** La séance de mercredi m’a laissé une sale impression ! Je ne me réfugie pas derrière une tournure impersonnelle et je vous livre mes réflexions à la première personne du singulier. Vous savez donc que ce qui va suivre est largement empreint de subjectivité et n’engage que moi.
Les marchés avaient une foule de raisons de rebaisser et il suffit d’allumer la télévision, d’ouvrir le premier journal qui nous tombe sous la main pour être édifié !
Je ne vais pas vous dresser l’inventaire exhaustif des raisons qui font que les indices boursiers ont déjà chuté et devraient continuer de la faire à moyen terme — disons durant encore 12 à 18 mois) — mais il faut tout de même souligner la noirceur des scénarios économiques évoqués mercredi.
Il n’était en effet question que de récession, de faillite en cascade de hedge funds, de credit crunch, de profit warnings et d’appels à la capitulation des épargnants.
S’agissant de ce dernier élément, le prétexte puise sa source dans les chiffres publiés par Europerformance : les OPCVM ont vus le montant de leur collecte baisser de 4,8% des actifs au troisième trimestre 2008.
L’encours total rechute vers 808 milliards d’euros, ce qui est comparable au niveau constaté en novembre 2005. Par rapport aux sommets de mai 2007, le recul de l’épargne investie dans les OPCVM atteint 23,5%.
La majorité des gérants s’accorde à penser que le moment est mal choisi pour investir, et de citer, avec une troublante unanimité : "il ne faut pas chercher à rattraper un couteau qui tombe". Ce sont les mêmes qui, quelques mois plus tôt, n’avaient pas estimé opportun de prendre des bénéfices, au nom du célèbre adage : "il ne faut pas vendre un rally (haussier), la tendance est votre amie".
Et oui, un an auparavant, alors que le Dow Jones caracolait au-dessus des 14 000 points, aucune étude ne recommandait de vendre les constructeurs automobiles, les titres du luxe, de la distribution, les parapétrolières, les assureurs, les SSII…
** Depuis 48 heures, je découvre une avalanche d’études négatives concernant les secteurs mentionnés ci-dessus. Rien ne va plus, il faut tout vendre… et en priorité les actions qui ont déjà perdu les deux tiers, voir 75% de leur valeur. Tiens, quelqu’un aurait-il pressenti avant eux que quelque chose n’allait pas fort dans le paysage économique?
Je retrouve là des incontournables qui caractérisent les périodes d’excès boursiers. Tantôt les analystes volent au secours de la victoire, tantôt ils canardent l’ambulance — la voici qui commence à ressembler à une passoire, les quatre pneus sont à plat, il n’y a plus de pare-brise et les infirmiers se sont enfuis au premier coup de feu.
Devant tant d’acharnement à rattraper le train de la baisse et de la déprime, les acheteurs ont démissionné. De nombreux gérants affirment être liquides, parfois jusqu’à 50% des sommes qui leur ont été confiées, si leur mandat les y autorise.
** Mercredi matin, après la chute collective de 5% des places asiatiques — et même de 6,8% à Tokyo –, les opérateurs se gardaient bien de mettre un doigt dans le marché. Cette saison de publication de trimestriels apporte son lot quotidien de déceptions et de profit warning, sans oublier les folles rumeurs de faillite de hedge funds qui doivent vendre à tout prix pour dégager du cash.
Aucune embellie ne s’est dessinée à Paris en fin de séance. La débâcle s’est même accélérée dans le sillage de Wall Street — le S&P plongeait de 4% — au cours des deux dernières heures de cotations. Le CAC 40 en termine donc sous les 3 300 points (-5,1%) et ce dans des volumes étriqués puisque cinq milliards d’euros seulement ont changé de mains… c’est dérisoire, compte tenu d’un écart à la baisse allant jusqu’à -5,25%.
L’effondrement du pétrole sous les 67 $ (-7% à 67,9 $) s’accompagne d’une remontée en flèche du dollar jusque vers 1,28 euro (+20% en trois mois et une semaine). Ceci tend à démontrer que l’échec de la stratégie consistant à arbitrer au cours du premier semestre le billet vert contre l’or noir engendre une forme de krach des commodities.
La fin de séance mercredi s’est traduite par un véritable carnage à Wall Street. Les opérateurs ont vu les carnets d’ordres se vider à deux heures de la clôture, les acheteurs se retirant en masse et laissant les vendeurs en face de… personne.
Techniquement, la dernière heure de cotations a correspondu à un krach en bonne et due forme avec un Dow Jones perdant 350 points supplémentaires à 8 335 points et le S&P 500 passant, en 90 minutes de pure capitulation, de 917 à 875 points — soit un trou d’air de 4,5%.
Le S&P 500 a flirté avec les -8% à 20 minutes de la clôture tandis que le Dow affichait allègrement -7% (et -5,7% au final). L’une des réflexions les plus souvent entendues sur le floor était la suivante : les cours ne reflètent plus rien d’autre que la peur d’un futur qui pourrait être terrible.
** Le plongeon du pétrole est d’une telle violence en 48 heures que l’on pourrait croire que les Etats-Unis, l’Europe et la Chine viennent de décréter deux mois de chômage technique. Ils imiteraient en cela nombre d’entreprises cotées qui mettent en pratique cette stratégie depuis fin septembre, cela peut aller de deux jours à deux semaines… et les chiffres hebdomadaires du chômage risquent d’être édifiants ce jeudi à 14h30.
Il n’y a plus de pilote dans la cabine de l’avion, plus de mains fortes pour cramponner le manche à balai — aujourd’hui, c’est un joystick — et redresser la trajectoire. De toutes façons, personne ne répond plus depuis la tour de contrôle : les écouteurs du casque grésillent, il fait nuit, les moteurs font un bruit bizarre et le radar indique la présence de fortes turbulences orageuses autour de l’appareil.
Mais est-ce que le radar fonctionne vraiment ? Si tel est le cas, comment les pilotes — qui se sont déguisés en simples passagers avant de quitter leur poste — ont-ils pu se fourrer dans un tel pétrin ?
La bonne nouvelle que constitue la chute du kérosène ne risque pas de réjouir les pays producteurs qui font partie des principaux créanciers des Etats-Unis. Mais cela devrait se corriger, avec ou sans réduction des quotas. De combien de semaines (ou de mois), ce ralentissement de la demande va-t-il rallonger l’espérance de vie de réserves pétrolières qui s’épuisent inexorablement dans les sous-sols du Texas, de l’Alaska, de l’Arabie, du Venezuela ou de la Chine ?
La notion d’espérance de vie est devenue un concept sans objet pour ceux qui ont arbitré le dollar au profit du pétrole. La fin du vol est brutale pour cette catégorie de spéculateurs qui provoquent un krach des matières premières à l’égal de ce fut la bulle qui l’avait précédé. Cette chute m’apparaît comme une opportunité d’achat historique car, si tel n’est pas le cas, il ne sera plus nécessaire de se demander si quelque chose faisant l’objet d’une cotation mérite d’être acquis.
Philippe Béchade,
Paris