La Chronique Agora

Le bon et le puissant

John F. Kennedy, Etats-Unis, Vietnam

Examen d’un tournant historique crucial dans l’histoire récente des Etats-Unis…

Le 22 novembre 1963, John F. Kennedy a été assassiné. Une grande partie du monde était en deuil. Jamais auparavant, ni depuis, Washington n’avait vu un tel rassemblement de dignitaires… ni autant de gens du peuple… tous venus lui rendre hommage.

Jack Kennedy s’était fait de nombreux amis. Sa « nouvelle frontière » avait été largement applaudie. Il avait abaissé le taux d’imposition marginal le plus élevé de 91% à 65%. Il recherchait la paix à l’étranger. Dans un discours prononcé à l’American University, il expliquait que la paix qu’il recherchait n’était pas « une Pax Americana imposée au monde par les armes de guerre américaines ; ni la paix du tombeau ou la sécurité de l’esclave ».

Et pourtant, après sa mort, les armes américaines n’ont pas tardé à être employées… créant ainsi un monde non pas en paix, mais presque constamment en guerre. Avant son assassinat, JFK avait donné l’ordre de rapatrier les troupes américaines du Vietnam. Cet ordre a été rapidement oublié. Le nouveau président, Lyndon B. Johnson, avait un autre programme en tête, bien plus adapté au « complexe militaro-industriel ».

Au cours des 11 années suivantes, 2,7 millions de soldats américains ont combattu dans une guerre dont Johnson avait promis qu’elle serait menée par les Vietnamiens. Lorsque le dernier hélicoptère américain s’est échappé du toit de l’ambassade américaine à Saigon, en 1975, 58 000 Américains étaient morts et 1 000 Mds$ avaient été dépensés.

Mais surtout, le bien avait cédé la place à la puissance.

Un pivot historique

Aujourd’hui, nous allons revenir sur un « pivot » de l’histoire récente des Etats-Unis. Il s’agit du moment où le complexe réunissant le secteur militaro-industriel, les agences de renseignement et le Congrès a pris le contrôle de la politique américaine… et où l’empire s’est mis à voler de ses propres ailes.

Plus précisément, nous allons nous remémorer les années 1960 – à l’aide des souvenirs et des recherches de Robert F. Kennedy Jr, ainsi que notre propre histoire personnelle. Bob Dylan, les Doors, Aretha Franklin… la marijuana… les Rolling Stones… les pantalons pattes d’eph – et l’espoir d’un monde meilleur – tout nous revient.

Nous ne sommes pas nés cyniques, cher lecteur ; il a fallu bien des effets de modes, des fripouilles, des marchés baissiers et des campagnes politiques pour faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui.

Un souvenir précis… C’était un soir d’été 1967. Nous nous étions rendus avec un ami sur les rives de la Chesapeake. Le grand tube de Percy Sledge – When a man loves a woman – passait à la radio. Nous revenions tous les deux de l’université et nous nous racontions nos aventures.

Mais Tommy avait abandonné ses études. Il voulait une vie différente, plus simple, plus locale. Il avait lu Faulkner et Hemingway. Son objectif était de réussir chez lui… pas à l’étranger. C’est le succès en tant que personne qu’il voulait connaître, et non pas en tant que capitaine d’industrie ou d’infanterie.

« Tu ne crains pas d’être conscrit ? »

« Non… je vais m’engager. Ca ira plus vite. »

« Tu n’as pas peur de te faire tuer ? Et pourquoi, d’ailleurs ? La guerre semble être un gâchis. »

« Oui… mais si je ne le fais pas, je devrais écouter ma mère se plaindre que j’ai arrêté l’université. »

C’était la dernière fois que nous avons vu Tommy.

La vie fait beaucoup de victimes… certaines plus tragiques et inutiles que d’autres. Tommy est l’une d’entre elles.

L’Amérique, la grande ?

Ce que les Kennedy semblaient viser, c’était un gouvernement qui pratiquait la modération et réduisait son nombre de victimes. Une nation pérenne ne taxe pas trop, ne dépense pas trop, traite les gens avec respect (même ceux avec qui elle n’est pas d’accord) et ne se bat que lorsqu’il le faut.

Mais après l’assassinat de Kennedy, les Etats-Unis ont pris une autre direction. Lyndon Johnson a promis l’action… l’activisme… l’empire. Attila était grand. Alexandre était grand. César était grand. Napoléon était grand. Pourquoi pas Lyndon ? Pourquoi pas Ronald… Donald… ou Joe ?

