La Chronique Agora

Chronique des "Quatre sorcières"

▪ La séance des « Quatre sorcières » tant attendue n’a donné lieu à la manifestation d’aucun sortilège haussier. Les mauvaises fées ont sévi au cours des 48 heures qui ont précédé l’échéance.

Elle ont par exemple fait décoller Paris d’un coup de baguette magique ce mercredi en direction des 3 875 points, histoire d’alimenter de faux espoirs de retracement du zénith annuel des 3 913 points ce vendredi. Puis, dès que la micro-bulle boursière s’est retrouvée à hauteur d’yeux, « plop », elles l’ont faite exploser en soufflant dessus un nuage de talc. Le CAC 40 a rechuté de 1,2% vers 3 830 points — encore un « bull trap« .

C’est une bonne métaphore de l’année 2009. Un peu de lessive en poudre, beaucoup de liquidités, un fouet pour agiter le tout et un gros paquet de mousse se forme. Photographié sous le bon angle et avec un éclairage adéquat, l’illusion de découvrir un imposant rempart montagneux, recouvert d’un épais manteau neigeux qui scintille au couchant est presque parfaite… mais jetez là-dessus une nouvelle pincée de lessive et le Mont Blanc, les Grandes Jorasses et l’Aiguille Verte se désintègrent en un instant.

▪ Ce scénario, c’est la hantise des dizaines de millions de salariés américains qui cotisent pour leur retraite dans le cadre de l’enveloppe fiscale « 401(k) ». Un pourcentage prédéterminé de leur salaire est prélevé tous les mois pour acheter des valeurs mobilières. La direction de leur entreprise contribue à cet effort d’épargne en versant une contribution proportionnelle sous forme d’argent liquide ou de titres cotés en Bourse… et la valeur liquidative des fonds de retraite est calculée chaque mois comme pour une SICAV tout à fait classique.

Sauf qu’il est interdit au détenteur de vendre à son gré tout ou partie de ce portefeuille pour matérialiser des gains qui ne sont que virtuels tant qu’ils figurent sous forme de « + » au bas de la dernière page sur un simple relevé de compte.

Le seul moyen de récupérer sa mise et d’engranger des plus-values, c’est de partir en retraite. Sinon, le salarié actif n’a aucun moyen d’échapper au piège de cours complètement surachetés… contrairement aux spéculateurs qui travaillent le marché à la milliseconde, avec de l’argent gratuit généreusement prêté par la Fed en l’échange de créances douteuses qu’aucun épargnant ne voudrait détenir dans son portefeuille, même pour faire peur à son banquier !

Pour résumer, nous avons d’un côté des acheteurs cash qui remettent au pot chaque mois et ne peuvent quasiment jamais revendre le « papier ». De l’autre, on trouve des opérateurs qui empruntent à tout-va, jouent avec les effets de leviers, verrouillent leurs gains au fil de l’eau et peuvent se permettre de ne jamais quitter leur salle de marché avec une seule position en overnight dans leur carnet.

On se demande lesquels seront les dindons de la farce haussière qui se joue depuis la mi-juillet…

Imaginez quelle tournure prendraient les habillages de bilans de cette fin d’année 2009 si des millions de salariés avaient le choix. Ils pourraient soit miser sur un Dow Jones à 14 000 points en 2010… ou s’enfuir en courant avant que les taux ne remontent et que les banques ne dévoilent d’ici quelques mois de nouvelles méga-pertes sur les crédits immobiliers commerciaux, les prêts prime, les junk bonds et la dette des nombreux pays qui ont vu leur notation dégradée depuis début décembre.

▪ De façon encore plus imagée, le spectacle de la hausse se joue devant une salle comble. Les day traders occupent les fauteuils d’orchestre situés près des allées, et de préférence à moins de trois foulées des issues de secours. Les épargnants de long terme, quant à eux, occupent les balcons supérieurs et sont littéralement ficelés sur leurs fauteuils — c’est pour garantir leur sécurité, une chute accidentelle est si vite arrivée.

