▪ Encore un lundi placé sous le signe de la hausse des indices boursiers… Ce n’était pas gagné d’avance : le plan de sauvetage des finances grecques peine à convaincre. Le déblocage des lignes de crédit successives demeure en effet conditionnel, comme l’a clairement rappelé Angela Merkel ce week-end.
La chancelière allemande exige l’application du plan de rigueur grec « à la virgule près » (pour reprendre ses propres termes), alors que les experts européens savent à quel point il est socialement explosif et menace de condamner le pays à un effondrement économique irréversible.
Mais la correction amorcée brutalement mardi dernier s’est offert un répit grâce à la bonne tenue de Wall Street. Les marchés américains affichaient à mi-séance une hausse trois fois plus importante qu’anticipé en préouverture : +1,25% sur le Dow Jones et +1,5% sur le Nasdaq.
▪ Les Etats-Unis auraient connu ces dernières semaines un véritable petit miracle économique. L’indice ISM des directeurs d’achat du secteur manufacturier est ressorti à 60,4 contre 59,6 en mars — soit son plus haut niveau algébrique depuis six ans. Le département du Commerce avait dévoilé 90 minutes auparavant une hausse surprise de 0,5% des dépenses des ménages américains, de telle sorte que le record absolu de novembre 2007 serait également dépassé… alors même que les ménages ne peuvent plus extraire un dollar de plus-value latente sur leur patrimoine immobilier.
Compte tenu d’une hausse limitée à 0,2% des revenus disponibles, ce chiffre tient du prodige — surtout si l’on y ajoute un chômage réel qui flirte avec les 18%. Il résulte tout autant de la distribution des aides d’Etat aux sans-emploi et aux collectivités locales que d’un sacrifice financier s’exerçant au détriment du taux d’épargne, qui retombe à 2,7%.
La bonne fortune apparente qui sourit aux Etats-Unis a permis aux places européennes d’échapper au climat de lourdeur initial, avec des replis de 1% et plus au cours de la première heure de cotation. Elles sont ressorties du rouge en fin d’après-midi ; elles affichent +0,1% en moyenne mais Paris engrange +0,3% et Francfort +0,5%.
Même en incluant le scénario d’un rebond des indices durant 48 ou 72 heures, le mouvement de correction qui s’est amorcé le lundi 26 avril ressemble comme à un copier/coller au mouvement de rupture à la baisse survenu les 20, 21 et 22 janvier dernier. Ce mouvement s’était produit sept séances très exactement après le plafonnement de l’indice sous les 4 086 points… tout comme nous avions pu l’observer après le premier test des 4 088 points (zénith annuel intraday) le 11 janvier.
L’impression de déjà-vu ne s’arrête pas là : les volumes se renforcent tout aussi fortement qu’à la mi-janvier, avec un chiffre d’affaires moyen par séance qui grimpe de 3,3 milliards à cinq milliards d’euros en l’espace d’une dizaine de jours.
Un marché qui monte dans le vide mais corrige sous le poids d’une forte pression vendeuse, c’est le très classique signal précurseur d’une inversion de tendance à la baisse… Sauf qu’il n’y a rien de classique dans le mouvement haussier obsessionnel que nous avons observé du 25 février au 15 avril (et même du 5 février au 26 avril à Wall Street).
▪ Nul ne peut ignorer la menace que fait peser le surendettement des Etats depuis la faillite de l’Islande (fin 2008), de Dubaï (fin novembre 2009) puis le début de la tragédie grecque en plein Forum de Davos trois mois auparavant… Pourtant, le rendement des bons du Trésor US, allemand ou français n’ont cessé de flirter avec leurs planchers historiques, améliorant la prime relative des actions — alors même que le risque de contagion obligataire en provenance des PIGS ne cessait de croître.
Une nouvelle fois, la conception mécaniste et court-termiste des gérants explique ce phénomène. Il s’apparente aux vases communicants : si je retire mes billes d’un pays B, que faire de cet argent sinon l’investir dans la dette d’un pays A qui semble présenter un profil de risque plus confortable (en l’occurrence un autre pays surendetté auquel les agences de notations hésitent à s’attaquer frontalement) ?
Mais troquer une platée d’amanites phalloïdes au profit d’une poêlée d’amanites tue-mouche ne fait qu’accroître l’espérance de survie de quelques jours. Mieux vaudrait tout jeter dans les toilettes (c’est plus sûr) et ne cuisiner que des champignons dotés de tubes colorés (aucune espèce répertoriée en Europe n’est toxique). Oui, mieux vaudrait délaisser ceux qui dégagent une odeur appétissante mais sont pourvus de lamelles blanches et d’un bel anneau à la lisière du pied et du chapeau.
▪ Mitonner des plats hautement toxiques en les baptisant de jolis noms de type « assiette forestière aux trésors de l’automne » ou « à la fortune du bois joli » ne fait pas peur à ceux qui commercent volontiers avec les fabricants d’antidotes aux poisons les plus violents. N’est-ce pas ce qui est reproché au tandem Goldman-Sachs/Paulson & Co. ?
Tout comme en 2007/2008, et bien instruits par l’exemple des subprime, nos sherpas de l’économie (avec José Barroso, Dominique Strauss-Kahn et Christine Lagarde en tête de peloton des sauveurs de la monnaie unique et du « grand dessein européen ») nous assurent que des mésaventures de type bulle de Dubaï ou tragédie grecque ne présentent aucun risque de contagion aux pays riverains. D’accord, mais d’où vont sortir les 120 milliards avancés par l’Europe et le FMI à Athènes ?
Et de nous assurer que la Grèce va être sauvée au prix de sacrifices homériques… qui ne devraient être amoindris par la moindre mesure de soutien à l’industrie locale : attendez-vous à une hécatombe parmi les PME/PMI. Et c’est sans compter avec le coût des futurs prêts : même à un prix d’ami de 5% (cela risque d’être plus en 2011), il faudrait une croissance équivalente au PIB pour que le poids du service de la dette reste constant — or chacun pressent qu’il s’apprête à exploser sur fond de dépression (-6% au minimum en 2010).
Nous pensons que la Grèce, c’est plus que jamais le talon d’Achille de l’Europe. La flèche empoisonnée du surendettement — consécutif à des années de train de vie somptuaire à crédit, aggravé par de mauvaises créances rachetées au secteur privé — achève de la tuer.
Cette flèche lui sera aussi fatale que les « paquets de daube* » packagées par Fabrice Tourre le furent à la banque IKB et à la vénérable ABN-Amro (*un e-mail interne à Goldman Sachs emploie une terminologie bien moins policée au sujet des CDO « originés » par sa filiale spécialisée dans le trading sur produits dérivés baptisée Abacus et qui fonctionnait presque sur ordre du fonds short John Paulson).
▪ Si le sauvetage de la Grèce — bien trop tardif d’après une majorité d’économistes — rassure passagèrement les marchés, chacun est bien conscient que le même type de mésaventure affectant la dette espagnole ne pourra être circonscrit par les mêmes procédés. En effet, les montants en jeu seraient au moins cinq fois plus élevés ; l’exposition des autres pays européens à une chute de la valeur de la dette ibérique aurait des retombées considérables.
La monnaie unique a d’ailleurs poursuivi sa chute ce lundi : -1% à 1,3180 $. C’est la preuve que les cambistes redoutent déjà de voir surgir les premiers signes de tensions touchant l’Espagne. Une corrida spéculative telle qu’en fut victime la Grèce se solderait cette fois par une mise à mort de l’euro.
Les « fonds vautour » et autres traders eurosceptiques anglo-saxons s’offriraient alors en triomphe les deux oreilles et la queue.