La Chronique Agora

Comment éviter un suicide collectif des marchés autour de la Grèce ?

▪ La perspective est un peu terrifiante (carrément même) mais notre petit essai de fiction boursière de lundi devient, au fil des heures, fortement prémonitoire.

Le scénario que nous avions imaginé ce week-end, nous sommes sur le point de le voir se matérialiser — certes 72 heures après la date pressentie… mais avec une concordance des pièces du puzzle qui fait froid dans le dos.

Ce qui nous donne le vertige, ce n’est pas d’avoir « vu » quelques jours avant l’ensemble des acteurs du marché comment pourrait s’enclencher puis se dérouler le scénario catastrophe. Non, c’est plutôt que nos élites n’aient pas pris la mesure des périls que nous avons décrits, comme s’ils considéraient que le message d’alerte au krach des marchés ne les concernait pas.

Un peu comme des grandes personnes se croyant les seules à posséder l’expérience et le bon sens, et qui traitent par le dédain des enfants — réputés naïfs et irresponsables — venant les avertir qu’il flotte une mauvaise odeur dans le quartier.

Une forte odeur de gaz… mais les adultes « raisonnables » supposent que ce sont de simples boules puantes jetées par des garnements pour embêter tout le monde. Pour prouver que les gosses ont tort, ils filent à la fenêtre s’allumer une cigarette !

Et VRAOUOUM !

Une explosion cataclysmique éventre la chaussée sur 50 mètres, détruit pas moins de 27 maisons situées dans le périmètre… y compris la grosse demeure de maître construite par un riche entrepreneur allemand.

▪ Des problèmes de chaudière
C’est d’ailleurs lui qui avait fait installer le gaz dans la rue : « c’est plus écologique que le nucléaire et bien moins dangereux », avait-il affirmé.

C’est surtout qu’une chaudière au gaz convenait mieux aux gros volumes intérieurs qu’il devait réchauffer… alors que les autres habitants de la rue s’en sortaient mieux avec de simple convecteurs électriques ou un poêle à bois avec récupérateur de chaleur. Il avait aussi convaincu tout le monde d’installer le chauffage central et de cuisiner au gaz (économies garanties pour tout le monde au bout de 10 ans).

Quelques dizaines de mètres plus loin, sur le trottoir d’en face, il y a avait un jeune retraité de la fonction publique grec (il avait fait valoir ses droits à 55 ans comme la loi l’y autorisait) qui avait depuis quelques mois du mal à percevoir sa pension. Il avait accepté en rechignant d’adapter sa chaudière au fuel avec un brûleur à gaz.

Le technicien-chauffagiste dépêché par une grande entreprise du secteur basée à Bruxelles avait émis des réserves sur cette conversion, compte tenu de la vétusté des installations qu’il découvrait.

Il en avait averti les autres habitants de la rue. Notamment l’entrepreneur germanique moteur du projet, à qui il avait expliqué que la dernière révision du matériel avait été faite par un certain Boldmansaks, une entreprise controversée qui avait la réputation de ne pas être très à cheval sur la sécurité (il avait déjà triché sur les dates d’expiration des brûleurs dans le quartier).

On avait finalement convenu de terminer le raccordement sans attendre et promis de s’occuper du cas grec ultérieurement. La compagnie de distribution de gaz local, dénommée BGE (Bureau gazier européen), n’y avait rien trouvé à redire et s’était empressée d’envoyer le gaz dans les tuyaux.

Les mois et les années passèrent sans que personne ne s’intéresse plus à l’état de la tuyauterie dans la maison du Grec (qui ne répondait jamais aux demandes d’inspection et remise à niveau de son installation).

▪ Et quand ça commence à chauffer…
Les tubes alimentant sa chaudière étaient largement corrodés fin 2009 et cela finit par l’inquiéter. Il avertit l’installateur bruxellois et l’entrepreneur allemand.

La réponse qu’il reçut fut sans réplique : débrouillez-vous et faites le nécessaire au plus vite, cela fait des mois que vous ne répondez pas aux courriers qu’on vous envoie. Cassez votre tirelire pour quelque chose d’utile cette fois-ci, au lieu de vous prélasser à longueur de temps au bord de votre piscine achetée à crédit.

Le Grec eut beau répliquer qu’il était un peu à sec ces derniers temps, l’Allemand lui répondit qu’il n’avait qu’à revendre son hamac, son barbecue et ses parasols pour financer les travaux. Le Grec obéit… mais la vente sur eBay ne lui rapporta pas grand-chose. Son statut Facebook passa à « je suis vraiment sans le sou ce mois-ci et ça commence à sentir le gaz dans ma cave ».

La BGE découvrit, horrifiée, ce message sur Internet (c’est fou tout ce que l’on peut apprendre sur un citoyen lambda en allant sur Facebook) en passant au crible la liste des clients qui lui avaient laissé des impayés les trimestres précédents. Elle alerta les voisins, notamment le Français et l’Allemand.

« On risque de tous sauter à n’importe quel moment », argua le premier. « On ne va tout de même pas payer les réparations pour ce parasite qui nous mène en bateau depuis le début », rétorqua le second… ajoutant que « ce serait un mauvais exemple si d’autres résidents l’apprenaient ».

« Je me suis laissé dire que les finances de notre voisin espagnol ne sont pas au mieux, vu l’état de délabrement de sa maison : s’il nous réclame à son tour la rénovation de sa chaudière, cela va nous coûter bonbon. Ma femme Angela estime que c’est à chacun d’adopter une règle d’or lui imposant de gérer ce genre de priorité, plutôt que de passer son week-end à faire du shopping ».

Il n’eut pas le temps de le répéter une seconde fois : toutes les vitres volèrent en éclats, la maison du Grec se transforma en cratère, celle de son voisin italien fut entièrement soufflée, celle de l’Espagnol, déjà fissurée, s’effondra totalement sous la violence de l’onde de choc…

… Et c’est là que les marchés se réveillent en sursaut ! Ouf, ce n’était qu’un mauvais rêve !

Enfin, pas si sûr… il continue de flotter une odeur de gaz que les opérateurs ressentent dans tout le quartier de Wall Street. Nous ne savons pas ce qui s’est passé entre 19h et 22h mais il semble qu’une équipe d’intervention ait été envoyée en urgence pour que tout le monde éteigne les briquets et les chandelles.

Peut-être même que la Fed a passé un coup de fil à la BGE pour qu’elle coupe le gaz dans le quartier de la Petite Athènes… en lui recommandant aussi de dépêcher des techniciens pour sécuriser les installations, et surtout remplacer les tuyaux défectueux par des conduites capables de résister jusqu’au 17 juin prochain.

▪ Réflexe de survie sur les marchés
Nous ne croyons pas au miracle mais nous croyons aux réflexes de survie. Si le S&P est repassé de 1 297 à 1 319 points et le Nasdaq de 2 796 (-1,6%) à 2 850 (+0,4%), c’est que cela répondait à une nécessité absolue, et non à retour spontané de l’optimisme : c’était ça ou le système explosait.

Nous espérons découvrir bientôt ce qui a circulé dans les tuyaux… En effet, aucun commentateur n’était en mesure d’expliquer à la clôture des marchés américains pourquoi les principaux indices avaient repris 2% sur leurs planchers du jour alors que l’Euro-Stoxx s’était effondré de -2,9% (et l’euro vers 1,2550 $) quelques heures auparavant : « aucun élément d’actualité spécifique, aucune rumeur ne justifie ce retournement ».

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