Devinez lesquels auront la vie sauve en cas d’incendie ?

La salle applaudit à tout rompre Ben Bernanke, élu « homme de l’année » par le magazine Times. Pendant ce temps, les agences de notation qui font office de pompiers de service ont repéré — tout comme nous — depuis plusieurs mois d’épaisses volutes de fumées (de dettes toxiques) qui s’échappent des bouches d’aération.

Le système de ventilation de l’opéra financier traverse les sous-sols de nombreuses Banques centrales occidentales… mais également ceux d’établissements de crédit qui contrôlent des milliers de filiales dans les paradis fiscaux.

Ni Standard & Poor’s, ni Moody’s ne veulent prendre le risque de révéler que le foyer d’incendie le plus virulent ne se situe pas du côté d’Athènes, de Dubaï ou de Kiev mais bien du côté de Londres ou Washington — où les réserves de combustible sont autrement plus considérables.

Nous vous rappelons que le bilan de la Fed dépasse désormais le trilliard (mille milliards) de dollars. Il se compose majoritairement de dérivés de crédit immobilier et d’emprunts à long terme émis par des collectivités locales américaines au bord de la banqueroute. Cela commence à sentir le roussi mais personne, jusqu’au dernier moment, n’osera crier « au feu », par peur que la bousculade fasse plus de victimes que les flammes.

Ceux qui comprennent parfaitement ce qui est en train d’arriver font encore semblant de rien… mais ils ont déjà enfilé leur manteau, vérifié le laçage de leurs chaussures et repéré l’itinéraire vers la sortie la plus proche.

▪ C’est peut-être ce qui explique que Wall Street a aligné une troisième séance de repli consécutive (pour un repli hebdomadaire de -1,5%), contrairement aux places européennes. Ces dernières ont enchaîné cinq séances de hausse sur une série de six ; elles engrangent +0,6% en moyenne depuis le début de la semaine.

Comme rally de fin d’année, on a déjà vu mieux. D’autant plus que le Dow Jones, qui a perdu 1,27% jeudi soir, se retrouve à son plus bas niveau du mois de décembre, à 10 308 points. Le Nasdaq cède 1,22% et rechute sous les 2 200 points, à 2 180, pour se retrouver à 2% du dernier record annuel inscrit à 2 220 points mercredi à l’ouverture.

L’indice S&P 500 a également lâché 1,2% à 1 096 points. Il suit les valeurs bancaires, qui pâtissent de la diffusion sur CNBC d’une interview de Meredith Whitney. Cette dernière a de nouveau dégradé ses prévisions de résultats sur les banques d’affaires Morgan Stanley et Goldman Sachs et réitéré son diagnostic de surévaluation globale du secteur financier.

▪ Mais s’il nous fallait sortir un gros titre pour résumer la séance de jeudi, nous le consacrerions à l’envol de 1,5% du dollar/euro après la dégradation d’un cran de la notation de la dette souveraine de la Grèce par Standard & Poor’s de A- à BBB+.

Le billet vert a culminé à 1,4315/euro peu après la publication de l’indice des indicateurs avancés du Conference Board. Il a progressé de 0,9% au mois de novembre, signant sa huitième hausse consécutive et atteignant son meilleur niveau depuis juillet 2007. La monnaie unique lâche ainsi 3% en une semaine, 5% en 15 jours… et semble rééditer le scénario de la fin de l’été 2008, période de sinistre mémoire pour les places boursières.

L’euro vient ainsi de dévisser sous la moyenne mobile à 100 jours (1,465 $) et revient au contact de sa moyenne mobile à 100 semaines, soit 1,4315 $. C’est un seuil de soutien majeur mais la facilité avec laquelle le support des 1,4450 a été enfoncé nous laisse songeur.

Quelques spectateurs auraient-ils quitté la salle précipitamment après avoir réalisé que la fumée qui envahit la scène de la finance mondiale n’a strictement rien à voir avec des effets pyrotechniques destinés à accompagner le numéro des « Quatre sorcières » ?

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