▪ Ce lundi s’annonçait comme une journée plutôt creuse et sans histoire : pas de statistiques aux Etats-Unis et un plan de sauvetage de l’Irlande sans aucune surprise tant au niveau des montants que des modalités. L’évolution de l’euro aurait pu agir comme fil rouge.
Son incursion sous les 1,32 au milieu de la nuit ne semblait guère impressionner les investisseurs en début de matinée. Le sentiment dominant était que le gros du repli était acté alors que le dollar venait de reprendre la moitié du terrain perdu entre 1,185 et 1,425/euro — soit un objectif de 1,3050/euro.
Ce sont les places asiatiques qui entretenaient le sentiment que les acheteurs n’avaient pas l’intention de se laisser perturber par les arbitrages euro/dollar. Taïwan gagnait en effet 0,6%, Tokyo 0,85% et Hong Kong 1,25%. De leur côté, les indices américains s’apprêtaient à capitaliser sur le bon niveau des ventes de Thanksgiving en entamant la semaine en hausse de 0,6%.
Les places asiatiques semblaient ne plus se préoccuper des arbitrages euro/dollar ou euro/yen : Taïwan gagnait 0,6%, Tokyo +0,85% et Hong Kong +1,25%.
Les places européennes n’avaient aucun mal à gagner 0,5% d’entrée de jeu. Elles ont rapidement poussé leur avantage au-delà des +1% après moins d’une heure de cotation (+1,25% pour l’Euro-Stoxx 50 et le CAC 40).
▪ Mais à 10h30, sans aucune actualité particulière, les indices se sont mis à dévisser. La surprise a été totale tant sur le fond — qui demeure très subjectif — que sur la forme : les indices boursiers n’ont jamais bénéficié de la moindre réaction technique à la hausse au cours des six dernières heures de la séance.
Ce lundi s’achève sur la plus lourde chute du CAC 40 et de l’Euro-Stoxx 50 depuis le 4 juin dernier (amplitude intraday + volumes supérieurs à quatre milliards d’euros). La cassure du palier des 3 700 points sur le CAC 40 s’est conclue par une véritable spirale baissière qui a emporté sur son passage le récent support des 3 690 points.
Même le solide plancher moyen terme des 3 650 points, datant du 4 octobre, n’a pas tenu. Le CAC 40 l’a enfoncé à la faveur d’un nouveau coup de hache rageur assené à l’occasion du fixing de clôture (-2,5% à 3 636 points, un niveau équivalent à l’éphémère plancher d’ouverture du 5 octobre dernier).
Paris a enregistré un écart de -3,7% par rapport aux sommets du jour, effaçant d’un coup l’équivalent de tous les gains engrangés entre le 7 septembre et le 11 octobre dernier.
▪ Certes, l’euro fait pâle figure à 1,3090 $… mais la chute des indices boursiers a largement devancé celle de la monnaie unique. Il ne faut donc pas se tromper d’explication même si certaines viennent immédiatement à l’esprit et paraissent aller de soi.
De très influents opérateurs auraient soudain exhumé le problème des dettes souveraines après s’en être désintéressé au profit du « QE2 » de la Fed. Il serait bien temps… mais pourquoi précisément hier, et à 10h30 ? Le visage des PIGS ne s’est pas soudain transformé en 90 minutes !
Le sauvetage de l’Irlande est peut-être bouclé et « l’incendie éteint » si l’on en croit les discours officiels… mais la Grèce se prépare déjà à restructurer sa dette (via un allongement de la maturité) moins de six mois après avoir bénéficié d’un plan de 110 milliards d’euros (provenant de l’Union européenne et du FMI) pour éviter précisément tout souci de refinancement.
Autre souci, les prêts accordés à l’Irlande portent un intérêt de 5,8% — nettement supérieur au taux de 5,2% consenti à la Grèce. Comment le pays va-t-il financer la lourde charge du remboursement des tels intérêts si les mesures d’austérité entraînent une profonde récession au cours des trois ou quatre prochaines années, comme beaucoup d’économistes le prévoient ?
Le gouvernement subit de vives critiques de toute part pour avoir bâti son budget 2011 sur une prévision de croissance totalement irréaliste de 2,75% par an ; c’est au contraire une contraction du même ordre qui est à craindre d’ici 2014.
L’Irlande est également critiquée pour avoir maintenu un taux d’imposition sur les sociétés à 12,5% (dumping fiscal). Cela la prive de précieuses recettes qu’elle s’en ira puiser dans la poche des classes les plus défavorisées via une baisse des prestations sociales dès 2011 puis une hausse de la TVA en 2012 et 2013.
Les banques irlandaises vont recevoir une injection de 35 milliards d’euros. Cependant, cela pourrait ne pas suffire à consolider leur bilan : un nouveau stress test moins « hédoniste » que celui de juillet dernier (qui se déroulera début 2011) inquiète la communauté financière.
▪ Les banques de gabarit planétaire sont étroitement interconnectées. Le pire était à craindre alors que les cours sont gonflés à l’hélium depuis des semaines à Wall Street (et une fois encore mercredi dernier, juste avant le week-end de Thanksgiving).
Les valeurs financières ont plongé à travers l’Europe, mais le secteur terminait en légère hausse à Wall Street. Comment ce qui tétanise les actionnaires européens pourrait-il laisser indifférent leurs homologues américains ?
Comment ne pas écarquiller les yeux devant les +1% de JP Morgan, les +1,5% de Bank of America ou les +1,85% de Well Fargo ou Regions Financial ? Cela représente un différentiel de performance de 5% par rapport à leurs consoeurs (et principales contreparties) européennes !
Plus de 3,5% d’écart entre le plus haut et le plus bas du jour en Europe, six heures de glissade ininterrompue et un sell-off au moment du fixing… Quelques heures plus tard, Wall Street a terminé pratiquement inchangé (-0,15% pour le S&P) après un repli initial qui n’a guère dépassé les -1,5%.
Une telle décorrélation entre les deux rives de l’Atlantique à l’issue d’une même séance — sans catalyseur identifiable — n’a plus été observée depuis des années !
▪ Le scénario de ce lundi échappe largement à une analyse rationnelle. Se pourrait-il qu’après avoir délibérément ignoré les difficultés de l’Irlande durant des semaines, une soudaine « prise de conscience » des difficultés présentes ou à venir serait survenue chez certains investisseurs en Europe vers 10h30 hier matin ?
Il y a probablement derrière la chute de 2,5% des places européennes des calculs ou des informations qui demeurent inaccessibles à une très grosse majorité d’intervenants.