La Chronique Agora

La BCE va sauver la Zone euro à elle toute seule… mais comment ?

▪ Notre allégorie du noyé figurant dans notre précédente chronique s’avère à sa façon prémonitoire. Après avoir regardé l’Espagne s’enfoncer dans la crise durant 10 jours (avec une inversion de la courbe des taux symptôme d’un infarctus massif des finances du pays et un bleuissement de l’épiderme synonyme de cyanose avancée), voilà que Mario Draghi déclare lors d’une réception en marge des JO de Londres qu’il va enfin sortir son défibrillateur et nous ranimer les pays asphyxiés par des coûts de refinancement insupportables.

Personne ne s’attendait à ce qu’il s’exprime ce jeudi (pas de réunion officielle avec la presse dans l’agenda de la BCE) mais les marchés ont réagi comme s’il venait d’annoncer qu’il allait sauver l’Europe en empêchant la faillite de l’Espagne et de l’Italie.

Résultat, les places européennes, totalement moroses jeudi matin, ont soudain retrouvé une forme olympique. Elles s’envolaient de 1,5% en quelques minutes et de 4,25% en moyenne en clôture (second meilleur score de l’année). On a eu du +4,1% à Paris, +5,4% à Madrid et +5,6% à Milan — mais seulement +1,35% à Londres et +1,6% à Zurich.

Cette journée d’euphorie débridée rappelle par de nombreux aspects celle du 29 juin, et pour des raisons finalement assez comparables. Après la magie du verbe de J.-C. Juncker (qui évoquait un accord pour le sauvetage des banques espagnoles via le MES, alors que seul le FESF était opérationnel), voici celle de Mario Draghi qui déclare que « la BCE se tient prête à faire tout ce qu’il faut pour sauvegarder l’euro »… notamment dans le cas où la tension des taux constituerait une menace pour la poursuite des objectifs visés par la banque centrale.

« Et croyez-moi, cela va suffire » a-t-il ajouté ! Nous sommes très impatient de découvrir ce que le « cela » recouvre, et par quoi « cela » va se traduire concrètement.

Il n’avait rien fait pour rassurer les marchés 15 jours auparavant, se bornant à rappeler que la BCE devait s’en tenir à son mandat. Les taux espagnols affichaient déjà 6,5% ; les journalistes le pressaient de s’exprimer sur la stratégie permettant de les faire rebaisser. Sa réponse fut que c’était aux gouvernements de faire le nécessaire pour rassurer les marchés.

▪ Du bluff à 90% ?
Vu les récents déboires de l’Espagne avec les agences de notation et la contamination qui a frappé l’Italie, on se demande pourquoi Mario Draghi n’a pas agi plus tôt, s’il était si facile de faire redescendre les taux sous les 6% avec toute la panoplie de moyens dont il prétend disposer (tout le monde comprend des rachats de dettes souveraines ou un nouveau LTRO).

Pourquoi avoir attendu que Madrid perdre les pédales et diffuse une fausse information — par des canaux officiels — concernant une pétition franco-italo-ibérique demandant à Bruxelles de traduire en initiatives concrètes l’esprit du communiqué du 29 juin dernier ?

Nos élites européennes savent pertinemment que pour traduire ces belles intentions en actes, il va falloir des semaines et des mois de délibérations… de lutte d’influence entre divers clans au sein de l’Eurozone… de nouveau chantage à la dislocation de l’Union européenne (que certains appellent de leurs voeux) et autres artifices qui vont certainement épater — ou consterner — les foules d’ici le début de l’automne.

Mais tout comme le 29 juin dernier, on a servi aux marchés le discours qu’ils avaient envie d’entendre. Cependant, il s’agit peut-être de bluff à 90% car la BCE doit bénéficier de l’aval de la Bundesbank et du Parlement allemand pour reprendre ses achats de dettes souveraines.

Vu la dégradation de la situation en Espagne, vu la prise de conscience que les problèmes sont infiniment plus sérieux que Madrid ne l’avouait ces dernières semaines… il va falloir que la BCE et Bruxelles sortent le grand jeu.

