’agit du coefficient de Gini, qui est un indice permettant de rendre compte de la répartition plus ou moins inégale des revenus ou des richesses parmi un groupe d’individus, en général calculé par pays.
Ce coefficient varie de 0 à 1, avec 0 qui représente l’égalité absolue et 1 l’inégalité absolue. S’agissant de la France, on constate un coefficient fort pour les revenus avant redistribution (confirmant le constat de fortes inégalités de revenu) et faible après redistribution (confirmant le constat d’un pays peu inégalitaire).
Ce coefficient se situerait aujourd’hui autour de 0,30 en France (0,52 avant redistribution), contre près de 0,32 dans la zone OCDE hors France (0,49 avant redistribution), selon les sources peu contestables de cette même OCDE.
Un décalage entre perception et réalité
Ce genre de réalité dérange hommes politiques et syndicalistes démagogues et idéologues peu soucieux d’objectivité, qui préfèrent continuer à distribuer des poissons que d’apprendre à pêcher. Un programme d’autant plus facile à proposer que ce ne sont pas eux qui pêchent les poissons qu’ils veulent distribuer.
De manière générale, il faut accepter le décalage entre la perception et le ressenti d’une partie de la population d’une part et les statistiques officielles d’autre part. On peut toujours pratiquer ce sport national qui consiste sans chercher à comprendre à contester les statistiques et à se demander si elles sont représentatives de la réalité.
Qu’a-t-on de mieux à proposer ? Les statistiques sont, en tout cas, une représentation agrégée pertinente d’une réalité économique ou sociale. Cela ne veut pas dire que toutes les situations individuelles pourront naturellement se retrouver dans tel ou tel indicateur.
Cela étant dit, quelques lieux communs devraient être remis en cause.
Déjà, on pense en France que le partage de la valeur ajoutée s’est déformé au détriment des salariés et en faveur des profits et donc des actionnaires. C’est vrai à l’échelle de l’OCDE, mais c’est faux en France puisque, depuis des décennies, le salaire réel progresse plus vite que la productivité du travail.
En d’autres termes, cela veut dire que la part des salaires dans le PIB s’est accrue. On sait cependant que chacun voudrait être mieux payé (ce qui peut se comprendre), et qu’il n’est pas vraiment naturel de s’interroger sur la croissance de la productivité et du PIB dans une économie.
Le pouvoir d’achat recule-t-il vraiment ?
Ensuite, dans le même ordre d’idées, des médias de toutes sortes (et la majeure partie des hommes politiques) véhiculent le thème de la perte du pouvoir d’achat des ménages français. Mais le pouvoir d’achat des Français recule-t-il ? Ne confond-on pas pouvoir d’achat et vouloir d’achat ? Pour répondre à ces questions, il faut tout autant retenir la perception du citoyen-consommateur que l’analyse du statisticien.
Le citoyen-consommateur observera – indépendamment de la situation exceptionnelle de pandémie – que les centres commerciaux font le plein et que, dans certains d’entre eux, il faut souvent patienter pour trouver une place de stationnement.
Il constatera également que les autoroutes de France sont toujours embouteillées (même en période de Covid) lors des vacances d’été ou lors des différents ponts autour des jours fériés.
J’imagine que nombre de responsables politiques pensent la même chose, mais avec le grand courage qu’on leur connaît n’oseront jamais le dire. Ainsi aussi provocateur que cela puisse paraître, il n’y a pas de problème de pouvoir d’achat général dans notre pays, contrairement à d’autres pays de l’OCDE où aucun amortisseur social ne vient atténuer les chocs de pauvreté. Ce qui ne doit pas occulter par ailleurs des situations individuelles de grande précarité, en France comme ailleurs.
Je sais que l’on me rétorquera que ce n’est pas parce que l’on souffre plus ailleurs en termes économiques ou de privations de libertés qu’il ne faut pas revendiquer des améliorations dans notre pays ou pour nous-même. Soit, mais que ces revendications soient proportionnées au problème.
