Les industriels allemands sont assis sur un petit pactole. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est arrêter leurs usines…
A l’heure où j’écris ces lignes, la totalité des entreprises allemandes qui raffinent l’aluminium (première fonte à partir du minerai brut) sont à l’arrêt. Toutes. Ce n’est jamais arrivé, même lors du choc pétrolier de 1973/1974.
Le coût de l’énergie nécessaire pour traiter et fondre une tonne d’alu est quatre fois supérieur au prix du métal au prix marché. En effet, la source d’énergie de base, c’est le gaz, et tout était basé sur ce gaz tellement bon marché, disponible en quantité quasi illimitée.
En ce qui concerne les recycleurs – qui refondent l’aluminium de récupération, de la capsule de machine à café au bloc moteur en fin de vie – l’activité des hauts fourneaux est réduite de moitié. Tous ces lingots d’aluminium sont également produits à perte, à partir d’un courant électrique produit au gaz.
C’est la même chose pour l’acier : sans acier plat, plus de carrosserie automobile, et sans acier d’armature pour le béton, c’est toute l’industrie de la construction qui s’arrête.
Quelle énergie alternative ?
Arcelor a presque cessé toute ses activités outre-Rhin : à moins de subventionner massivement sa production, ses hauts fourneaux ne redémarreront pas. Certains industriels comme Michelin sont en revanche équipés de chaudières « bivalentes » qui peuvent fonctionner au gaz, et basculer vers le fioul (beaucoup plus polluant).
Les gros consommateurs d’énergie se dotent dans l’urgence de groupes électrogènes… au diesel, parce que c’est le moyen le plus économique de produire les MwH dont ils ont besoin (du diesel importé d’Inde et de Chine, tiré du pétrole russe, c’est un comble).
Croyez-le ou non, mais le coût du MwH produit au charbon revient plus cher aujourd’hui : une partie provenait de Russie, maintenant, il est importé d’Australie !
Mais cela pourrait changer avec la décision de l’OPEP de réduire sa production de 2 millions de barils par jour, soit deux fois plus que prévu. L’économie mondiale en consommait 100 millions par jour au début de l’année, avant que cela décroisse à 99 millions cet été, et la chute de la demande va s’accélérer fortement cet automne, d’où cette volonté de réduire l’offre par anticipation.
Il faut se souvenir que l’OPEP rajoutait l’an passé et jusqu’au mois de juin dernier 400 000 barils par mois en moyenne, puis 640 000 en juillet et en août. Elle décide donc d’effacer d’un coup les trois précédentes hausses.
Qu’est-ce qui va remplacer ces millions de barils manquants ? Le GNL ? Il est importé en quantité bien trop faible : il en faudrait 10 fois plus pour permettre à l’industrie allemande de ne manquer de rien.
Mais, surtout, au prix actuel, même disponible, qui irait l’acheter auprès des américains sept fois le prix du gaz russe, lequel n’arrivera plus par les gazoducs Nordstream 1 et 2 sabotés à l’explosif, au beau milieu des eaux suédoises, au nez et à la barbe de tous les systèmes de surveillance occidentaux, le 27 septembre dernier ?
L’inflation, cette opportunité
C’est bien cet écart de prix, de 1 à 7, qui résulte des sanctions contre la Russie, que certains représentants de la Maison-Blanche saluent comme « une formidable opportunité » pour les Etats-Unis. Car, si cela n’est pas une aubaine, en effet, alors qu’est-ce qui pourrait l’être ?
Ce n’est pas une aubaine pour l’Allemagne : son ministre de l’Economie, Robert Habeck, a accusé les Etats-Unis et d’autres États fournisseurs de gaz – qui continuent d’affirmer être nos alliés – de pratiquer des prix de vente « excessifs ».
Ce même ministre déclarait, ce 5 octobre : « Certains pays, y compris des pays amis, proposent parfois des tarifs lunaires. Bien sûr, cela entraîne des problèmes dont nous devons parler. » Et d’ajouter : « Je compte sur le fait que la Commission européenne dialogue avec les Etats-Unis : ils nous ont contactés lorsque les prix du gaz ont grimpé en flèche. »
En ce qui concerne le pétrole, les réserves européennes ont été exploitées en conséquence et les cours sont retombée de 130 vers 80 $ (avant le récent rebond vers 113,5 $).
Robert Habeck suggère que l’UE « devrait mettre en commun son pouvoir de marché et orchestrer un comportement d’achat intelligent et synchronisé par les Etats de l’UE afin que les pays de l’UE ne surenchérissent pas et ne fassent pas monter les prix du marché mondial ».
Même avec toute l’intelligence du monde, la ressource « énergie » devient plus rare, définitivement.
Quand l’Allemagne exporte de l’énergie
Qui peut en effet croire que la confiance rompue entre la Russie et l’Occident puisse se rétablir avant une décennie, et que l’Europe retrouvera un mix énergétique aussi favorable qu’il l’était début octobre 2021 ?
Les industriels songent d’ores et déjà délocaliser leurs activités énergivores vers les Etats-Unis, l’Inde, et pourquoi pas l’Arabie (la fin de la guerre au Yémen pourrait servir de déclic).
Mais figurez-vous qu’avant de rouvrir leurs hauts fourneaux sur d’autres continents, elles ont trouvé le moyen de gagner pour ces prochains mois des fortunes en dormant : en effet, en arrêtant leurs activités d’origine devenues non rentables, elles se retrouvent avec des quotas de MwH et même de TwH non consommés qu’elles peuvent revendre 10 fois le prix de gros négocié l’an dernier.
Du coup, ce ne sont pas les producteurs d’énergie alternatifs, ni les producteurs d’éolien ou d’hydroélectricité qui vont s’en mettre plein les poches, mais bien des multinationales industrielles qui vont exploiter les failles du système de fixation prix de l’électricité dont s’est dotée l’Europe… laquelle devient la risée de la planète entière, sauf peut-être du Liban et du Sri Lanka. Deux pays où tout est rationné, non pas parce qu’ils boycottent la Russie mais parce que leur monnaie ne leur permet plus de rien importer.
Voilà qui illustre notre titre : les industriels allemands découvrent qu’ils peuvent faire fortune en ne… faisant plus rien.