La Chronique Agora

Comment bricoler une hausse explosive à Wall Street ?

** Prenez une semaine écourtée par le pont de l’Ascension pour de nombreux gérants institutionnels… prenez une séance très calme aussi bien sur le front des statistiques économiques que sur celui des trimestriels d’entreprises (où les opérateurs ne s’attendent à rien de particulier)… prenez un consensus plutôt baissier (après neuf semaines de hausse et une amorce de consolidation sans grande intensité)… et vous bénéficiez de conditions idéales pour orchestrer un contre-pied comme nous les aimons.

Nous aurions pu ajouter que les analystes techniques détectaient tous les signaux d’une poursuite potentielle de la correction amorcée les 7 et 8 mai dernier. En effet, les oscillateurs en unité de temps hebdomadaires avaient amorcé leur retournement à la baisse sur les principaux indices européens et nord américains.

Les commentateurs ne se bousculaient pas lundi soir pour expliquer aux auditeurs ou aux téléspectateurs des chaînes financières les raisons du vent d’euphorie qui a soufflé sur des places boursières dont la semaine avait commencé sur une note de franche lourdeur (-1,5%), comme prévu en pré-ouverture. Le marché ne manquait pas d’arguments pour consolider sans grands remords dans l’attente de chiffres économiques à paraître mardi aux Etats-Unis.

Et la publication de l’enquête NAHB-Wells Fargo concernant l’activité des agences immobilières ne saurait être invoquée pour justifier l’optimisme de Wall Street depuis la reprise des cotations.

** Le Dow Jones et le S&P 500 grimpaient déjà de 2% lorsque le baromètre NAHB a été rendu public (vers 13h, heure locale). Les chiffres étaient en outre conformes aux anticipations des opérateurs (rebond vers 16 contre 14 en avril).

Il nous a par contre possible d’avancer une explication concernant le trou d’air initial (-1,6%) dont a été victime le CAC 40, qui rechutait jusque sur les 3 115 points testés jeudi dernier. Ce repli pourrait avoir eu des causes essentiellement techniques : l’échéance mai (contrats sur indices et options) a expiré ce vendredi 15 mai. En outre, des roulements de position ont pu entraîner des ventes d’arbitrage alors que des achats d’anticipation avaient été déclenchés sur le contrat juin — le premier semestre devrait se solder par un score positif sur le CAC 40.

Mais ces opérations n’ont pas dû porter sur des montants très importants car il ne s’est échangé que 2,65 milliards d’euros à Paris. Voilà qui constitue un scénario assez singulier dans la mesure où la volatilité du CAC 40 flirtait avec les 4% — ce qui est considérable — à l’issue d’une journée dont personne n’attendait rien.

Le rapport écarts/volumes témoigne d’un marché déserté par les investisseurs. Il se prête donc merveilleusement à quelques manipulations "pour la bonne cause" — celle qui consiste à redonner confiance aux investisseurs lorsque des chroniqueurs mal embouchés insistent sur la lenteur du rebond, l’ampleur des déficits américains… et l’absurdité qui consiste à imprimer 1 $ pour générer 0,5 $ de chiffre d’affaire réel (le reste sert à éponger les pertes d’AIG ou de General Motors).

** Quoi qu’il en soit, l’indice CAC 40 a grimpé de 2,4% à 3 245 points ; il se retrouve à 2% de son meilleur cours de clôture du 7 mai dernier (3 312 points). Ailleurs en Europe, le DAX s’envolait de 2,4%, Madrid de 2% et le FTSE de Londres de 2,2%.

L’Eurotop 100 entame la semaine sur les chapeaux de roues avec un gain de 2,54% ; l’Eurostoxx 50 a bondi de 2,5% vers 2 422 points — à 1% de sa meilleure clôture du mois de mai, niveau qui devrait être retracé dès ce mardi.