Entre les banques et les régions espagnoles, les besoins de renflouement devraient mobiliser au bas mot 500 milliards d’euros d’ici 2014. Toutes les futures ressources du MES vont y passer ; il ne resterait rapidement plus un euro pour voler au secours de l’Italie qui représente un risque systémique encore plus considérable.

C’est sans compter le risque d’un chaos social (grèves générales, faillites en cascade, effondrement des rentrées fiscales…) qui anéantirait la crédibilité des plans d’austérité mis en place sous la houlette de l’Allemagne. Rappelons que pour l’instant, ces plans n’ont produit comme résultat visible qu’une dépression de -7% en Grèce, 25% de chômage en Espagne… et un aveu de quasi-faillite de la Catalogne.

▪ L’euro se reprend… pour combien de temps ?
Pour l’heure, les déclarations de Mario Draghi fournissent une excellente occasion — la deuxième en quatre semaines — de plumer les vendeurs à découvert sur l’euro, lequel a repris jusqu’à 1,5% contre le dollar.

Sur le fond, les cambistes ne sont pas totalement rassurés : il n’y a aucune promesse concrète, simplement ce qui pourrait passer pour de la forfanterie de la part du patron de la BCE (qui soudain s’exprime comme s’il était le seul à décider).

Mais l’effet recherché a été atteint. Beaucoup d’opérateurs ont arbitré massivement en faveur de l’euro (remonté vers 1,2300 $) alors que les positions short étaient fort nombreuses compte tenu de la prolifération des rumeurs de sortie de la Grèce de l’Eurozone — jugée probable à 90% par Citigroup.

C’est le moment de nous souvenir que la BCE s’était à l’époque (mai/juin 2010) portée ouvertement au secours d’Athènes (nous en connaissons le résultat)… et voici qu’elle semble maintenant promettre de le faire au profit de l’Espagne.

Si cela ne suffit pas parce que le MES tarde à voir le jour, parce que les pays du nord s’y opposent, l’Europe devra mettre en oeuvre — tout comme pour la Grèce — un plan de sauvetage en faveur de Madrid… Il sera synonyme de mise sous tutelle du pays par une nouvelle Troïka, avec les même bonnes vieilles recettes qui ne fonctionnent pas — en particulier une décote sur la dette espagnole signifiant de lourdes pertes pour tous les créanciers du pays.

Mais chassons ces sombres pensées, c’est l’été, le soleil brille de nouveau sur les marchés, tous les espoirs semblent permis. La Fed et la BCE doivent se réunir la semaine prochaine : ce sera l’occasion pour Ben Bernanke de multiplier les allusions explicites à un QE3.

▪ Côté américain, c’est l’incertitude
Sur le front des statistiques américaines publiées jeudi, il n’y avait rien qui puisse inciter la Fed à agir dans l’urgence. En effet, les inscriptions hebdomadaires aux allocations chômage ressortaient en baisse : -35 000 à 356 000, tandis que les commandes de biens durables affichaient une progression de 1,6% contre 0,4% attendu (grâce surtout au secteur aéronautique).

Nous ne pouvons toutefois affirmer que la Fed bottera encore en touche comme elle l’a fait lors de ses précédents sommets — et comme Ben Bernanke l’a fait devant le Congrès US la semaine passée.

Car Wall Street a piégé la Fed en progressant de 10% à 15%, à contre-courant de la conjoncture depuis le début de l’année. Cela au nom du principe selon lequel chaque mauvais chiffre publié aux Etats-Unis ou en Europe accroît la probabilité d’un recours à la planche à billets. C’est le fameux « aléa moral ».

Mais cela ne dissuade pas Wall Street de faire le pari que Ben Bernanke finira par plier, tout comme Angela Merkel devant la BCE et l’Espagne… parce que si cela devient une question de moralité, le débat est clos : les marchés n’en ont aucune !

En attendant qu’ils nous en administrent de nouvelles preuves, bonnes vacances à tous. Et si vous voyez un consensus se dessiner et qu’il tient plus d’une semaine, soyez quasi-certain qu’il sera pris à contre-pied avant le septième jour !

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