La Chronique Agora

Ces tout petits riens qui nous préparent un grand quelque chose

▪ Ca y est : Alcoa a été la première blue chip à publier des trimestriels décevants !
Ca y est : la Fed prépare un nouveau relèvement du taux d’escompte à 1% !
Ca y est : la Grèce vient de démarrer un nouveau cycle de refinancement !
Ca y est : le Dow Jones s’installe au-dessus des 11 000 et le S&P teste 1 200 !
Ca y est : Washington Mutual reconnaît avoir escroqué Wall Street et la FDIC !
Ca y est : quatre grandes banques chinoises vont devoir lever 50 milliards d’euros d’ici deux ans !
Ca y est : le FMI reconnaît que la moitié de l’Europe va retomber en déflation !

Ca y est : vous êtes à présent convaincus que rien ne fera bouger les marchés !

En effet, n’importe lequel de ces titres figurant à la une des journaux financiers datés du 13 avril aurait pu faire décaler les indices boursiers de 1% — voire de bien plus en cumulant leurs effets… mais il ne se passe rien. Strictement rien !

Les places européennes ont consolidé mardi de 0,25% en moyenne, d’après le score de clôture de l’Eurotop 100. Wall Street, en revanche, affichait quelques heures plus tard une hausse parfaitement symétrique. La valeur d’un portefeuille bien diversifié n’a absolument pas varié hier, d’autant plus que la parité euro/dollar n’a pas bougé d’un iota.

Si l’analyse des détails d’une journée boursière ne vous passionnent pas, rassurez-vous : vous n’êtes pas le seul. Les logiciels experts qui gèrent les positions spéculatives des hedge funds et des départements « gestion pour comptes propres » des grandes banques opérant depuis Wall Street ne sont pas davantage émus par l’écume du quotidien.

Traduit en langage journalistique de type presse grand public, ce genre de stagnation induit des commentaires de type : « le marché reprend son souffle après 10 semaines de hausse », « les indices hésitent au contact de résistances majeures », « l’attentisme domine avant les résultats d’Intel », etc.

▪ Tout ceci n’est pas faux. Cependant, l’apparente pause dans le rally haussier masque en réalité une information essentielle : la matérialisation furtive d’enjeux portant sur des dizaines de milliards de dollars (ou d’euros) d’engagements à terme.

Le « rien ne saurait faire bouger les marchés » cache une intense manipulation des indices s’étendant sur une période de plusieurs semaines et visant à écraser la volatilité.

Récents soubresauts des parités de change… flambée du pétrole… risques d’explosion imminente de la bulle de la dette publique dans les pays qui croulent sous les déficits budgétaires… nouvel épisode de récession ou de stagflation qui se prépare dans l’Eurozone (selon J.C. Trichet et Dominique Strauss-Kahn)… Malgré tous ces facteurs, les indices boursiers n’esquissent même pas l’amorce de l’ébauche d’un soupçon de commencement de consolidation depuis six semaines.

Il faudrait être bien naïf pour croire qu’une telle perfection du canal haussier résulte d’une psychologie de marché mêlant à parts égales confiance et prudence… une sorte de Voie du Milieu où peur panique et euphorie débridée auraient été éradiquées.

Le marché est en réalité emprisonné par une sorte de camisole informatique. Il est assommé par une dose massive de tranquillisants — un incessant goutte-à-goutte d’études d’analystes invariablement haussières — qui neutralisent les neuro-récepteurs de l’actualité économique et anesthésient tout sens critique chez les opérateurs.

▪ Pendant que les commentateurs dissertent à perte de vue sur la signification d’un Dow Jones à 11 000 points (et même 11 013 points mardi soir) ou d’un Nasdaq retrouvant ses niveaux d’avant-crise — et désormais de la fin juin 2008 –, les fortunes se font ailleurs… en toute discrétion et par la grâce d’une extinction sans équivalent depuis juillet 2007 de la volatilité des dérivés d’indices boursiers et d’actions (options, turbos, warrants).

L’effondrement du VIX vers 15,6% induit que le stress implicite des opérateurs n’est désormais pas plus élevé qu’au milieu de l’été 2007. Atteindre un niveau aussi bas a en fait quelque chose de proprement vertigineux !

Le succès rencontré par l’émission de bons du Trésor grec à six et 12 mois mardi matin l’était également. Avec un rendement de 4,55% et 4,85% respectivement, ces deux lignes d’emprunts (totalisant 1,2 milliard d’euros) se sont littéralement arrachées — les taux de sursouscription ont même dépassé les 750% pour le « six mois ».

Ce n’est plus un succès, c’est un triomphe ! Mais quel risque y a-t-il à encaisser un coupon de 4,75% — en moyenne pour ceux qui ont réussi à panacher leurs achats — sur une période inférieure à un an (contre 1,4% et 2,2% trois mois auparavant) ?

Sauf catastrophe absolue, la banqueroute de la Grèce ne devrait pas survenir avant mi-2011, quand les banques grecques manqueront à leur tour de fonds propres.

▪ L’adjudication grecque n’a cependant pas suffi à pousser l’euro au-dessus des 1,36 $. Le billet vert cotait entre 1,3590 et 1,3610/euro mardi soir, malgré un déficit commercial américain qui remonte à -39,7 milliards de dollars contre -36,95 milliards en janvier… l’indice des prix à l’importation augmente de 0,7%.

En France, l’inflation s’accroît de 0,5% en mars 2010 (+1,6% sur un an), dans le sillage des prix de l’énergie — après une augmentation de 0,6% au mois de février.

Nous n’allons pas nous attarder sur les 0,45% perdus par le CAC 40 mardi : ils pourraient être facilement repris ce mercredi. Les opérateurs commencent en effet à préparer la journée des « Trois sorcières ». La magie noire mise en oeuvre depuis six semaines consistera à pétrifier les indices boursiers 48 heures de plus, afin que les stratégies complexes d’arbitrages de volatilité produisent la quintessence de leur potentiel de gain… réservé à une microscopique élite de connaisseurs fortunés.

Et ça y est : le marché s’abandonne à une confiance béate et généralisée, la volatilité peut désormais faire son grand retour !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile