** "Hier encore, la parole de César aurait pu prévaloir contre l’univers : maintenant le voilà gisant, et il n’est pas un misérable qui daigne lui faire honneur !"
* Vous reconnaîtrez cette citation, cher lecteur : Shakespeare y décrit ce qui est arrivé à Jules César après son assassinat par un groupe de rivaux lors des Ides de mars, en 44 av. J.C..
* Les Ides de mars, c’était samedi dernier. Une fois terminées, il y avait un nouveau cadavre ensanglanté sur le sol : celui d’un des plus grands acteurs de Wall Street — Bear Stearns.
* Hier, nous parlions d’une rumeur selon laquelle une grande société de Wall Street était en difficulté — la véritable raison, apparemment, des 200 milliards de dollars de prêts supplémentaires de la part de la Fed.
* La nouvelle a éclaté au grand jour : Bear Stearns a reçu "l’Appel de Marge de l’Enfer". La Fed et JP Morgan Chase se sont précipités pour administrer aide et réconfort. Mais les autorités se font du souci quant à un possible effondrement financier.
* "Je suis au téléphone depuis plusieurs jours, même pendant le week-end", déclarait Henry Paulson, secrétaire au Trésor US, à la télévision… "mais je ne vais pas projeter tout de suite l’issue de la situation"…
* "La situation", bien entendu, est la situation de Bear Stearns. Quant à l’issue, elle est désormais connue : JP Morgan a accepté de racheter Bear Stearns pour 2 $ par action.
* Les circonstances de cette crise, ce sont celles que nous disséquons quotidiennement dans nos Chroniques depuis de nombreux mois. Les génies de Bear Stearns avaient leurs calculatrices… leurs modèles de Black-Scholes… leurs mathématiciens… leurs risques chiffrés… Ils avaient certains des meilleurs cerveaux du pays — ou du moins certains des meilleurs cerveaux que l’argent pouvait acheter à Wall Street.
* Pourtant, il y a un an de ça, Bear Stearns avait aussi une valeur qui s’échangeait 168 $. A présent, elle ne vaut plus que 2 $… et les investisseurs ont été largement mis à mal.
* Hier encore, sa parole aurait pu prévaloir contre l’univers : maintenant le voilà gisant, et il n’est pas un misérable qui daigne lui faire honneur…
* Lorsque les marchés ont eu vent des difficultés de Bear Stearns, ça a été la ruée à la vente, avec une baisse générale. Le plus durement atteint (et ce n’est pas une surprise), c’était Bear — avec une chute de 47%. Les autres valeurs financières n’ont pas été épargnées.
* Dans l’affaire Bear Stearns, on remarque peu le rôle de la société d’investissement chinoise Citic. Les Chinois avaient l’intention d’avancer de l’argent pour soutenir Bear Stearns. Il pourrait y avoir de nombreuses explications au fait que l’accord avec Citic n’a pas abouti, mais nous en suggérons une qui est la plus lourde d’implications : les étrangers commencent à se méfier des Etats-Unis. Vous vous rappellerez peut-être notre ami qui nous conseillait de "vendre les Etats-Unis… vendre leur devise… vendre leurs actions… vendre leurs obligations". Cette attitude est de plus en plus répandue — la conviction qu’il vaut mieux vendre les USA.
* "Pendant des années", commence un article du Wall Street Journal, "l’économie américaine a emprunté à des prêteurs riches en liquidités, de l’Asie au Moyen-Orient. Les sociétés et les ménages américains ont profité d’un crédit facilement disponible, à des termes favorables, même pour des paris risqués. Ce n’est plus le cas".
* "De toute évidence, le monde entier est concentré sur la crise financière ; les Etats-Unis sont en fait l’épicentre de cette tension", déclare Carlos Asills, de Globista Investments, cité par le journal. "Résultat, nous voyons les capitaux fuir les Etats-Unis".
* Ed Hadas ajoute :
* "L’aide apportée par la Fed à Bear Stearns augmente les chances d’un sauvetage financier généralisé, financé par le contribuable — associé à des taux super-bas, qui augmenteront la pression sur le dollar mis à mal. Bear est la plus grande société, à ce jour, à mordre la poussière. Mais la plus grande victime financière pourrait en fin de compte se révéler être les Etats-Unis".
** Les politiciens ne peuvent plus faire n’importe quoi et s’en tirer — sauf quand il s’agit de tuer des gens et de détruire leur économie nationale.
* "Je ne comprends pas"… déclarait un homme d’affaires français à déjeuner la semaine dernière. "En fait, je crois qu’aucun de nous ne comprend. Vous avez là un homme — le gouverneur de l’état de New York — qui fait appel à une prostituée. Il se fait prendre et doit démissionner. Mais le président des Etats-Unis a menti au peuple américain et déclenché une guerre où des milliers de personnes sont mortes… une guerre si coûteuse qu’elle menace de mener tout le pays à la ruine. Comment se fait-il qu’il ne doive pas démissionner ? C’est un système étrange".
* Nous avons essayé d’expliquer. Se faire prendre avec une prostituée est une diversion impardonnable. Déclarer une guerre, c’est ce que les politiciens sont censés faire.
* "Vous devez comprendre", avons-nous commencé, "que faire appel à une call girl est un acte simple et compréhensible. Pour la plupart des Américains, c’est un péché. Ils ne veulent pas d’un représentant élu qui fasse des choses de ce genre. Ils veulent qu’il s’occupe de leurs problèmes, pas de ses propres caprices et désirs".
* "La guerre en Irak est une chose bien différente. Etait-ce une erreur… était-ce un mensonge ? Nous ne connaissons pas vraiment les détails. C’est complexe. Peut-être était-ce dans l’intérêt de la nation… ou du moins les gens le pensaient. Nous ne savons pas si c’était une bonne idée ou non. On ne peut pas savoir ce genre de choses".
* "En plus, les gens finissent par croire ce qu’ils doivent croire pour jouer leur rôle dans l’histoire. Les citoyens d’un grand empire doivent croire qu’envoyer leurs armées partout dans le monde en vaut la peine. Les Européens sont très opposés à la guerre… et en ont peur. Ils avaient leurs ambitions impériales… et ont vu les désastres inévitables qu’elles génèrent. Pas les Américains. La majeure partie d’entre eux n’ont aucun regret quant à la guerre en Irak, sinon pour souhaiter qu’elle se soit mieux passée. Le débat, entre les politiciens américains, n’est pas de savoir si la guerre était bonne ou mauvaise, mais si elle a été menée efficacement ou non".