▪ De nombreux observateurs — notamment les analystes techniques — soulignent que les places européennes dans leur ensemble s’installent depuis lundi dans une sorte de léthargie estivale. Cette dernière se caractérise par une réticence grandissante à prendre des initiatives et faire un pari directionnel.
Il en résulte une contraction de la volatilité et des volumes. Cependant, les opérateurs semblent considérer que les cours reflètent instinctivement une forme d’équilibre qui s’installe progressivement. On trouve d’un côté les craintes macro-économiques et politiques — qui n’ont guère changé de nature depuis l’été 2011 –, et de l’autre, l’espoir que les banques centrales détiennent le pouvoir de stabiliser la situation en attendant que l’Europe résolve ses difficultés et que les Etats-Unis retrouvent pour de bon le chemin de la croissance.
Nous avons déjà résumé à notre façon ce paradigme par l’aphorisme suivant : « les banques centrales ont épuisé le contenu de leur caisse à outils. Elles en sont réduites à la secouer pour faire du bruit avec quelques pinces édentées et autres tournevis hors d’usage restés à l’intérieur ; l’imagination des marchés fait le reste ».
▪ Tant qu’on n’ouvre pas la boîte, on ne sait pas si l’économie est morte ou vivante
Mais la Fed ne va pas pouvoir entretenir l’illusion très longtemps. Tout va bien tant que personne n’exige de faire l’inventaire critique du contenu de sa caisse. Mais l’optimisme pourrait se dissiper en quelques secondes si les marchés découvraient qu’en dehors de sa burette d’huile (pour lubrifier la planche à billets), elle n’a même plus de quoi visser solidement un boulon.
En Europe, c’est un peu différent. Mario Draghi laisse transparaître sa frustration de ne pouvoir sortir le grand jeu, parce que ses statuts le lui interdisent. Sinon, la BCE disposerait d’un éventail d’outils monétaires en parfait état de marche puisque peu utilisés jusqu’à présent.
▪ La BCE n’est pas aussi innocente qu’elle en a l’air
Mais ce n’est pas l’exacte vérité. En effet, la BCE intervient de façon bien moins spectaculaire — d’un point de vue médiatique — que la Fed… mais son bilan (la totalité des encours qu’elle détient) prouve qu’elle manie intensivement la pelle et le râteau depuis le printemps 2010. C’est à partir de cette période que la Grèce a commencé à perdre progressivement l’accès aux marchés.
Personne ne connaît exactement le montant des créances grecques que la BCE détient. La plupart des économistes estiment que si un règlement (qui heureusement ne s’applique pas aux banques centrales) l’obligeait à valoriser ce genre d’actifs en mark to market (au prix du marché à l’instant T; c’est-à-dire pratiquement zéro), ses fonds propres s’évaporeraient en moins de temps qu’il n’en faut pour additionner le total des pertes potentielles.
Continuons donc de prédire un long avenir à ce monde idéal où les banques centrales peuvent accumuler des créances de plus en plus faisandées sans craindre qu’elles finissent de se décomposer dans leurs coffres. Cela pend au nez de toutes les banques qui n’ont pas su flairer l’éclatement de la bulle immobilière en Espagne ou la répudiation de sa dette par l’Etat grec.
▪ Liquidités, produits dérivés : ça pue !
L’adage prétend que l’argent n’a pas d’odeur… Mais la tambouille que des banquiers inventifs confectionnent avec (produits dérivés, instruments exotiques) a commencé par sentir le roussi en 2007 avant d’exhaler une puissante odeur de pourri à l’automne 2008.
Les quantitative easing servent seulement à dissiper les relents pestilentiels qui empuantissent l’atmosphère, ils n’ont pas le pouvoir d’interrompre le processus de décomposition.
Le tas de compost fumant est toujours là, chaque jour plus épais. Le travail des banques centrales consiste à s’assurer que l’aire de stockage reste étanche et à brûler les gaz qui s’en échappent pour éviter que les cuves n’explosent.
Les marchés sont convaincus que la BCE va continuer d’accomplir bravement (et sans accident) cette mission de salut public — tout comme la banque du Japon le fait depuis 20 ans et la Fed depuis bientôt cinq ans.
Si tel n’était pas le cas, l’euro aurait rejoint le niveau de parité avec le dollar… Or la monnaie unique fait mieux que résister, vu tout le mal qu’en disent les économistes anglo-saxons.
Nous assistons à un repli ordonné, avec quelques petites accélérations successives à la baisse mais qui ne prennent jamais de proportions alarmantes.
▪ La glissade de l’euro
C’est justement à ce genre d’événement — qui n’a guère ému les places du Vieux Continent — que nous venons d’assister ce jeudi. Nous avons en effet vu le basculement de l’euro (1,2195 $) sous les 1,22 $ (le précédent plancher annuel se situait vers 1,2230 $) qui semble préfigurer une glissade en direction des 1,20 ou des 1,19 $.
Une baisse à relativiser puisque le mouvement d’appréciation du dollar est général depuis les minutes de la Fed mercredi soir. Cela démontre que les conditions économiques induisant la mise en oeuvre d’un QE3 ne sont pas encore réunies… mais pourraient l’être d’ici la fin de l’été.
Les membres de la Fed ont indiqué que l’économie américaine a continué à croître à un rythme plus modéré que précédemment, et que les conditions du marché du travail se sont détériorées… Mais les chiffres hebdomadaires du chômage publiés à 14h30 sont encourageants : 350 000 demandeurs, plus faible total depuis quatre ans.
Cela n’a pas séduit Wall Street qui vient d’aligner jeudi soir une sixième séance de baisse consécutive. Une telle série noire n’avait plus été observée depuis début mai 2012 et début novembre 2011 (huit replis d’affilée).
Il est à noter que les performances des indices américains ont été pour le moins disparates jeudi soir. Le Dow s’est effrité de 0,25, le S&P a perdu 0,5%, le Nasdaq 0,75% — une performance comparable à celle des places européennes quelques heures plus tôt.
▪ Les yeux rivés sur la Chine
Beaucoup d’investisseurs n’ont pas voulu prendre le risque de rester acheteurs en overnight, de peur que le chiffre du PIB chinois attendu ce vendredi matin ne s’avère décevant.
Il faudrait un score supérieur à 7,6% pour rassurer un peu les marchés et de 8% pour leur redonner le sourire.
Nous n’y croyons guère vu le comportement des places asiatiques, de Hong Kong et Séoul jeudi matin. Des replis de 2% à 2,2% démontraient une évidente nervosité — et même un certain pessimisme — qui ne se dément pas depuis le début de la semaine, y compris au Japon. Le score hebdomadaire ressort négatif de 3,3% : c’est la pire performance de Tokyo depuis la mi-mai.
Peut-être les Bourses de Hong Kong ou Shanghai auront-elles rebondi de 3% au moment où vous lirez ces lignes… mais si tel n’est pas le cas, la Chine donnera du grain à moudre à ceux qui redoutent le vendredi 13.