La Chronique Agora

Cap’tain Trichet va-t-il nous sortir le périscope ?

** Allons-nous enfin voir le CAC 40 parvenir à s’extraire du corridor 4 770/4 930 points au sein duquel les cours se retrouvent enfermés à double tour depuis le 13 février dernier ? L’indice phare, qui s’adjuge 1,96% à 4 919 points, vient d’inscrire sa seconde meilleure clôture du mois de février ; au cours des 90 dernières minutes de cotations, il a bénéficié d’une vague d’achats assez similaire à celle observée une semaine auparavant.

Cette hausse résulte d’un heureux concours de circonstances : elle s’inspirait d’un sursaut inattendu de Wall Street qui a eu lieu après une ouverture indécise et des scores légèrement négatifs durant la première demi-heure de cotations. Ce sursaut a fait suite à la publication de chiffres « moins pires » que prévu concernant les reventes de logements aux Etats-Unis au mois de janvier.

Difficile pourtant de s’enthousiasmer pour les dernières statistiques délivrées par la NAR (National Association of Realtors). Si le nombre de transactions n’a diminué que de 0,4% en rythme séquentiel — au lieu d’une baisse anticipée de 2,5% — elles s’inscrivent en baisse de 23,4% sur un an, du jamais vu depuis 1991. En outre, les stocks de logements invendus font un bond de 5,5% à 4,2 millions (+18,4% en un an), soit une réserve de 10,3 mois, ce qui constitue un record en la matière.

Si le prix médian des biens négociés se maintient au-dessus de la barre symbolique des 200 000 $ — à tout juste 201 000 $ grâce aux appartements, dont la valeur moyenne s’établit à 220 000 $, et plus particulièrement grâce aux immeubles haut de gamme qui s’arrachent à New York, Boston ou Miami — le repli atteint 4,6% sur un an.

Les condos (appartement en copropriété) ne représentent cependant qu’un micromarché — 11 à 12% du total des ventes dans l’ancien — et les 88% restants concernent plus classiquement les maisons individuelles… dont le prix moyen (198 700 $) se maintient pour le troisième mois consécutif sous les 200 000 $.

Il existe évidemment des disparités vertigineuses : il y a les banlieues de Pittsburgh ou de Cleveland, où vous trouverez à vous loger pour moins de 75 000 $ dans un quartier sans transports en commun, dans une rue sans éclairage, avec de nombreuses coupures d’eau et où plus de la moitié des maisons, désertées par leurs propriétaires, sont squattées en attendant un éventuel acquéreur… ou une somptueuse demeure de style anglo-normand à 850 000 $ — un prix moyen — située à une portée de driver (ou d’un fer 6) d’un golf paysager à l’ouest de Boston ou au sud de Palo-Alto… ou encore un chalet à un million de dollar à Vail ou Aspen — la proximité d’un aéroport d’altitude de gabarit international situé à une poignée de kilomètres des pistes de ski y fait beaucoup !

Si les medias américains ont mis tant de temps à prendre la mesure de la crise de l’immobilier, c’est peut-être parce que celle-ci restait indétectable pour les patrons des plus grandes banques d’affaire et pour les PDG des entreprises du S&P 500, lesquels résident plus volontiers dans les havres de prospérité susmentionnés — également convoités par les nouveaux milliardaires asiatiques — que dans les bassins industriels sinistrés par des délocalisations massives vers la Chine ou l’Inde.

** Nous ajouterons que les détenteurs de dollars non-résidents continuent de rafler les valeurs sures de la côte Est et de la côte Ouest, espérant ainsi se débarrasser de leurs billets verts en excédent avant que la crise des subprime ne contamine à leur tour les banques asiatiques — lesquelles demeurent étrangement silencieuses au sujet des pertes subies sur les stocks de CDS et CDO qu’elles détiennent.

Elles gardent peut-être la foi dans la capacité des banques occidentales à éviter un vrai krach des créances immobilières ; pas seulement celles adossées aux prêts consentis aux particuliers mais également celles accordées aux grands fonds d’investissement — soutenus par les banques d’affaires — qui se sont brûlé les ailes dans la spéculation sur l’immobilier d’entreprise.

La clé de voûte du système repose en grande partie sur la capacité des monoliners à honorer leurs engagements en matière de garantie des créances à haut risque. En effet, selon la presse américaine, Ambac Financial serait sur le point de dévoiler un accord visant à restructurer ses activités et à garantir une bonne partie des CDO devenus totalement illiquides depuis le milieu de l’été. Un financement de l’ordre de trois milliards de dollars lui serait alors accordé par un pool de huit banques européennes et anglo-saxonnes de taille mondial.

Soyons réalistes, il ne s’agit que d’un seau d’éponges jetées dans les cales du Titanic … mais ce sont peut-être quelques précieuses semaines — au mieux quelques mois — de gagnés. Ils vont permettre aux marchés de garder les pieds au sec en attendant que la Fed abaisse son loyer de l’argent vers 2,5%, tandis que les législateurs, sous l’impulsion de la Maison Blanche, proposeront de nouvelles normes de régulations censées moraliser l’industrie du crédit et restaurer la confiance.

Mais le naufrage de la consommation que nous anticipons aux Etats-Unis ne proviendra pas du seul credit crunch : une lame de fond tout aussi redoutable est en train de traverser le Pacifique en direction des côtes américaines… elle a pour nom l’inflation.

** Nous n’allons par refaire la démonstration présentée par Bill Bonner hier… mais nous allons simplement l’étayer par la dernière statistique qui nous est parvenue de Singapour quelques minutes avant la parution de la dernière Chronique : la hausse des prix y a atteint 6,6% en rythme annuel fin janvier… elle se situe simplement 0,5% en deçà du taux officiel chinois.

Vous l’avez compris, l’inflation importée d’Asie, associée à la flambée des matières premières puis à la désagrégation contrôlée — jusqu’à présent — du dollar constituent un cocktail détonnant d’une puissance qu’aucune BCE, même animée des meilleures intentions et du discours le plus rigoureux, ne sera jamais en mesure d’endiguer, si ce n’est de façon virtuelle et par le biais de gesticulations sémantiques qui ne résisteront pas à l’épreuve des faits.

Mais le but d’un capitaine qui se targue d’une attitude responsable, lorsque son navire coule au milieu d’un champ d’icebergs et que les canots de sauvetage sont trop peu nombreux, c’est d’abord de gagner du temps… et si les secours sont trop éloignés, d’éviter une panique, puis de sombrer dignement tandis que les passagers des premières classes s’éloignent tranquillement des lieux du naufrage.

Alors que cap’tain Bernanke fait rugir les turbines en espérant que le nez du paquebot baptisé USA émergera encore quelques temps des flots à la façon d’un zodiac — afin d’éviter d’embarquer de nouveaux paquets de mer — une question nous taraude depuis plus de 18 mois : pourquoi la BCE ne surveille-t-elle que les témoins qui rendent compte de la température des moteurs et pas le radar ou le sonar qui sont littéralement constellés d’échos de blocs compacts de CDO et autres icebergs formés de créances subprime qui cernent le navire ?

Nous aurait-elle caché que le fier vaisseau battant le pavillon Europe est en fait un sous-marin savamment camouflé qui s’apprête à plonger sous la banquise avant que ne survienne l’inéluctable impact ?

Philippe Béchade,
Paris

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