« Le peuple » a pris le relais. Les masses en viennent toujours à penser ce qu’elles doivent penser quand elles doivent le penser. Les Américains ne sont pas différents. Flattés par la meilleure armée que l’argent puisse acheter, ils en sont venus à croire qu’ils étaient une race exceptionnelle. Madeleine Albright, alors secrétaire d’Etat, a atteint l’apothéose de la vanité lorsqu’elle a proclamé que « si nous utilisons la force, c’est parce que nous sommes les Etats-Unis. Nous nous tenons haut debout…. et nous voyons plus loin dans l’avenir ».

Nous avons affirmé qu’il existe des narratifs distincts que l’on peut identifier pour les marchés (la tendance primaire)… et pour l’histoire. Un homme est presque toujours retenu par ses amis, sa femme et ses enfants. Lorsqu’il se ridiculise, ils s’empressent de le lui faire savoir. De même, une nation humble retenue par ses voisins, ses ressources et son peuple. Elle peut être bonne ou mauvaise. Mais parfois, avec le vent dans le dos, la soif de grandeur prend le dessus. Une nation ne cherche pas seulement à s’entendre, mais à dominer… et à contrôler ; elle devient un empire.

Mais les Kennedy s’y sont opposés.

Bottes en béton

Robert Kennedy s’est d’abord attaqué aux mafieux. Nommé procureur général par son frère, RFK avait une « approche manichéenne » de l’application de la loi. Il y avait les bons et les méchants. Il voulait mettre les mauvais en prison.

A l’époque, la mafia montait en puissance… et corrompait le système judiciaire américain (subornation de témoins, corruption de juges…). Son objectif était de les mettre hors d’état de nuire. Lors des audiences du Sénat, il a fait comparaître Anthony « Tony Ducks » Corallo, Joe « Little Caesar » DiVarco, Carlos « The Little Man » Marcello… et des dizaines d’autres mafieux hauts en couleur. Au cours de ses trois premières années en tant que procureur général, RFK a déposé 673 actes d’accusation contre des membres de ces organisations.

Les mafiosos ne l’ont pas oublié. Et ne l’ont pas pardonné. Qui plus est, ils se sentaient trahis. Ils pensaient que les Kennedy les protégeraient, et non qu’ils les poursuivraient.

Plusieurs versions de l’histoire ont été racontées pour expliquer cette situation. L’une d’elles dit que Joe Kennedy aurait passé un accord avec la mafia : s’ils l’aidaient à obtenir une majorité de voix à Chicago, il dirait à ses fils de ne pas les embêter. Selon une autre version, les fils Kennedy étaient eux-mêmes liés à la mafia. Leur sœur, Pat, était mariée à Peter Lawford, l’un des célèbres membres du « Rat Pack », avec Frank Sinatra et Dean Martin. Sinatra a même installé un héliport dans sa résidence de Palm Springs pour que le président puisse lui rendre visite. Jack Kennedy aurait même partagé une maîtresse – Judith Campbell Exner – avec l’ami mafieux de Sinatra, Sam Giancana.

Quelle que soit l’origine de l’histoire, la mafia s’est sentie trahie lorsque Bobby Kennedy s’est attaqué à elle avec une vigueur qu’elle n’avait jamais connue auparavant. « Livarsi na petra di la scarpa », a déclaré Carlos Marcello en 1962. Cette vieille formule sicilienne a une variante qui aurait été invoquée par Henri II à propos de Thomas Becket : « N’y aura-t-il personne pour me débarrasser de ce prêtre turbulent ? »

Dans un autre échange documenté, le mafieux Santo Trafficante avait assuré au leader de l’exilé cubain Jose Aleman qu’il ne devait pas s’inquiéter du président Kennedy : « Non, Jose, il va se faire assassiner. »

Un empire incontesté

Un autre groupe qui n’appréciait guère les Kennedy était l’industrie militaire mentionnée précédemment. Son activité était elle aussi gravement entravée par la volonté des Kennedy de donner une chance à la paix… et par leur méfiance générale à l’égard des militaires et des espions.

A cette époque, la CIA et les mafieux travaillaient main dans la main. Leur cible devait être Fidel Castro. La mafia avait des contacts à Cuba. La CIA avait pour mission d’assassiner Fidel, ce qu’elle n’avait pas réussi à faire.

L’assassinat de JFK, en revanche, comme celui de Thomas Becket, archevêque de Canterbury, en 1170, fut un succès retentissant.

Qui fut l’auteur de cet assassinat ? La CIA visait-elle Castro et a-t-elle touché Kennedy ?  La mafia voulait-elle régler ses comptes avec la famille Kennedy ? Ou s’agissait-t-il d’un « tireur isolé », comme l’a conclu la commission Warren ? Nous n’en savons rien. Mais depuis lors, aucun président n’a jamais sérieusement remis en question l’agenda de l’empire.

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