La Chronique Agora

La Chine sera-t-elle le prochain hégémon ?

Chine, Etats-Unis, croissance économique, BRICS

D’un côté, la croyance dominante est que la Chine va dépasser les Etats-Unis… De l’autre, de nombreux discours occidentaux visent à la discréditer… Alors, qu’en est-il vraiment ?

Voici le summum de la guerre de propagande en cours au niveau global : l‘enjeu, c’est la formation de l’opinion mondiale sur qui va être le leader économique global dans le futur. Qui va être l’hégémon ? Pas forcément la Chine !

C’est la réponse aux BRICS et aux partisans de la thèse du déclin historique occidental.

Nous sommes dans une phase de recomposition mondiale avec formation de camps. La propagande – des deux côtés – vise à rallier et cimenter les camps.

Il ne s’agit pas de prévoir, non ; il s’agit d’influencer les perceptions, et de modifier les croyances. Il ne s’agit pas de prévoir, mais de construire le futur.

Je précise que c’est une thématique occidentale concertée, avec coordination. Le hasard n’existe pas, toute la thématique est pilotée. J’ai déjà évoqué cette question et noté aux passages les émergences de cette thématique de propagande.

Comment parler de la Chine

En Occident, sous cet aspect, rien n’est laissé au hasard. Quand vous suivez tout, vous voyez clairement se dessiner les contours de l’action de manipulation et ses variantes de déclinaison.

Il faut dramatiser la situation actuelle de la Chine et son incapacité à rebondir après la fin des fermetures Covid. Il faut détruire le mythe de la grande initiative planétaire des nouvelles routes de la soie. Il faut insister sur la crise provoquée par l’éclatement (volontaire) de la bulle immobilière. Il faut mettre en évidence les difficultés du secteur financier et bancaire chinois.

Il faut faire douter de ses statistiques économiques. Il faut minorer ses performances et ses réussites passées en matière de réduction de la pauvreté. Il faut surestimer la question du chômage. Il faut passer sous silence les performances et la résilience en matière de commerce extérieur.

Il faut faire semblant de ne pas voir ses points forts technologiques, sa montée dans l’échelle des valeurs ajoutées.

Il faut négliger que l’appareil chinois est géré avec une poigne de fer centralisé, et que les effets de contagion sont limités par l’intervention de l’Etat et de l’administration.

Il faut présenter la baisse du Yuan comme négative, alors qu’elle est dialectique et présente des avantages.

Il faut surtout se placer comme « observateur central extérieur », c’est-à-dire comme juge impartial détenant la vérité, et donc interdire de prendre en compte les faiblesses de celui qui observe et juge.

Et, en particulier, il faut occulter le talon d’Achille du système occidental, qui est que tout est construit sur du sable, sur de fausses valeurs, sur du Ponzi dont le symbole est le dollar.

Des proies et des ombres

La confrontation entre les deux systèmes est claire et complexe en même temps.

Est ce qu’il vaut mieux chasser la proie ou chasser les ombres ? Est-ce que l’imaginaire occidental est supérieur – en termes d’efficacité – aux représentations chinoises, censées être plus objectives ?

Je pose pour simplifier que l’Occident repose sur la gestion des ombres et que les gens d’en face, eux, chassent les proies.

Mais je dis que c’est complexe, car aucun système n’est pur. Une partie du système chinois a été polluée par l’Occident et la culture occidentale, tandis qu’une partie du système occidental reste attachée au réel, aux rapports de forces concrets – en particulier dans le domaine militaire. L’aberration névrotique de l’imaginaire occidental ne touche pas toute la société occidentale. Une partie, la partie supérieure, est cynique ; elle sait que l’imaginaire, c’est pour la plèbe, et que, ce qui compte vraiment, c’est le réel.

Il y a relative imbrication entre les deux systèmes avec prédominance d’un aspect d’un côté et prédominance d’un autre aspect en face.

A moyen terme, la vraie question à élucider est la suivante : est-ce qu’un système mixte encore dominé par les dépenses publiques, par les interventions de l’Etat, peut mieux se sortir de la crise financière et monétaire mondiale provoquée par des décennies de laxisme du crédit qu’un système libéral qui refuse les destructions par les crises ?

C’est le monde entier qui est victime de soi-disant polycrises, qui sont en fait une seule et même crise avec diverses formes, et diverses façons d’apparaître. Cette ou ces crises touchent aussi gravement l’Occident que la Chine. La différence est que, en Chine, elle est concentrée dans le secteur libéral qui fait environ la moitié du système, alors que, en Occident, elle est répartie dans presque tout le système.

Crise de valeur

Je ne vais pas m’y attarder, car ce serait trop long et trop complexe, mais grosso modo, la crise, c’est une crise de la valeur ; une crise même du concept de valeur, de la définition de la valeur.