Seule donnée économique dévoilée ce lundi, la balance commerciale de la Zone euro pour le mois de mars est ressortie en excédent de 0,4 milliard d’euros avec le reste du monde, comparé à -2,3 milliards d’euros un an plus tôt. Le solde du mois de février 2009 était de -1 milliard d’euros (contre -2 milliards d’euros en première estimation) : avouez qu’il n’y avait pas matière à enfoncer frénétiquement la touche "achat"… à moins de pressentir que Wall Street allait sortir le grand jeu dès l’ouverture !

Mais quelles que soient les bonnes intentions des investisseurs, rien dans l’actualité du jour ne permettait d’anticiper une envolée de 2,85% du Dow Jones (avec 29 titres en hausse sur 30, la trop défensive AT&T ayant perdu 1,2%), de 3,05% du S&P 500 ou de 3,1% du Nasdaq (à 1 732 points).

Les indices américains reviennent ainsi à 1% de leur zénith annuel avant la publication de la première statistique officielle de la semaine aujourd’hui (mises en chantier de logements neufs) et les indicateurs avancés jeudi.

Etes-vous prêt à parier que les chiffres — mêmes anodins ou médiocres — seront jugés bons ? Nous oui… car il nous apparaît clairement depuis deux mois que les brasseurs d’argent (certains parmi les plus influents disposent pour encore quelques semaines de la manne du TARP) se servent de n’importe quel prétexte pour justifier les évolutions les plus improbables de Wall Street.

** L’alibi haussier du jour avait pour nom Lowe’s : le n°2 américain du bricolage (loin derrière le géant Home Depot) s’est envolé de 8% après avoir publié un bénéfice par action de 0,32 $, alors que les analystes anticipaient 0,25 $. On a déjà vu des écarts plus spectaculaires laisser le marché totalement de marbre…
 
Franchement, vous imaginez le CAC 40 ou le SBF 120 s’envoler de 3% parce que "Bricastomerlin" a vendu un peu plus de peinture, de panneaux de laine de verre et de mastic que prévu au premier trimestre 2009 ?
 
Voici la "clé de 12", le tube de colle ou le tuyau d’évacuation en PVC élevé au rang de baromètre avancé de la conjoncture aux Etats-Unis !

Quoi ? Un consommateur américain vient d’enfourner 25 kilos de ciment et 100 kilos de carrelage dans son caddie, puis de rajouter deux robinets à mitigeur et un jeu de 12 équerres en aluminium anodisé pour poser quatre étagères en pin mélaminé (découpé sur mesure s’il vous plaît !)… vous êtes sûr ? Peut-être même est-il propriétaire d’un logement acheté aux enchères, et il s’apprêterait à le retaper… ce serait un événement fabuleux !

Il a payé avec une carte de crédit — il en possède donc une, c’est la première qui soit réapparue dans une droguerie depuis neuf mois ! Il charge le tout dans sa voiture (elle semble encore lui appartenir car son prénom est collé sur le pare-brise !… Bon sang, mais c’est que l’immobilier est en train de repartir comme en 40 aux Etats-Unis — et vous n’en saviez rien, rendez-vous compte, quel scoop !

Il me faut contacter au plus vite mon courtier, liquider le reliquat de mon Livret A et passer acheteur, avec effet de levier, sur l’ensemble des secteurs de la cote (sauf sur les opérateurs télécom parce que tout le monde possède une "Fribboxe" avec appels illimités ou utilise Skype).

Si demain nous apprenons que le taux d’occupation des chambres dans les palaces de Las Vegas remonte au-dessus de 50% (même en soldant les séjours à moitié prix), c’est que le tourisme, témoin d’une population insouciante et qui dispose des moyens de se faire plaisir, nous indique que la crise est bel et bien terminée.

Oui, cher lecteur, préparons-nous à découvrir toute une série de merveilleuses anecdotes consuméristes qui vont ravir Wall Street et faire oublier des vétilles comme les 13% de déficit budgétaire aux Etats-Unis ou le record historique de saisies immobilières au mois de mars.

Philippe Béchade,
Paris

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