La Chronique Agora

Une bien curieuse envolée de 3% du CAC 40 à quelques heures de la perte du AAA de la France

▪ Si vous êtes convaincu que l’argent ne se gagne plus en Bourse que grâce à des coups tordus, vous serez conforté au-delà de vos espérances par le scénario de cette séance de lundi.

Si vous ajoutez que le rebond survient au lendemain même d’une franche cassure des supports moyen terme sur le CAC 40 et l’Euro-Stoxx 50 — autrement dit, de beaux signaux de rupture baissière –, vous obtenez tous les ingrédients du parfait contrepied à la hausse.

Et pour ceux qui ont senti venir le coup — ou qui l’ont soigneusement orchestré, ce qui est le plus probable — c’est l’occasion de faire passer tout le monde pour des idiots.

Deux scénarios pour les idiots
Cas de figure numéro un : certes, les pourparlers sur la falaise fiscale semblent avoir avancé vendredi dernier, mais l’intervention militaire israélienne ce week-end menace de raviver les tensions géopolitiques au Proche-Orient. L’ONU s’inquiète, Moscou multiplie les mises en garde, le pétrole s’envole vers 90 $.

Les places boursières confirment la cassure de leurs supports et chutent rapidement de 1,5%. Si vous aviez acheté vendredi en espérant un rebond, vous êtes un idiot car l’hypothétique résolution de la falaise fiscale se bornerait à élaguer l’arbre qui cache la forêt des 16 800 milliards de dollars de déficit des Etats-Unis. De plus, le risque d’un conflit avec l’Iran devient plus que jamais d’actualité (« payer le marché » dans ces conditions est pure folie).

Cas de figure numéro deux (celui qui vient de survenir) : un rebond s’enclenche car les actions apparaissaient survendues après cinq semaines de glissade, parce que Wall Street a pour habitude de grimper à quelques jours de Thanksgiving. Cela alimente un effet de richesse au moment où les ménages s’apprêtent à se livrer à l’orgie consumériste du Black Friday, parce que la tradition du consensus permettra aux membres du Congrès US de triompher de la falaise fiscale même si cela ne résout en rien le problème de fond d’une dérive incontrôlable des déficits américains.

Mais ne nous voilons pas la face. Même si de nombreux opérateurs se félicitent de la hausse des marchés, le rebond demeure très surprenant par son ampleur (2,8% en moyenne en Europe et 100 points à Paris qui s’envole de 2,93% à 3 440). C’est un écart vertigineux dans la mesure où le volume d’activité a été absolument ridicule, avec à peine 1,75 milliard d’euros échangés à 17h29 (et 2,32 milliards d’euros après les arbitrages de fin de séance).

▪ Mini-krach à la hausse
Il n’est pas abusif de qualifier ce mouvement de mini-krach à la hausse car rien dans l’actualité du jour ne justifiait l’effacement en quelques heures de la totalité des pertes de la semaine précédente — et une partie de celles de début novembre.

Le but poursuivi par les pseudo-acheteurs (la lecture du graphique porte la signature des robots algorithmiques, avec une progression quasi linéaire durant plus de huit heures) s’est borné à propulser les cours le plus haut possible, dans le laps de temps le plus court possible, avec le moins de capitaux possible. Nous sommes ici dans une pure logique de day trading où les acteurs se contrefichent de l’actualité du jour et plus encore de ce qui pourrait survenir le lendemain.

Encore une séance du même acabit et le CAC 40 renoue avec son zénith du 19 octobre (3 540 points) !

Il y a peut-être encore plus étonnant (question de point de vue) : la bonne nouvelle que les médias citaient en boucle depuis hier matin, c’est que Barack Obama était parvenu à obtenir que la première réunion avec les chefs de file démocrates et républicains ne dégénère pas en pugilat !

▪ La question de la falaise fiscale met en émoi les Bourses européennes
Cela se passe de l’autre côté de l’Atlantique, mais c’est en Europe que les Bourses flambent — en quoi la falaise fiscale les menace-t-elles ? Pendant ce temps, à Wall Street, la première place concernée, les indices se sont contentés d’un rebond technique de 1,5% en moyenne et qui semblait circonscrit dès 16h30, alors que les places européennes poursuivaient leur rally exubérant jusqu’au coup de cloche final.

Le Nasdaq et le S&P 500, qui gagnaient 1,6% à 1,7% à la mi-séance, n’enregistraient pas une vague de rachats massifs car le titre Apple servait clairement de levier avec ses 6%. Cela semble spectaculaire mais peut se justifier compte tenu d’un plongeon de 25% en deux mois.

Plus troublant en revanche : le Dow Jones reprenait à peine 1,3% (deux fois moins que le CAC 40) à trois heures de la clôture. Cela malgré le net rebond de l’euro au-delà des 1,28 $ qui aurait dû doper les valeurs industrielles exportatrices plutôt que les technologiques et les bancaires.

L’euphorie boursière qui a déferlé ce lundi nous semble d’autant plus outrancière que le Japon déclare se préparer à rallumer la guerre des devises d’ici la mi-décembre. Ce à quoi la Fed pourrait répliquer par une extension de la taille du QE3.

▪ La BCE, le Don Quichotte des banques centrales
Et nous autres braves Européens serions une fois de plus les dindons de la farce puisque la BCE ne lutte pas à armes égales face à ses principales consoeurs (américaine, britannique ou nippone). Toute riposte sous forme de création monétaire — même plus ou moins déguisée — lui est interdite, y compris pour sauver la Grèce d’une faillite imminente.

Compte tenu de ce qui précède, combien va-t-il falloir de temps à ceux qui viennent d’arracher le CAC 40 de 3% à la hausse pour le faire rechuter sous les 3 390 points et faire passer les acheteurs de lundi après-midi — majoritairement des vendeurs à découvert pris à contrepied –pour des idiots ?

Nous devrions être rapidement fixés car la brusque remontée des cours du baril de WTI vers 90 $ — qui ne correspond à aucune hausse concrète de demande de pétrole physique depuis 48 heures — nous renvoie à la situation géopolitique au Proche-Orient. Les consommateurs américains pas plus que les actionnaires ne sauraient tirer le moindre bénéfice d’une hausse soudaine des coûts de l’énergie.

▪ La France est rétrogradée en seconde division par Moody’s
La France, elle, ne tirera aucun avantage de la perte de son Triple A après le coup d’éclat de Moody’s. Sur le fond, cette dégradation à « AA1 » n’est pas une surprise absolue. Sur le timing  en revanche, l’annonce de Moody’s fait un peu l’effet d’un crochet au foie décoché alors que la France n’avait pas encore resserré sa garde.

Elle avait commencé à le faire après la une et l’article très critique — très lucide, disent certains — de The Economist concernant l’Hexagone.

De nombreux experts pensaient que le décompte d’une dégradation était amorcé depuis l’adoption du collectif budgétaire 2013, lequel repose sur des hypothèses de croissance un peu irréalistes (du point de vue des marchés).

Mais si le décompte devait partir de 10 pour atteindre zéro — avec la possibilité de l’arrêter à tout moment en cas de changement favorable du tableau conjoncturel — les investisseurs pensaient que l’on en était à six ou cinq (semaines)… et pas à deux ou un (jour[s]).

Cette dégradation amène rétrospectivement à se poser des questions. Soit personne ne savait rien et les 3% de hausse du CAC 40 correspondent à un emballement haussier purement technique que l’actualité du jour ne justifiait pas. Soit quelques opérateurs savaient et c’est pourquoi ils ont déployé tant d’énergie pour faire grimper les cours hors de proportion, mais en prenant la précaution d’employer le minimum de capitaux possibles.

Sachez par exemple qu’il s’est échangé lundi cinq fois plus de volume sur le seul titre Apple (l’équivalent de 16 milliards d’euros) que sur les 40 valeurs du CAC — lequel se trouve ravalé au rang d’indice boursier de seconde zone.

Difficile donc de trancher sur la pertinence et l’aspect spontané de l’envolée de la Bourse de Paris hier. En revanche, cette dégradation ne va pas manquer de susciter de profonds remous politiques à l’intérieur mais également hors de nos frontières car elle place le gouvernement français en position de faiblesse vis-à-vis de l’Allemagne.

Comment ne pas évoquer une dégradation par procuration de la France via la presse britannique, laquelle se complait dans le French bashing et l’euroscepticisme pour mieux faire oublier l’état catastrophique des finances britanniques et les sommes colossales englouties dans le sauvetage de Royal Bank of Scotland (et autre Lloyds Banking ou Northern Rock).

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