« Capitulation », c’est l’un des mots-clé définissant l’année 2019. Il y en a un autre… et ses répercussions risquent de se faire sentir tout au long de 2020 et après.
Les tournants historiques ne se manifestent pas tant par des faits visibles ou spectaculaires que par des glissements lents, souterrains dans les humeurs des peuples.
On ne peut prédire l’avenir, dis-je régulièrement, mais on peut voir « aujourd’hui » avec le regard de « demain » ; discerner des structures, des lignes de pointillés qui se soudent en lignes de forces, des invariants qui basculent.
Celui qui innove, qui apporte quelque chose à la société, c’est celui qui pointe ce qui est en train de se jouer sans clameur, sans projecteur, alors que tout le monde est distrait par les feux d’artifices.
Un seul mot…
Pour résumer 2019 dans le monde : la capitulation.
Ce devait être une année de normalisation de la politique monétaire. Le nouveau président de la Fed devait enfin ramener les taux directeurs à un niveau plus raisonnable.
Après avoir laissé les taux près de zéro pendant sept ans, la Fed a tardivement fait un petit pas en décembre 2015.
Une année complète s’est écoulée avant d’essayer de trouver l’audace d’une deuxième étape prudente.
Un an plus tard, en décembre 2017, les taux étaient toujours à 1,00%.
Les taux directeurs n’étaient que de 1,25% à 1,50% lorsque Powell a pris les rênes. Il a osé proclamer que la normalisation était en autopilote c’est-à-dire acquise.
Les taux ont été portés à 2,25% – 2,5% fin 2018, et tout a failli s’effondrer.
En quelques jours, les marchés boursiers ont chuté du maximum, pourrait-on dire, autorisé : 19,8%. On sait qu’au-delà de 20%, la magie veut que ce soit la grande aventure baissière qui commence. Les comités secrets se sont réunis. Le secrétaire au Trésor US Steven Mnuchin et les équipes de sauvetage ont organisé le coup d‘arrêt.
Le demi-tour piteux de Powell du 4 janvier 2019 a mis fin à toute notion de normalisation des taux.
Eviter l’instabilité des marchés était la seule priorité.
La fête a ensuite recommencé avec une performance inouïe de près de +30% après 10 ans de hausse, alors que la croissance vacillait et que les bénéfices rétrogradaient.
En 2019, les chances pour que les banquiers centraux reprennent le contrôle des conditions monétaires sont devenues nulles. Ce qui devait arriver, ce qui était écrit comme une tragique nécessité dès 2009, est arrivé.
Et un autre…
Si je devais choisir un deuxième mot pour désigner la période, autre que « capitulation », je choisirais « engrenage ».
Nous sommes dans un colossal engrenage qui nous broie et nous conduit, sans conscience aucune, à notre perte.
Avec de multiples sous-engrenages : engrenage des bulles financières, engrenage de la destruction des monnaies, engrenages de la destruction de nos arrangements politiques internes, engrenage vers la guerre – la vraie, plus celle qui se dit froide, tiède ou soft… non, la bonne vieille, celle qui nous fait retourner à la barbarie.
La théorie conspirationniste est la théorie la plus optimiste qui puisse nous être offerte. Elle suppose qu’il y a des pilotes dans l’avion et qu’ils ont un programme.
Hélas, c’est faux archi-faux.
Il y a des bavards, des tenants-lieux, des pantins, des commentateurs, mais pas d’acteurs. La machine et le système sont seuls, livrés à eux-mêmes, et personne ne les comprend, personne ne les contrôle. Nous sommes dépassés comme des apprentis-sorciers.
Nous sommes dans le tragique, dans la fatalité avec l’illusion que les petits drames humains dont nous nous distrayons chaque jour ont une importance.
Nous sommes le jouet des forces aveugles que nous avons déclenchées par appétit pour le gain, pour le pognon – et pour ce qui va avec, le pouvoir.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]