L’aggravation spectaculaire des déficits observée depuis mars 2020 est débattue au Congrès américain, où les deux camps ont leurs projets, plus ou moins réalistes, pour les réduire… ou pas.
Les 31 600 Mds$ de dette auxquels les Etats-Unis font face aujourd’hui proviennent de l’accumulation de déficits à un rythme annuel moyen de 1 360 Mds$, depuis la mise en place des programmes de quantitative easing post-crise Lehman. Cela représente environ 7,5 points de PIB chaque année, pour une croissance annuelle médiane d’à peine 3%.
Mais justement, cette moyenne des déficits ne saurait dissimuler le paramètre le plus inquiétant : la trajectoire. Le déficit américain subit en effet une aggravation spectaculaire depuis mars 2020, et le « choc Covid ».
Ce choc, c’est en réalité celui de la gestion que l’on reconnaît aujourd’hui comme calamiteuse – à coup de confinements et de restrictions des libertés injustifiables – mais que l’on tente partout de minimiser à coup d’éléments de langage tels que « oui, mais à l’époque, on ne savait pas ».
Une grande expérience
On savait en revanche très bien mettre en œuvre un « quoi qu’il en coûte », on a très bien su faire tourner la planche à billet, maintenir en vie des entreprises zombies, puis, aux Etats-Unis, distribuer des « chèques fédéraux » par centaines de millions chaque mois. Soit, en année pleine, plusieurs centaines de milliards d’argent magique, versé directement sur le compte des salariés/consommateurs enfermés chez eux. Oui, tout cela, on savait faire, depuis l’automne 2008.
Pour leur part, les investisseurs savaient très bien capter la manne monétaire déversée par les banques centrales, puisque l’essentiel de la surliquidité (accumulée durant des mois, lorsqu’il était impossible de dépenser son épargne) s’est engouffrée dans les valeurs technologiques, avec le soudain basculement dans l’ère du travail virtualisé et de la consommation online généralisée.
Sauf que l’argent stocké dans les marchés, à la différence des investissements dans l’économie réelle, ne crée que peu de richesse (sous forme de biens et services taxables) et donc peu de recettes fiscales. Tout simplement parce que les gains boursiers sont moins imposés que les revenus du travail (salaires et primes) et tout ce que génère une activité industrielle.
Le faible taux d’imposition des plus-values, et plus généralement des revenus du capital, est depuis le début des années 2000 justifiée par la théorie du ruissellement : le surplus offert aux riches irriguera demain l’économie de la façon la plus pertinente, car ce sont les plus doués pour l’investir là où il rapporte le plus à la collectivité.
La réalité, c’est qu’il rapporte plus là où il est le moins taxé, et le motif de l’utilité sociale – ce qui profite à la collectivité – est le cadet des soucis d’un investisseur rationnel, dont la devise cardinale demeure « charité bien ordonnée commence par soi-même ».
La fin de l’argent magique ?
Le gouvernement Biden a bien compris que l’argent dont l’Etat fait cadeau aux riches ne lui revient pas sous forme de recettes fiscales abondantes, n’irrigue pas l’économie, et se solde par un creusement inexorable des déficits.
Et par une pirouette assez cocasse du destin, ce sont cette année les républicains, qui ont tant fait pour réduire la fiscalité – sur les plus riches et les entreprises –, qui se déclarent les plus alarmés au sujet des déficits, au point de réclamer de les réduire spectaculairement à compter de 2023.
Le président de la Chambre des représentants, le républicain Kevin McCarthy, a dévoilé cette semaine un projet de loi qui conditionnerait un relèvement de 1 500 Mds$ du plafond de la dette (jusqu’au 31 mars 2024, elle attendrait alors 33 000 Mds$) à une réduction de 4 500 Mds$ des dépenses gouvernementales au cours des 10 prochaines années.
Cela paraît difficilement soutenable, surtout en cas d’épisode récessioniste : le camp républicain pourrait accepter le principe d’une hausse qui serait plafonnée à 1% par an, ce qui permettrait déjà d’économiser environ 3 200 Mds$ par rapport aux projections actuelles.
Un tel accord sonnerait le glas de l’argent magique : ceux qui le captent savaient mieux que personne à quel point il peut s’avérer délétère.
Ils ont facilement succombé à la tentation de le convertir en un actif réel, comme de l’immobilier : tous les détenteurs d’une fortune un peu considérable (à la tête d’un family office) et des gérants d’actifs comme BlackRock ont massivement investi dans l’immobilier depuis 3 ans, faisant flamber les prix.
Pas vendu, pas perdu…
Ceux qui ont eu les yeux plus gros que le ventre et se sont endettés plus que de raison vont connaître des moments très difficiles avec la rechute des prix : ils vont se retrouver en « negative equity » (plus d’argent à rembourser à leur banque que ce que valent leurs biens sur le marché) et beaucoup vont faire défaut sur leur dette.
Les banques vont devoir augmenter fortement – sinon massivement – leurs provisions au cours des prochains trimestres, et cela réduira d’autant leur capacité à financer l’économie : un effet de ciseaux se profile avec la diminution de la masse monétaire provenant de la normalisation du bilan de la Fed.
Elle va continuer d’éponger les liquidités en surplus, une autre façon de combattre l’inflation sans monter les taux… ce qui va faire souffrir les petites entreprises et le secteur immobilier. A un moment, le réel fera irruption dans la sphère virtuelle des actions et, après avoir perdu beaucoup d’argent sur l’obligataire en 2022, les « sherpas » de Wall Street éviteront difficilement d’en perdre sur les actions.
Le doublement de valeur observé depuis mars 2020 leur permettrait de reperdre 30% et de rester malgré tout largement gagnants sur 3 ans… sans oublier qu’une bonne partie de cette manne monétaire céleste aura été convertie en actifs tangibles, comme l’immobilier qui a doublé aux Etats-Unis en 12 ans : une consolidation de 20 ou 30% ne leur fera pas peur non plus, d’autant que dans ce domaine particulier, l’adage « pas vendu, pas perdu » reste d’une pertinence jamais démentie !