La Chronique Agora

Bearstearnus Elegantus à épines persistantes…

** Les places européennes et les marchés américains ont mis un pied dans le précipice indiciel en ce mercredi 21 janvier (la même situation se présentait très exactement un an auparavant)… mais ils l’ont promptement retiré en découvrant que le sol boursier se situait 1 000 points plus bas pour le Dow Jones et 400 points plus bas pour le CAC 40 : de quoi se casser les deux jambes et la colonne vertébrale… et terminer la décennie dans une chaise roulante.

Cependant, le sursaut de 1,5% des indices américains en ce mercredi 21 janvier demeure de l’ordre du rebond technique. Le seul scénario susceptible de dissiper le vent de panique qui peut se remettre à souffler à tout moment sur Wall Street serait une prompte remontée de 4% du Dow Jones et de 5,3% du S&P. Cela validerait ce que les chartistes qualifient de bear trap (piège à plantigrade dépressif).

Après s’être empiffrés d’une baisse de 33% au cours des derniers mois, les ours ne se sentent toujours pas rassasiés. Mais pourquoi devraient-ils faire ceinture après avoir quasiment doublé leur mise depuis le milieu de l’automne 2007 ? Après tout, avant eux, les taureaux avaient fait une véritable indigestion de hausse (+200% sur le Dow Jones, +250% sur le CAC 40) entre mi-mars 2003 et mi-octobre 2007.

Les taureaux avaient tondu l’herbe si ras que lorsque survinrent les premières neiges en janvier 2008, l’avalanche se déclencha au premier coup de canon tiré par la Société Générale : la couche de plus-values instables (sur les actions) se mit à dévaler la pente sur le sol gelé et durci en profondeur du marché interbancaire.

L’avalanche engloutit des bataillons de fonds spéculatifs mal avisés… et nous les regrettons presque aujourd’hui tant leur absence — et la chute des volumes qu’elle engendre — rend les indices boursiers volatils comme des tourbillons de cristaux de glace au milieu du blizzard.

Par le passé, les gérants considéraient qu’une bonne bourrasque était salutaire dans la mesure où elle provoque la chute du bois mort… mais une avalanche — à l’image de celle de 2007 — casse net les arbres les plus vigoureux, couche les résineux mal enracinés, broie la flore arbustive et emporte une bonne partie du sol meuble dont se nourrissent les végétaux.

** Barack Obama nous promet de construire des paravalanches et d’installer des filets de sécurité (le chantier sera-t-il de nouveau confié à la seule entreprise baptisée SEC qui n’a rien vu venir dans l’affaire Madoff ?). Il promet également de replanter tout ce qui à disparu des versants nord en 2008 : est-ce que ce sera des Bearstearnus Elegantus à épines persistantes ou des Lehmanis Exelcis à repousse rapide… les mieux à même de fixer les sols en période de credit crunch ?

Le problème, c’est que les budgets annoncés — même s’ils paraissent colossaux vus depuis l’Europe où l’on pratique plutôt le saupoudrage — ne permettront pas d’aller au-delà de la mi-pente dans les immenses vallées des Rocheuses, transformées en vallées des larmes pour des millions d’investisseurs américains.

Le nouveau président a également promis d’appeler à la responsabilité les intermédiaires financiers de la variété cupidis-cupidis egoïstus et speculandus dementis… mais il faut savoir parler aux arbres : ce n’est pas donné à tout le monde, surtout si certaines essences s’ingénient à jouer au bois mort.

Henry Paulson avait usé de la manière forte en brûlant Lehman. Cependant, il avait mis le feu puis réduit en cendres l’ensemble de la forêt — et carbonisé Wall Street — avant même d’avoir pu empoigner l’extincteur des taux. Les mains crispées sur la poignée, en mode haut débit, il n’a mis que deux mois à vider complètement le réservoir et il a promis d’aller chercher des pelles et du sable pour achever d’éteindre les braises.

Son successeur, Tim Geithner (sa nomination semble maintenant imminente) a intérêt à mettre des gants, sinon gare aux ampoules : ce sont des tonnes de sable qu’il va devoir pelleter avant que tout danger de nouveau départ de feu soit écarté.

** Pour l’heure, de fortes rafales ont provoqué de spectaculaires embrasements de banques depuis le 7 janvier et Wall Street ressemble de nouveau à un enfer. Le Dow Jones présente de larges fissures autour des 8 000 points ; elles permettent à nouveau de distinguer au fond des laves incandescentes, lesquelles avaient été aperçues une première fois vers les 20/21 novembre dernier.

Les secousses accompagnant l’éruption avaient été si brutales — de magnitude huit sur l’échelle de Dow qui ne comptait que sept degrés avant l’automne 2008 — que les sols boursiers s’étaient rapidement effondrés sur eux-mêmes, colmatant les cheminées d’où s’échappaient les gaz les plus toxiques pour les actionnaires présents dans le périmètre.

Une issue plus funeste qu’en novembre dernier a pu être évitée de justesse grâce au rétablissement des banques au moment où elles commençaient à basculer dans le vide.

Le CAC 40 a réussi à préserver les 2 880 points : il s’agit du plancher de clôture de l’année 2008, établi le 20 novembre dans un climat de capitulation boursière.

Le mini-krach des valeurs bancaires depuis une semaine est le principal responsable de la rechute des indices boursiers. Le cas de BNP Paribas est assez emblématique des dégâts causés par des rumeurs qui tardent à être démenties : la sanction s’avère aussi lourde que pour des sociétés avouant connaître de graves difficultés.

Le marché s’interroge de nouveau : à qui le tour d’être recapitalisé ou nationalisé ? Après des débuts d’année prometteurs, les bourses européennes et nord-américaines affichent des pertes voisines de 10% qui s’avèrent très comparables à celles de 2008 à la même date anniversaire !

Un vigoureux rebond de 7% s’était alors déclenché… mais Wall Street en est encore très loin : les indices américains ne parvenaient même pas à effacer les pertes de la veille à la mi-séance, malgré une progression collective de 12% à 15% sur Citigroup, Bank of America et JP Morgan.
 
** Une marge de sécurité se reconstitue laborieusement mais elle demeure tellement mince que seuls les plus audacieux osent se porter acheteurs… et pour ne rien vous cacher, nous envisageons de faire partie de ceux qui partent en sens inverse du troupeau d’ours. Si nous croisons un plantigrade solitaire, nous ne serons que quelques-uns à piquer un sprint vers nos motoneiges, s’il y a plaque à avalanche dissimulée sous notre itinéraire de fuite, nous ne pèserons pas suffisamment lourd pour la faire céder.

Le troupeau bearish marche au pas cadencé depuis les 3 425 points sur le CAC 40 et les 940 points sur le S&P 500. La troupe a les yeux rivés sur les 2 350 points et les 600 points : ce sont certes de beaux objectifs, et nous les avons également entourés en rouge sur notre carte indicielle.

Mais nous avons prévu de faire quelques étapes avant d’attaquer l’objectif final, un mont Everest à l’envers en quelque sorte… ou pour employer une comparaison plus pertinente, une fosse des Mariannes.

Qu’il s’agisse de la conquête d’altitudes extrêmes ou de la plongée vers les abysses, il faut marquer des paliers de décompression, descendre pour mieux remonter et réciproquement, sinon gare à l’embolie !

Et si les marchés respirent mieux, ce sera… l’embellie pulmonaire !

Philippe Béchade,
Paris

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