La Chronique Agora

Comment la BCE survit aux crises successives

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Contrairement à une idée répandue, la zone euro et l’UE en général semblent ressortir plus fortes de chacune des crises rencontrées ces dix dernières années.

Nous avons commencé cette série d’article avec une question : pourquoi l’euro survivra malgré tout ? Dans les deux derniers précédents, nous nous sommes concentrés sur la situation française, et les risques qui pourraient pousser à la chute de l’euro dans notre pays. Mais aussi les dysfonctionnements de la monnaie unique, et pourquoi ils auraient déjà dû causer son effondrement.

Il nous reste à nous intéresser à l’institution qui est au centre de la zone euro, la Banque centrale européenne. Est-elle aussi peu en danger que l’euro ?

De notre point de vue, il ne sert à rien d’anticiper la faillite de la BCE et donc la fin de la force de frappe monétaire unique.

Un système de banques centrales

Entre 2013 et 2021, cette inévitable BCE fut toujours présente pour masquer la réalité avec le mécanisme suivant : l’excédent d’épargne des Allemands alimente des dépôts des banques à la BCE et explique le solde créditeur de la Bundesbank à la BCE. Puis cette dernière a essentiellement financé les pays déficitaires par les dispositifs non conventionnels de refinancements.

La situation est certes – sur le plan de la rationalité économique – insoutenable, parce que cela veut dire que, vis-à-vis du système inter-banques centrales nationales de la zone euro (appelé Target 2, pour Trans-european Automated Real-time Gross settlement Express Transfer), les soldes créditeurs des banques centrales nationales des pays excédentaires ne font que s’accroître, alors que les soldes débiteurs des banques centrales nationales des pays déficitaires ne se réduisent pas.

Il y a donc ici deux risques spécifiques en cas d’explosion de la Zone euro : les banques centrales des pays qui ont des positions Target nettement créditrices sont en risque majeur en cas de défaut d’un pays dont la banque centrale est débitrice. Leurs pays devraient, le cas échéant, renflouer leurs banques centrales nationales possédant une créance Target.

Par exemple, si le système bancaire italien fait défaut, les banques centrales nationales de la France et de l’Allemagne afficheraient des pertes à due concurrence de la participation de leurs banques centrales dans le capital de la BCE (respectivement 25% et 20%), étant donné que le système est centralisé.

Qui a donc intérêt à ce que le système implose ? Pas l’Italie, dont la banque centrale nationale débitrice ne peut vivre sans la zone euro… Mais pas non plus l’Allemagne, dont la banque centrale nationale créditrice aurait beaucoup à perdre d’une implosion de la zone euro. Sauf à imaginer alors que l’Allemagne et l’Italie n’existent plus économiquement et institutionnellement. Mais on ne va tout de même pas dépenser son énergie à échafauder des scénarios apocalyptiques de fin de monde…

Couvrir raisonnablement ses risques suffira si l’on considére que, globalement, les politiques monétaires non conventionnelles sont devenues la norme (le cycle monétaire qui s’amorce aujourd’hui étant temporaire et devenant l’exception). De cela découle l’idée que nous vivrons durablement dans un monde de liquidité globalement abondante, et donc d’inflation structurelle forte (même si les prix de l’énergie rechutaient, ce qui est peu probable) et de taux réels pas très élevés.

Des engagements forts

De même, malgré une incompétence souvent réelle de dirigeants politiques (au niveau d’un Etat mais aussi au niveau des institutions communautaires), il ne faut pas non plus sous-estimer la force de frappe politique.

Bien sûr, le « whatever it takes » de Draghi il y a 10 ans, le 26 juillet 2012, était un acte politique qui n’aura nécessité aucune réelle mesure monétaire (même les OMT de septembre 2012 sur lesquelles nous reviendrons n’auront jamais été activées).

De même, les propos récents du ministre des finances irlandais et président de l’Eurogroupe Paschal Donohoe sont extrêmement révélateurs de l’état d’esprit de la classe politique pro-euro (ce n’est pas de la pensée unique, ce n’est pas de l’idéologie, juste une affirmation que les marchés financiers ne peuvent pas et ne doivent pas ignorer) :

« La pandémie a démontré l’engagement politique des gouvernements en vue de perpétuer et de renforcer la résilience de l’euro. Cette monnaie unique est notre façon de partager nos interdépendances d’une façon qui nous renforce et ne transmet pas les faiblesses. »

Contrairement à une idée répandue dans le monde anglo-saxon – mais pas seulement –, l’Europe ressort plus forte de chacune des crises rencontrées ces dix dernières années.

La crise des dettes souveraines des années 2010-2013 a ainsi mis un terme à l’héritage idéologique de la Bundesbank allemande pré-euro au sein de la BCE (soyons réalistes : le pouvoir d’achat de l’euro est globalement préservé jusqu’alors ou, en tout cas, il ne n’est pas moins que celui d’autres grandes monnaies fiduciaires).

La crise liée au Covid a permis à l’Europe d’explorer les pistes d’un retour de souveraineté dans le domaine médical.

De même, la guerre en Ukraine conduit actuellement à bâtir une nouvelle politique énergétique.

On pourra toujours regretter qu’ici ou là il y ait eu manque d’anticipations (facile à dire après les faits, sachant que l’on n’a pas entendu grand monde en parler avant). Mais peu importe : les crises sont là pour tester nos capacités d’adaptation et de résilience, et, de ce point de vue, l’UE en général et la zone euro en particulier ont montré qu’elles sont bien loin des monstres bureaucratiques que l’on condamne souvent avec démagogie et facilité.

Puisqu’une implosion de la zone euro est peu probable, il nous intéresse plutôt de comprendre comment faire coexister une politique monétaire qui doit devenir globalement plus restrictive avec des mesures ponctuellement accommodantes pour contenir des risques systémiques potentiels.

Nous répondrons à cette question dans notre prochain article.

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