La Chronique Agora

En Bourse ou en politique, il faut se méfier de « l’information »

▪ Le monde tourne. L’actualité se déroule. Les interprétations, narrations, explications, suivent.

Ici dans les Andes, nous nageons dans une ignorance béate. Notre connexion internet a cessé de fonctionner il y a 15 jours. Depuis, deux fois par semaine, nous faisons une heure de route pour rejoindre la propriété d’un voisin, où nous pouvons vérifier l’état du monde extérieur.

Parfois, tout de même, nous nous demandons pourquoi nous donner cette peine.

Les "nouvelles" sont une innovation récente. Pendant la majorité de notre passage sur terre, les humains n’avaient pas accès à internet, à la télévision, aux journaux ou aux téléphones. Notre cerveau a évolué alors qu’il n’y avait pas de politique publique… de statistiques publiques… d’opinion publique… d’intellectuels publics… de médias publics… d’amuseurs publics…

… en fait, il n’y avait rien de public — du moins pas dans le sens où nous l’entendons actuellement. Résultat, notre cerveau n’est pas équipé pour gérer tout cela. Il entasse des sottises puériles qui prennent la place des connaissances utiles.

Dans le monde de l’investissement, on achète une valeur dans une entreprise. Si on a bien fait son travail, on paie un prix qu’on trouvait équitable… voire mieux. Si par la suite on apprend dans les journaux financiers que le prix de la valeur a baissé, qu’importe ? Qu’est-ce qui a changé ? Que savez-vous maintenant que vous ignoriez auparavant ? Si vous avez fait une bonne affaire lorsque vous avez acheté la valeur, vous devriez être ravi : vous pouvez acheter plus à un prix encore meilleur.

Pourquoi s’attendre à ce que les électeurs fassent mieux pour les actions que ce qu’ils font pour les présidents ?

Sinon, à quoi servent les nouvelles boursières ? Comme nous le dit Warren Buffett, à court terme, les marchés sont des "machines à voter". Pourquoi s’attendre à ce que les électeurs fassent mieux pour les actions que ce qu’ils font pour les présidents ?

▪ L’information, un bienfait surestimé
Les gens vous diront que pour la démocratie, il est nécessaire d’avoir des citoyens bien informés. Certains vous diront même, tout à fait sérieusement, qu’il est de votre devoir de suivre l’actualité pour pouvoir participer aux affaires du pays.

Mais pour cela, on part du principe que les gens ont accès aux faits pertinents… et qu’ils prennent ensuite leur décision de manière intelligente, appliquant les faits connus aux alternatives politiques.

Ce sont là des sottises pour deux raisons fondamentales.

Premièrement, il n’y a pas de "faits" dans la vie publique — juste des ragots et des idioties.

Deuxièmement, même s’il y avait des faits significatifs, le citoyen individuel n’est pas vraiment équipé pour les évaluer. Après tant de millénaires sans aucune vie publique d’aucune sorte, nous ne savons pas comment la juger ou la maîtriser.

Le candidat X nous dit qu’il est pour la réduction des dépenses gouvernementales. Le candidat Y affirme qu’il a l’intention de rendre le gouvernement plus efficace. Le candidat Z annonce que nous serons tous plus heureux si le gouvernement dépense plus pour stimuler l’économie. Et le président Obama maintient qu’il a un plan pour améliorer le système de santé américain. Ce sont là tous les faits — rapportés dans les médias et largement débattus dans les éditoriaux et les émissions télévisées. Mais l’électeur a-t-il le moyen de savoir ce que les politiciens croient vraiment… ou quelle politique produira vraisemblablement le meilleur résultat ?

Nous savons désormais, après des décennies d’expérience, que la politique publique améliore rarement nos vies privées

Non. Nous savons désormais, après des décennies d’expérience, que la politique publique améliore rarement nos vies privées. Plus elle est ambitieuse — comme dans l’Union soviétique ou l’Allemagne hitlérienne –, plus elle entame nos propres plans et espoirs.

"Le gouvernement est passé dans la vallée l’an dernier", a rapporté Jorge. "Ils ont distribué des panneaux solaires et des générateurs pour toutes les maisons. Maintenant, tout le monde a la télé… mais ils oublient comment faire les choses".

Aux Etats-Unis, avons-nous appris dans une étude qui nous est parvenue la semaine dernière, les jeunes passent en moyenne 18 heures par jour connectés à un appareil électronique.

Durant les nombreux millénaires qui ont précédé internet, les gens savaient où trouver du miel dans un arbre creux… quelles plantes pouvaient être mangées sans danger… ou comment fabriquer une pointe de flèche avec un morceau de silex. Mais ils ne savaient rien des menaces posées par les perturbations en Ukraine, n’avaient jamais vu Beyonce en train de "twerker" et ne soupçonnaient pas un instant que Justin Bieber avait pété les plombs.

Aujourd’hui, un jeune homme peut sortir diplômé d’une grande université la tête farcie de faits… et ne rien savoir du tout.

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