Toutes nos valeurs, objectives, économiques, subjectives, culturelles, morales, etc., sont fausses, et inadaptées. Notre concept de la valeur c’est l’offre et la demande, donc la valeur est suspendue dans les airs. Elle ne peut être un guide de la société, puisqu’elle est un produit. Seule une conception de la valeur comme en-soi peut constituer un référent et un guide.

Par exemple pour vous faire comprendre : notre système de valeurs n’est plus adapté à un monde où il y a prise de conscience de la rareté, de la finitude, de l’épuisement, puisque nous n’avons pas été capables de prendre en compte dans nos élucubrations théoriques, économiques, les externalités.

Nous avons construit et réparti et gaspillé comme si tout était éternel, infini, sans limite, comme si en plus la mort n’existait pas. Nous avons vécu dans le pacte méphistophélique de notre propre surestimation. Nous avons fait le pacte avec le diable afin de pouvoir nous prendre pour des dieux.

La prise de conscience en cours dévalorise, déprécie tout notre système de valeurs antérieur.

La guerre en cours et les massacres en Ukraine nous rappellent par exemple la valeur très relative, voire nulle, de la vie humaine face à la nécessité pour le camp occidental de maintenir son hégémonie ! Tout cela ruine le système de valeurs bidons sur le droit de l’hommisme, l’humanisme, etc. Mais ce ne sont que des exemples, attention ! Le problème que j’évoque est bien plus vaste : nos systèmes de valeurs, ce à l’aune de quoi nous jugeons et nous œuvrons, est inadapté, faux, déficient.

L’un en avance, l’autre retarde

L’Occident n’a pas décidé de crever son système bullaire, de revenir sur terre. Toute l’habileté de la Fed est de maintenir le système de gestion par les bulles, tout en laissant passer un peu d’air et en appuyant sur l’accélérateur budgétaire. Mais ceci ne provoque qu’un assainissement très limité, insuffisant pour repartir sur de nouvelles bases. Par surcroît, ceci provoque au contraire plus de concentration de la pourriture sur le centre/le cœur du système.

Je peux me tromper, mais ma ligne d’interprétation est que la Chine est en avance sur le traitement de sa pourriture sur l’Occident, en avance dans sa réconciliation avec le réel. L’Occident, lui, étale cette réconciliation dans le temps, tout en concentrant la pourriture au point que cela détruit ses structures.

Je n’ai jamais douté du fait que la Chine doit connaître une crise et que ceci brisera ses tendances de croissance, mais je reste sur ces deux idées, à savoir que, premièrement, le cycle de la Chine est un peu en avance sur le cycle occidental et, deuxièmement, que le contrôle du Parti sur les leviers essentiels du pays va permettre de trouver une voie de sortie. Il n’empêche que la Chine doit muer, c’est une évidence.

Ce qui me frappe, c’est que l’Occident, quand il prône pour la Chine – comme en son temps pour le Japon – plus de libéralisme pour sortir du marasme, fait exactement le contraire pour lui : il devient plus dirigiste, plus autoritaire, il contrôle de plus en plus et fait reculer la loi du marché. C’est un comble ! Les Bidenomics et la politique de la Fed, par exemple, n’ont rien de libéral !

Le retour des ressources

Il y a une différence fondamentale d’approche entre les deux camps, dont je vois le symbole dans l’attitude face à l’or, réserve ultime de valeur, extincteur ultime de dettes, monnaie des rois. L’occident se gave d’or-papier, de contrats qui ne seront jamais honorés, tandis que le reste du monde accumule l’or physique !

Le camp des BRICS et de la Chine et de la Russie, c’est le camp du stuff, des ressources, des valeurs d’usage, du « hard », tandis que le camp occidental, c’est le camp du « soft », des valeurs d’échanges et surtout des valeurs-désirs.

Je fais le pari que le camp du hard doit l’emporter sur le camp du soft. Le camp du soft, c’est le camp des illusions, des signes, des bulles ; le camp du hard, c’est le camp du réel, de la vraie vie, des vraies forces.

Est que le vrai réel c’est celui du hard, de l’usage, ou est-ce que le vrai réel ce sont les représentations, les ombres ?

Demandez aux soldats en Ukraine ce qu’ils en pensent.

Je reviens à mon sujet : ici, il faut briser la croyance dans le miracle chinois. Actuellement la croyance dominante est encore que la Chine va dépasser les Etats-Unis.

Cette idée, il faut la détruire, implanter l’idée contraire. Il vaut mieux jouer le tenant du titre que le challenger. Et donc, il vaut mieux se rallier à l’idée de la persistance de l’unipolarité, de l’hegemon, du camp gagnant et donc de l’Otan.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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