La Chronique Agora

Comment faire disparaître 30 000 Mds$

argent magique

La richesse créée ces dernières années est fausse. Lorsque cette expansion spectaculaire mais factice retrouvera sa vraie valeur, une quantité monumentale d’argent s’évaporera.

L’économie continue de s’enfoncer. La plus longue expansion de l’histoire américaine semble toucher à sa fin. CNBC nous en dit plus :

« La création d’emploi a quasiment calé en mai, un signe supplémentaire du ralentissement de l’élan économique américain.  

Les entreprises n’ont créé que 27 000 nouveaux emplois au cours du mois selon un rapport publié mercredi par la société ADP et Moody’s Analytics, bien inférieur aux estimations de 173 000 de Dow Jones.  

C’est le pire chiffre depuis que l’expansion économique a commencé ou à peu près, le marché de l’emploi ayant touché un plancher en mars 2010 avec une perte de 113 000. Depuis, les emplois privés ont augmenté de 21,3 millions [de personnes] ».  

Autre indicateur clé, le déclin des rendements obligataires (ces derniers baissent à mesure que la demande fait augmenter les prix des obligations). Explications de l’économiste Richard Duncan :

« La fuite vers la qualité – hors des actions, vers les obligations – a eu lieu parce que les perspectives de revenus des entreprises se détériorent rapidement à cause de la guerre commerciale Etats-Unis/Chine. Les perspectives de revenus se détériorent pour deux raisons. D’abord, il y a une réelle possibilité que la Chine prenne des mesures réduisant sévèrement les revenus des entreprises américaines ayant une activité en Chine. Ensuite, l’économie mondiale ralentit rapidement et pourrait bientôt être en récession. […] 

L’économie chinoise aurait notablement ralenti même s’il n’y avait pas eu de guerre commerciale. A présent, confrontée à des taxes douanières de 25% sur son marché le plus important, l’économie chinoise pourrait bientôt commencer à se contracter. C’est déjà le cas de ses importations. Le reste du monde souffrira à mesure que la demande chinoise recule ».

Alors pourquoi les investisseurs achèteraient-ils des actions maintenant ? Une récession entamera les ventes et les profits. Les actions devraient valoir moins, pas plus.

Poissons et cannes à pêche

Mais il y a bien longtemps que l’économie réelle et l’industrie financière ne sont plus d’accord. C’est tout juste si elles se parlent encore.

Rappelez-vous le vieux dicton : donne un poisson à un homme, il mangera un jour. Donne-lui une canne à pêche, il se nourrira toute sa vie.

Telle est la différence entre les revenus et le capital. La canne à pêche est une immobilisation. Avec elle, non seulement vous pouvez attraper un poisson, une fois… mais vous pouvez aussi pêcher de nombreux poissons sur une longue période.

Naturellement une canne à pêche vaut plus qu’un poisson. Mais sa valeur diminue nettement lorsque les poissons disparaissent.

Si l’on prend l’économie dans son ensemble, on mesure les cannes (les immobilisations) au moyen de la richesse nette des ménages. Les poissons sont quant à eux le PIB, très sommairement.

Normalement, les actifs nets des ménages valent environ 3,8 fois le PIB. Ce n’est pas un chiffre arbitraire. C’est la relation naturelle entre les cannes et les poissons.

Tel est le ratio qui dominait aux Etats-Unis de la fin de la Deuxième guerre mondiale jusqu’en 1995 environ. L’économie réelle s’est développée. Les actifs de l’industrie financière ont fait de même. Le ratio est resté plus ou moins le même.

Et puis la fausse monnaie et les politiques d’argent facile de la Fed ont commencé à faire leur effet. D’abord, le ratio richesse nette des ménages/PIB a grimpé à 4,5 en 1999, puis 4,8 en 2007 ; il est à présent à 5,35.

On appelle cela la « financiarisation ». C’est ce qu’il se produit lorsque les poissons et les cannes à pêche se séparent. A présent, les éloignant plus encore, on a la Fed la plus gluante que la nation ait jamais vue.

Les tribulations du bol de punch

Sous Eisenhower, le président de la Fed de l’époque, William McChesney Martin, considérait que son travail consistait à empêcher les banquiers et les spéculateurs de faire trop d’idioties. Il « retirait le bol de punch » lorsque la fête s’emballait.
Plus tard, tandis que les politiciens dérapaient, dépensant plus que ce qu’ils pouvaient se permettre pour la guerre contre la pauvreté à domicile et la guerre contre le Vietnam à l’étranger, un autre président de la Fed, Paul Volcker, a à son tour retiré le bol de punch – portant les taux d’intérêt jusqu’à 20% pour étouffer l’inflation.

Alan Greenspan a réinstauré le bol de punch. Il l’a rempli de gnôle au plus fort d’une crise – d’abord durant le krach de 1987, puis après l’explosion des dot.com en 2000. (Il a également fait savoir aux investisseurs qu’il lui restait plein de tord-boyaux en réserve.)

Son successeur, Ben Bernanke, a réagi à la crise de dette de 2008-2009 de manière encore plus absurde – avec toujours plus de dette… un bol plus profond et toujours plus d’alcool. Mais même lui réagissait à ce qu’il percevait comme une crise.

Aujourd’hui, sans la moindre crise en vue… alors qu’on est au plein emploi et que l’inflation est quasi-exactement au taux cible de 2%… la Fed a fait savoir qu’elle ne retirerait plus jamais le bol de punch.

En d’autres termes, elle ne fera même plus semblant d’agir en tant que gardien responsable du système monétaire du pays.

Elle ne fera pas non plus d’efforts pour mettre fin aux bulles… ou pour empêcher les politiciens, les banquiers et les spéculateurs de faire des idioties. Au contraire, elle les aiguillonnera avec de l’argent gratuit !

Forces marémotrices

Le taux directeur de la Fed actuel – le taux auxquelles les banques-membres se prêtent de l’argent entre elles – n’est que 0,18% supérieur au taux d’inflation. La prochaine baisse, que l’on attend généralement d’ici la fin de l’année, remettra le taux en territoire négatif, où il a passé la majeure partie des 10 dernières années.

Cela suffira-t-il à arrêter la force marémotrice des cycles économiques ? Cela déclenchera-t-il (peut-être accompagné d’une annonce, de la part de la Maison Blanche, que la guerre commerciale est terminée) une nouvelle hausse majeure des actions ?

Nous l’ignorons. Mais lorsque le XXIème siècle a commencé, le PIB US était de 10 000 Mds$ environ (en dollars actuels). A l’époque déjà, les ménages américains avaient une valeur nette dépassant de loin le niveau normal… mais tout de même inférieure à 50 000 Mds$.

Aujourd’hui, la valeur nette totale des ménages se monte à environ 105 000 Mds$ – en actions, obligations et immobilier. Lorsque la relation traditionnelle sera rétablie, la valeur nette des ménages reviendra à environ 3,8 fois le PIB, soit à peu près 75 000 Mds$. Cela signifie que quelque 30 000 Mds$ d’actifs s’évaporeront.

Si une portion de votre argent fait partie de ces 30 000 Mds$ de richesse factice, nous vous suggérons de la déménager – pendant que vous le pouvez encore.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile