La Chronique Agora

Blocus, taux incandescents et flambée de l’argent

Derrière l’illusion de la stabilité, les signaux de rupture s’accumulent – et les marchés pourraient bientôt devoir les intégrer brutalement.

Pour cette dernière chronique de l’année, je n’ai pu trancher entre les deux sujets que j’ai abordés tour à tour au cours de mes dernières chroniques « L’Inforruptible » (à retrouver sur la chaîne YouTube des Publications Agora).

Après tout, rien ne m’interdit de faire de ce dernier rendez-vous une synthèse des deux forces qui vont infléchir les marchés, sans pouvoir prévoir de façon certaine laquelle sera la première invoquée pour expliquer une brusque inflexion des cours, après une séquence rarement observée en 50 ans de 18 séances de stagnation des principaux indices boursiers (et une de plus ce lundi, premier jour du terme boursier de janvier).

Car des événements et des thématiques cruciales ont été largement occultées au cours des presque quatre dernières semaines écoulées, afin de permettre aux actions de se maintenir en lévitation à 1 % ou 2 % des sommets, pour finir l’année avec +15 % à +20 % de gains. Ce fut encore plus manifeste la semaine passée, avec la persistance de cette « camisole algorithmique » enclenchée le 26 novembre dernier et qui a permis de procéder – dans la joie et la bonne humeur – aux derniers habillages de bilans en amont de la séance des Quatre sorcières du 19 décembre.

Des préparatifs techniques et psychologiques rondement menés, avec un CPI rassurant… mais complètement bidon (il manquait les trois quarts des données d’inflation les plus cruciales) et des banquiers centraux s’auto-décernant des satisfécits pour leur politique monétaire « bien adaptée », face à des « risques équilibrés ».

Et avec la magie de Noël (oui, je sais, beaucoup s’abstiennent désormais de prononcer ce vocable), on pourrait s’attendre à voir Boucle d’or débarquer à Wall Street avec ses trois ours trop sympas pour venir trinquer avec les taureaux lors du réveillon.

Mais cela va-t-il aussi bien que la BCE le prétend, que la Fed tente de le faire croire, que la BoE le pronostique (elle pourrait encore baisser ses taux), que la BoJ l’espère, alors que ses bons du Trésor subissent un krach rampant… qui menace de s’embraser et de carboniser Tokyo ?

Jetons un dernier coup d’oeil aux rendements affichés à cinq séances du clap de fin de l’année 2025…

Il n’y a pas que Wall Street, l’EuroStoxx 600, l’or ou l’argent qui finissent l’année au zénith, il y a également – et c’est bien plus dommageable – les rendements des principales émissions souveraines des trois plus importants acteurs économiques de la planète.

Le rendement de nos OAT à 10 ans (la barre des 3,60 % est franchie), des Bunds, des T-Bonds US, du « 10 ans », mais également des « 20 ans », « 30 ans » et « 40 ans » nippons sont simultanément au plus haut de deux ans pour les premiers, de l’histoire pour les quatre principales émissions libellées en yen.

Lorsque les rendements obligataires augmentent simultanément dans les trois principales économies développées constitutives du G7, cela n’est pas dû à la politique d’un seul pays ni à quelques « mauvaises adjudications » (des mises aux enchères de bons du Trésor qui, ponctuellement, n’ont pas attiré les foules).

Ce à quoi nous assistons est une réévaluation du risque à un niveau systémique… et cela ne vous a évidemment pas échappé, puisque le canari dans la mine, notre « pari de l’année » – l’argent – a pris 140 % (oui, 140 % !) depuis le 1er janvier.

La smart money déserte la monnaie-dette pour du tangible, c’est exactement la stratégie que nous vous avons proposée en 2025.

Le constat est sans appel : les gouvernements refinancent leur dette à des coûts de plus en plus insoutenables, les hedge funds et les entreprises également, et à des conditions de plus en plus défavorables (songez à Oracle, dont la dette dépasse cinq fois son chiffre d’affaires, à ChatGPT, où le ratio est de 1 à 10), à mesure que les banques durcissent leurs critères d’octroi de prêts.

