La Chronique Agora

Un chien nommé Pégase

Bourse, krach, inflation

Dans des marchés devenus à 99% algorithmiques, la queue s’est déconnectée de la tête du chien… et elle continue de battre joyeusement alors que les indices s’envolent.

Une huitième semaine de hausse consécutive, cela tomberait à pic pour aborder Thanksgiving et le Black Friday avec un vrai capital de confiance dans son pouvoir d’achat présent et futur… en faisant l’effort d’éloigner de sa conscience un minuscule détail : le réel.

Si les indices boursiers y parviennent, pourquoi pas l’épargnant ?

Ah… j’entends l’objection suivante : le cerveau humain n’est pas programmable comme un algorithme qui achète aveuglément des millions de titres en Bourse, et qui redouble ses efforts dès qu’un palier de résistance est franchi. Ce qui, par le jeu de programmes d’achats s’additionnant, débouche sur une véritable réaction en chaîne à la hausse… laquelle est en train de devenir la plus longue et la plus verticale de l’histoire.

Mais les algorithmes en question sont bien programmés par des humains, non ?

Que le meilleur algo gagne

Des humains qui sont – en théorie – bien conscients du réel et que l’évolution du marché ne peut pas s’en affranchir, jusqu’à afficher des variations totalement absurdes « vu le contexte ».

Voilà une illusion qu’il nous faut une fois de plus dissiper : celui qui programme les « algos » se fiche en fait éperdument du réel ou d’anticipations qui relèvent ou non de l’utopie.

Ce qui compte, c’est l’argent que permet d’engranger l’algo : s’il s’avère plus rémunérateur d’ignorer le réel que d’en mesurer l’impact sur la valeur des entreprises – et sur les revenus qu’elle versera à l’actionnaire –, alors les algos travailleront comme si ce qui fait notre quotidien et la une des médias n’existait pas.

Si un algo rapporte plus en tentant de coller au plus près des dernières données macroéconomiques ou géopolitiques, et bien… eh bien, cela ne se produit plus depuis des années, sauf de manière très accidentelle. Depuis que l’encours sur les dérivés dépasse par un facteur 10 ceux négociés sur leur sous-jacent.

C’est-à-dire depuis que la « queue remue le chien ».

La queue ignore par définition la raison qui la fait battre : l’algo tente uniquement de s’adapter au rythme de ses va et vient, de telle sorte que les joies ou les peurs initiales sont devenues des facteurs totalement secondaires.

Le constat qui rassemble tous les suffrages, c’est qu’il est contreproductif de se préoccuper des « émotions » du chien : les gains ne sont jamais aussi importants que lorsque son « vécu » est ignoré.

Performances et miracles

Mais la queue qui bat avec une régularité de métronome – depuis sept semaines – ne fait que renforcer le sentiment que ce ne peut être que pour de bonnes raisons.

Si de telles raisons existaient, l’ensemble des actifs négociables devraient s’inscrire sur la même trajectoire que le CAC 40, le DAX ou le Dow Jones.

Or les Bunds affichaient 1,90% de rendement le 3 octobre, tandis que le DAX évoluait sous les 11 900 points. Puis, ce 18 novembre, ce même DAX flirtait avec les 14 500 alors que le rendement des Bunds se réinstallait au-dessus des 2%. Ce qui signifie que le prix des obligations allemande a baissé, dans l’intervalle.

Et là, nous ne pouvons éluder cette question : qu’est-ce que la queue (des indices boursiers) connaît que la tête (des marchés de taux) a superbement ignoré ?

Les 21% repris par l’Euro Stoxx 50 depuis le 13 octobre (en cinq semaines) constituent une performance sans précédent connu. Le DAX fait juste un peu mieux avec 21,5%, mais depuis le 3 octobre.

Le CAC 40 se contente d’une hausse de 18% vers 6 660 points… mais, de tous les indices européens, c’est celui qui limite le mieux la casse sur l’année, avec une perte inférieure à 7% depuis le 1er janvier.

Nous savons tous, et les gérants les premiers, qu’une guerre en Ukraine aurait dû suffire à elle seule pour faire chuter le CAC40 ou le DAX de 10%, et du double en prenant la folle décision – d’un point de vue économique, la morale c’est une autre affaire – du boycott du gaz russe, ce qui désintègre le modèle industriel allemand et dans une moindre mesure l’italien.

En ce qui concerne l’inflation, passer la barre des 10% en Europe – notamment outre-Rhin –, c’est aussi la garantie d’une baisse symétrique des indices boursiers, sans besoin d’une guerre ni de pénuries d’énergie.

Et de combien peuvent reculer des indices boursiers confrontés à un contexte de croissance passant de 7% à zéro en 2022, puis à la récession en 2023 ?

Corrélation immobilière

La contraction des marges et des profits l’an prochain devrait être une des plus sévères depuis 2009… et le krach immobilier US qui vient tout juste de démarrer n’est même pas « pricé ».

Les ventes de logements anciens aux Etats-Unis ont diminué pour un neuvième mois consécutif en octobre par rapport au mois précédent, reculant de 5,9% à un rythme annualisé de 4,43 millions, selon les données de la NAR (National Association of Realtors).

Le prix de vente médian recule à 379 100 $. Alors, certes, il apparaît en hausse de 6,6% par rapport à l’an dernier, mais il chute de 9,1% par rapport au record de 416 000 $, établi au mois de juin.

Wall Street n’a jamais résisté à une forte correction du secteur immobilier au cours du siècle écoulé, c’est même du cinq sur cinq : corrélation parfaite.

La sixième correction qui s’amorce est cependant différente : son démarrage est plus brutal que les 5 précédents épisodes, parce que la remontée des taux est nettement plus intense (400 points de base supplémentaires en huit mois, et probablement 500 sur un an).

Il va y avoir du dégât dans le secteur des créances hypothécaires : les défauts de remboursement et les saisies vont se multiplier, le bilan des banques va en souffrir.

Mais le constat qui s’impose, à 48 heures de Thanksgiving, c’est que plus l’horizon immobilier, obligataire et industriel s’assombrit, plus les actions montent.

Comme si, depuis le 13 octobre, elles faisaient figure d’ultime rempart contre les caprices de la conjoncture et recueillaient les flux de capitaux désertant les autres classes d’actifs !

Prenez par exemple les cryptos : depuis l’éclatement du scandale FTX, ce secteur a vu sa capitalisation fondre de 400 Mds$ en 15 jours (et de 3 000 Mds$ en environ un an vers 800 Mds$), et le Bitcoin menace d’enfoncer les 16 000 $, puis de se diriger vers les 12 500 $.

L’effondrement de 75% de ce secteur s’explique par la contraction de la masse des liquidités disponibles depuis fin novembre 2021. Le krach obligataire de 20% s’explique quant à lui par le décollage à la verticale des taux d’intérêt. Mais, si vous prenez le CAC 40, il affichait 6 555 points le 30 novembre 2021… et 6 555 ce 18 novembre à l’heure du déjeuner. En somme, à 50 semaines de distance, il ne s’est rien passé : ni flambée des taux, ni récession, ni guerre, ni chute des profits, ni explosion des déficits, ni pénuries, ni effondrement de notre modèle industriel européen.

En fait, dans des marchés devenus à 99% algorithmiques, la queue s’est déconnectée de la tête du chien et elle continue de battre joyeusement, même si l’animal tombe en hurlant de terreur du 40ème étage.

La queue semble donc faire le pari que le chien s’appelle Pégase et va bientôt déployer ses ailes.

Vu la vélocité de la chute, il y a intérêt à ce qu’il ne manque pas une plume d’ici Noël !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile