A la différence de tous ses prédécesseurs à la tête de la BCE, Christine Lagarde n’a jamais dirigé de banque centrale nationale. Aussi curieux que cela puisse paraître, cette carence n’entravera en rien son action.
Pour agencer la prochaine étape de la fuite en avant, rien de tel qu’une politique à la tête de la BCE
Comme nous avons eu mille fois l’occasion de le voir, pour survivre, la Zone euro n’a plus d’autre choix que la fuite en avant.
A ce stade, ce n’est donc pas d’un fin technicien dont elle a besoin à la tête de sa banque centrale, mais plutôt d’un politicien suffisamment habile pour rendre possible la seule évolution susceptible de lui accorder un répit : une relance de la croissance au travers de politiques budgétaires expansionnistes étendues aux Etats-fourmi, laquelle politique ne pourra être « durable » que grâce à la création d’eurobonds.
Or, à cet égard, « les atouts de Lagarde sont bien adaptés à la période », comme l’indiquait Lawrence Summers dans le Washington Post le 9 juillet.
Comme ce texte de l’ancien Secrétaire du Trésor (1999-2001) et conseiller économique du président Obama (2009-2010) me semble assez prémonitoire, je vous en propose quelques extraits.
Pour cadrer le propos de cet éminent économiste (Harvard) démocrate, l’arrivée de Christine Lagarde à la BCE « pourrait bien être le changement le plus important en termes de leadership au sein du système financier international depuis des décennies ».
Rien que ça.
Eh oui, car « Lagarde – contrairement à toutes les autres personnalités envisagées pour la direction de la BCE – est plus naturellement en phase avec les chefs d’Etat européens qui se réunissent régulièrement à Bruxelles, qu’avec les dirigeants de banques centrales qui se réunissent à Bâle, en Suisse ».
Sans compter qu’il va lui falloir reconquérir son directoire, comme le faisait remarquer Patrick Artus, chef économiste de Natixis, le 30 septembre dans les colonnes de L’Opinion :
« Christine Lagarde vient du FMI, où elle a dû déployer des talents de persuasion pour parvenir à des compromis difficiles. La BCE a grand besoin d’une diplomate pour calmer les esprits, renouer avec le consensus qui a disparu ces derniers mois. N’étant pas du sérail des banques centrales, elle aura certainement le souci de consulter les uns et les autres, sans doute davantage que ne le faisait son prédécesseur. »
Christine Lagarde a le profil idéal pour rassembler les chefs d’Etat et de gouvernement autour des eurobonds et ainsi conserver la confiance des marchés
On peut donc conclure, comme le fait Lawrence Summers, qu’à défaut d’être « une économiste ou une technocrate financière expérimentée, […] les atouts de Lagarde sont bien adaptés à la période ».
Et pour cause :
« Le plus grand risque pour l’union monétaire européenne et pour la contribution de l’Europe à l’économie mondiale réside dans la persistance de la croyance selon laquelle la BCE, agissant de manière indépendante, peut stabiliser l’économie européenne. »
En effet, si l’expérience monétaire sans précédent historique dans laquelle nous vivons perdure, c’est uniquement parce que les banques centrales conservent la confiance des marchés. Dès que le moindre doute s’installera dans l’esprit des intervenants vis-à-vis de la capacité d’action de ces dernières, nous aurons à nouveau droit à une partie de chaises musicales.
Lawrence Summers tient des propos très rassurants à ce sujet puisqu’il estime qu’au regard de son action à la tête du FMI, Christine Lagarde coche toutes les cases de la parfaite keynésienne :
« Au FMI, Lagarde s’est montrée disposée à affirmer que les doctrines d’austérité, appropriées dans une ère inflationniste et de taux d’intérêt élevés, ne le sont pas dans une période où les marchés estiment que les banques centrales ne parviendront pas à atteindre un objectif d’inflation de 2% sur une décennie. »
Et Lawrence Summers d’expliquer que la Zone euro ne peut plus se contenter d’une politique monétaire ultra expansionniste. Sans relance budgétaire, ses 19 Etats-membres ont du souci à se faire :
« Il sera essentiel de dépasser les objectifs de la politique monétaire pour stimuler la demande afin que l’économie européenne se comporte de manière satisfaisante dans les années à venir. »
Lawrence Summers en vient ensuite au cœur de son propos :
« Outre des choix judicieux en matière de politique macroéconomique, le succès de la BCE nécessitera des réformes institutionnelles renforçant la réglementation bancaire et les interventions d’urgence à travers l’Europe et permettant l’émission de titres de créance adossés à l’ensemble de l’Europe. »
Cette nécessité d’une fédéralisation de facto de la Zone euro explique pourquoi, du point de vue de Lawrence Summers, le choix de Christine Lagarde à la tête de la BCE est parfaitement idoine :
« Il existe de vives divergences sur ces questions au sein de l’Europe et, pour aller de l’avant, il faudra la stature politique et l’agilité de quelqu’un comme Lagarde, et pas seulement des explications techniques. »
CQFD.
Sans pour autant les nommer, Lawrence Summers dessine les deux éléments saillants du visage que pourrait prendre la Zone euro sous Christine Lagarde : Théorie monétaire moderne (TMM) et eurobonds.
En somme, comme cela a été le cas lors de son passage au FMI, l’inexpérience de Christine Lagarde en matière d’Economie ne fera aucunement obstacle à l’exercice de sa fonction – ce serait plutôt le contraire.
La nomination d’un autre candidat à la tête de la BCE aurait-elle changé quoi que ce soit au destin de la Zone euro ? Comme nous le verrons dans un prochain billet, les dés sont jetés et les personnalités n’ont plus grande importance.