L’accessibilité aux prêts hypothécaires rechute considérablement, le secteur immobilier se met à ralentir, les indices d’activité et la croissance ne tarderont pas à suivre.

Le Bitcoin n’est pas non plus à l’abri d’une forte correction si les 80 000 $ venaient à être enfoncés : il y a une corrélation très claire entre son évolution et les flux de liquidités, et leur abondance est tributaire des taux d’intérêt… jusqu’à ce qu’un nouveau quantitative easing soit mis en œuvre.

Les marchés ne s’effondrent pas seulement lorsque les rendements montent en flèche (ils ont plutôt bien résisté en 2022), mais lorsqu’ils demeurent trop tendus, trop longtemps.

Lorsque vous voyez un certain nombre de courbes de taux souverains européens grimper simultanément, du AAA au BB, cela vous indique que les conditions de financement se resserrent au niveau mondial, et non local.

Chaque grande ère de chaos macroéconomique commence par des mouvements de ce genre. Ils sont lents, techniques, peu spectaculaires pour le non-initié et faciles à ignorer par les médias. Et quand les événements se produisent, vous lisez invariablement que « personne ne l’a vu venir ».

Wall Street ne semble pas non plus voir venir de nouvelles tensions avec la Chine.

Donald Trump a annoncé un « blocus total et complet » de tous les pétroliers sanctionnés entrant ou sortant du Venezuela (je l’ai évoqué dans deux vidéos la semaine passée, me disant que ce serait rapidement confirmé au JT de 13h ou au 20h, mais j’attends toujours !).

La plupart des professionnels de la finance – qui, eux, sont au courant – ne se rendent pas compte des conséquences géopolitiques potentielles de cette décision : ils y voient une manœuvre visant à obtenir de Caracas des conditions d’accès privilégiées au pétrole vénézuélien.

En 2025, les exportations totales de pétrole brut du Venezuela s’élevaient en moyenne de 750 000 à 800 000 barils par jour. Le point important, c’est que la Chine reçoit, selon les mois, entre 55 % et 90 % de ces exportations. Les Etats-Unis en achètent une partie, car c’est une « huile » plus visqueuse que le WTI (« brut léger », et même trop léger) et, une fois mélangé, cela facilite le raffinage.

Le pétrole vénézuélien ne représente que 4 % à 5 % des importations totales de pétrole brut de la Chine, mais lui interdire l’accès par un blocus est un casus belli.

Pékin a prêté de l’argent au Venezuela, lui fournit du matériel pour maintenir opérationnel l’outil d’extraction (sous blocus US), sinon les plateformes offshore cesseraient de pomper et de remplir des tankers chinois… et les prêts ne pourraient être remboursés.

En ce qui concerne l’impact d’une chute des flux de pétrole vénézuélien vers la Chine, celui-ci serait rapidement compensé par ses autres fournisseurs favoris : la Russie, l’Iran et l’Arabie saoudite.

Le pétrole vénézuélien permet à la Chine d’alimenter ses stations-services et de ravitailler sa marine ; pour le reste, notamment l’intelligence artificielle, elle possède trois longueurs d’avance sur les Etats-Unis.

Des commentateurs qui prennent la Chine pour un vassal ou une puissance secondaire écrivent que « les Etats-Unis font clairement savoir à la Chine qu’elle ne peut se livrer à des activités militaires ou économiques qui menacent les intérêts nationaux américains ». Et d’ajouter : « Les mesures mises en œuvre par les Etats-Unis érodent l’image de la Chine en tant que superpuissance. »

Quelle vision arrogante de la part des Américains – archi-dépendants des terres rares, du cuivre, des panneaux solaires, des pièces auto importées de Chine. Si les USA tentent d’affirmer leur « supériorité » via un blocus, attendez-vous à ce que Pékin affirme sa souveraineté via un autre blocus : celui de Taïwan.

Si cela se produit, l’or et l’argent n’ont pas fini de flamber… et ce lundi 22 décembre voit ces deux métaux pulvériser simultanément leurs records absolus respectifs.

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