La Chronique Agora

Comme un château (de cartes) en Espagne…

** La dernière semaine du mois de mai s’avère boursièrement beaucoup plus favorable que ne le laissait craindre la toile de fond macroéconomique. Les valeurs françaises ont abordé la séance de vendredi avec un solde hebdomadaire positif de 0,85% et le bilan mensuel ne ressortait plus que faiblement négatif (-0,4%) en cette veille de week-end.

La tentation est donc forte de ramener le compteur du mois de mai à zéro, voire de lui permettre d’afficher un gain symbolique, alors que Wall Street s’enthousiasmait sans restriction jeudi soir du recul — pour le moins paradoxal — de l’or noir sur le Nymex. La publication des stocks hebdomadaires de pétrole aux Etats-Unis révèle une forte baisse de 8,8 millions de barils de brut et un recul de 3,2 millions des réserves d’essence à une quinzaine de jours de la saison des grandes transhumances estivales (driving season).

Le cours du baril a bondi presque instantanément de 3 $ pour atteindre 133 $ vers 16h45. Il a ensuite radicalement inversé la vapeur pour reperdre 6 $ (le double) en moins de deux heures, provoquant une vague d’euphorie sur le Dow Jones et le Nasdaq. Les deux indices ne tardèrent pas à afficher des gains s’étageant entre 0,5% et 0,9% — contre -0,3% en début de séance.

Sans doute les investisseurs américains auront-ils à coeur de permettre au Dow Jones de gagner les 1% supplémentaires qui lui vaudraient une performance mensuelle positive — alors que le Nasdaq s’adjuge déjà plus de 4% — et d’effacer le mauvais souvenir de la semaine passée : on avait vu les indices américains reculer de 3,5% à 4% alors que le baril testait 135 $.

** Preuve qu’il est toujours possible de démontrer tout et son contraire, la correction de 6 $ survenue sur le Nymex est justifiée par l’anticipation d’une contraction de la demande en provenance des Etats-Unis et de l’Europe. La croissance du PIB américain a certes été révisée à la hausse à 0,9% au premier trimestre 2008 — contre une première estimation à 0,6% — mais les opérateurs se focalisent sur le net tassement de 0,1% de la demande intérieure.

Autrement dit, la baisse du pétrole résulte de la dégradation des principaux indicateurs d’activité économique, précurseurs d’une récession. Les marchés font, cependant, l’impasse sur les conséquences en termes de marges et de profits et procèdent à un arbitrage mécaniste au profit des actions. Les liquidités sont abondantes, la saison des dividendes bat son plein et France Télécom, par exemple, a détaché un coupon de 1,3 euro hier.

L’optimisme des opérateurs pourrait n’être que très superficiel et les achats de titres pourraient relever de tactiques de court terme opportunistes. La remontée des rendements obligataires se poursuit outre-Atlantique, les bons du Trésor de maturité 2018 affichent désormais un peu plus de 4% et l’Europe n’est pas en reste avec 4,52% sur l’OAT de référence à 10 ans.

Avec la remontée des taux « marché », les conditions de prêts se durcissent de nouveau et les banques ne retiennent que les dossiers « zéro risque ». Tout ceci survient au plus mauvais moment pour le compartiment immobilier.

** En Angleterre, les prix de l’immobilier ont enregistré une chute sans précédent depuis un demi-siècle de 2,5% au mois d’avril après 0,9% en mars. Le recul annualisé n’est cependant que de 4,4% grâce à la prise en compte de la hausse du second semestre 2007, désormais bien révolue.

Sur les six derniers mois, les prix dégringolent à un rythme annuel proche de 10%. Certains banquiers de la City s’attendent à ce que cela provoque des ravages parmi les 75% d’emprunteurs à taux variable. De nombreux travailleurs des pays de l’Est, spécialisés dans les métiers du bâtiment, commencent à quitter la capitale britannique pour regagner la Pologne, la Tchéquie ou l’ex-Yougoslavie.

** En Espagne, l’équation apparaît encore plus destructrice puisque les prix immobiliers s’effondrent de 15% à 20% — dans certaines régions, les spécialistes ne savent même plus. Les transactions ont fondu de 38% (moyenne nationale) et la chute dépasse 60% à 75% dans les régions côtières qui avaient connu un boom de l’immobilier de loisir — lequel s’effondre comme un château de cartes.

Imaginez la situation des ménages espagnols surendettés (à 80% en taux variable) qui se retrouvent soudain — et par centaines de milliers — en negative equity sur leur patrimoine immobilier et qui encaissent de plein fouet un choc d’inflation d’une magnitude de 4,7% en rythme annuel en avril (après 4,2% en mars).

La conjonction de ces deux phénomènes produit un résultat édifiant mais sans surprise : les ventes de détail se sont effondrées de 3,8% au mois d’avril. Plus de 200 000 travailleurs liés de près ou de loin au secteur de la construction ont déjà perdu leur emploi en 12 mois et le taux de chômage espagnol serait repassé bien au-dessus de 10% ce mois-ci (9,6% en avril).

** La BCE ne retient dans un dernier communiqué que le renforcement des pressions inflationnistes — des rumeurs récurrentes de hausse du loyer de l’argent circulent (à un horizon de trois à six mois). Etonnez-vous après cela de voir l’indicateur du sentiment économique (ESI) des pays adhérents à l’Union européenne reculer de 1,3 point en mai à 96,7, selon les chiffres publiés par la Commission européenne.

Peut-être J.C. Trichet envisage-t-il de prendre sa retraite dans le sud de l’Espagne ? Il y fera certainement de bonnes affaires… d’ici deux ans ! Et, pour le coup, il pourra se vanter d’avoir terrassé l’inflation — à moins que ce ne soit le système bancaire ibérique !

Philippe Béchade,
Paris

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