Le statisticien, quant à lui, confirmera l’impression du citoyen-consommateur. Hors dépenses dites contraintes (énergie et logement), la consommation moyenne des ménages français ne fait que progresser, si l’on excepte les trous d’air liés aux confinements du printemps et de l’automne 2020.
Comment améliorer l’efficacité de la dépense publique ?
Si le problème du pouvoir d’achat n’est pas le vrai problème de l’économie française, il faut donc s’interroger sur l’utilité et l’efficacité des politiques de redistribution.
Certes, chacun comprendra qu’il est indispensable de soulager des souffrances individuelles, mais la vision court-termiste des dirigeants (le cycle électoral étant leur seul horizon) et donc leur perpétuel besoin d’acheter encore et toujours du temps ne font que renforcer un excès de dépenses publiques aussi inutiles qu’inefficaces.
La preuve en est que la France est le pays européen qui dépense le plus en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, de logement, d’emploi, de famille, mais aussi de santé et de retraites, à 32,1% du PIB contre une moyenne de 27,5% pour l’ensemble de l’Union européenne.
Pourtant, des poches de précarité et de pauvreté augmentent ici ou là. Ce qui ne contredit pas pour autant l’idée selon laquelle la France reste en termes relatifs moins inégalitaire au niveau des revenus.
Attention, nous ne parlons pas ici des inégalités de patrimoine, qui se creusent sous l’effet de la hausse continue des prix des actifs financiers et immobiliers. Cela est un autre sujet sur lequel nous écrivons souvent et qui met en cause le laxisme monétaire des banques centrales avec la persistance de politiques monétaires extraordinairement et inutilement accommodantes.
Comment remédier à ce paradoxe français ?
Il faut absolument augmenter le taux d’emploi de la société française. Cela stabiliserait les dépenses de redistribution et dégagerait des marges de manœuvre pour les dépenses publiques plus efficaces pour l’économie et de plus en plus nécessaires et indispensables pour financer l’indispensable transition énergétique – que ce soit les coûts élevés de l’isolation thermique des bâtiments, ceux de la « décarbonation » progressive de l’industrie ou de l’encouragement à accélérer la production d’énergies renouvelables).
S’il est bien une situation (sans doute la seule) pour laquelle l’interventionnisme d’Etat se justifie, c’est celle où des investissements ne peuvent pas être pris totalement en charge par des investisseurs privés compte tenu de la faiblesse de rentabilité du capital investi. Ceux liés à la transition énergétique en font partie.
L’Etat est encore le seul acteur qui peut se permettre de transférer des revenus anticipés à long terme sur le court terme. Cela suppose toutefois une capacité à augmenter la pression fiscale sans résistance populaire, ce qui est de moins en moins évident.
Mais alors, si l’on ne veut pas accroître le surendettement de l’Etat français et si l’on veut stabiliser la pression fiscale voire la réduire, comment faire pour améliorer l’efficacité de l’économie tout en dégageant des marges de manœuvre budgétaires pour le financement de la transition énergétique ?
Trois pistes de réflexion
Trois orientations sont à envisager ou à approfondir :
Premièrement, la hausse du taux d’emploi ne peut s’enclencher qu’en poursuivant la réduction des cotisations sociales des entreprises.
Deuxièmement, pour inverser la tendance sur l’évolution des dépenses publiques, il faudra un jour réformer pour de bon notre système de retraites. Les retraites publiques représentent presque 14% du PIB en France, contre 10,4% en Allemagne, 8,4% en Espagne ou 6,6% au Royaume-Uni. Cela suppose naturellement de privilégier l’ajustement à la hausse l’âge de départ à la retraite, si l’on veut éviter d’ajuster les autres variables (baisse des prestations ou/et hausse des cotisations).
Enfin, troisièmement, si l’on veut pouvoir maintenir voire augmenter le volet de dépenses « sociales » utiles pour accroître le capital humain, alors il faut repenser radicalement l’organisation de la fonction publique (organisation, privatisation, objectifs de productivité, surpondérer les opérationnels au détriment des administratifs). Nous voulons parler de dépenses publiques supplémentaires socialement utiles, par exemple l’équipement des hôpitaux, ou encore les salaires des personnels hospitaliers, des enseignants et des forces de sécurité.